On ne s’en souvient pas aujourd’hui, alors que l’excitation est à son comble avec la diffusion du superbe trailer de Star Wars : The Force Awakens qui a déjà dépassé les 8 millions de vues en moins d’une demi-journée. Mais il y a exactement trois ans, lorsque Disney avait annoncé le rachat de Lucasfilm et la mise en production de l’épisode VII de Star Wars, l’annonce n’avait pas déchaîné les passions sur Internet et auprès des fans.
Elle avait même plutôt suscité la méfiance, voire les moqueries d’une partie du public qui ne donnait pas crédit à Disney de pouvoir respecter l’héritage de George Lucas, même si la firme de Mickey avait déjà montré sa capacité à développer des univers différents du sien avec les acquisitions réussies de Pixar et Marvel :
Trois ans plus tard il ne reste plus grand monde pour douter des excellentes intentions de Disney et même pour douter de la qualité de la nouvelle trilogie qui débutera sur nos écrans le 16 décembre prochain. Toute déception serait grande tant elle est désormais inattendue. Et les premières réactions sont débordantes de satisfaction.
À la veille de la sortie du film, tout paraît fin prêt pour accueillir le maximum de spectateurs enthousiastes. Or la firme de Bob Iger doit cet extraordinaire revirement de l’opinion à une communication parfaitement maîtrisée, autant qu’à des choix artistiques qui ont permis de rassurer les sceptiques.
La prélogie ? Quelle prélogie ?
Au niveau de la communication tout d’abord, Lucasfilm et Disney ont réalisé depuis le premier jour un travail aussi discret qu’acharné pour faire oublier George Lucas et sa prélogie, qui continuent de diviser la communauté des fans en clans.
L’inoubliable créateur de la saga s’était fait une image d’homme d’affaires controversé avec ses rééditions et modifications continuelles de la trilogie Star Wars (épisodes IV à VI), qui ont progressivement dénaturé l’œuvre d’origine et surtout, transformé la perception de certains personnages (on vous assure qu’en réalité c’est bien Han Solo qui tire le premier sur Greedo, et que c’est ce personnage sans foi ni loi qui se découvre une humanité profonde dans la suite de l’histoire !). Si certaines mises à jour graphiques étaient probablement bienvenues pour dépoussiérer un film qui aurait pu paraître trop vieux aux yeux des nouvelles générations, d’autres choix étaient très contestables et contestés :
Mais le shitstorm contre l’Édition Spéciale n’était rien en comparaison de ce qui a suivi l’affligeante prélogie (épisodes I à III). Aux yeux des fans de la première heure, celle-ci fut beaucoup moins gâchée par le pauvre bouc émissaire Jar Jar Binks que par sa direction artistique faisant du film un dessin animé en images de synthèses, par sa réalisation sans âme, par des dialogues d’une indescriptible pauvreté qui confine souvent au ridicule, et par un jeu d’acteurs inexistant.
George Lucas avait multiplié les erreurs d’appréciation avec la prélogie, qui a certes trouvé son public, mais qui reste très loin de fédérer autant que la trilogie originelle. Au moins deux erreurs doivent être remarquées :
- L’aspect visuel du film
- Le casting
Sur le visuel, nous avons déjà eu l’occasion de montrer que les effets spéciaux de la prélogie étaient à ce point mauvais qu’ils empêchaient le spectateur d’entrer dans le film. Il n’y a pas cette impression de réalité que donnaient les décors vieillis et les costumes manufacturés des trois premiers films, qui permettent de plonger dans un univers qui a une véritable existence et une histoire. Le problème n’est pas tant l’usage ou l’excès d’effets spéciaux que leur mauvaise utilisation. Des effets spéciaux nombreux mais très bien maîtrisés peuvent parfaitement servir un film, ce qui n’était pas le cas dans les épisodes I à III :
Sur le casting, le problème est sensiblement identique. Voyez-vous Obi-Wan Kenobi, ou voyez-vous Ewan McGregor interpréter Obi-Wan Kenobi ? Voyez-vous la princesse Amidala, ou voyez-vous Natalie Portman ? Voyez-vous Mace Windu, ou voyez-vous Samuel L. Jackson ? … Alors que la trilogie d’origine se fondait sur des acteurs qui étaient dans leur grande majorité totalement inconnus, ce qui a permis de voir en eux les personnages qu’ils incarnaient, la prélogie a offert l’écran à des stars que les spectateurs connaissaient déjà dans bien d’autres rôles. Ils interprètent des personnages. Ils ne sont pas les personnages. Ajouté aux décors en mauvais carton-pâte numérisé, le casting a empêché de croire à la réalité de l’histoire racontée.
L’objectif prioritaire de Disney après le rachat de Lucasfilm a donc été de faire oublier la prélogie et de prendre une direction artistique totalement opposée en se rapprochant au maximum des films de notre enfance, jusqu’à recruter l’auteur Lawrence Kasdan pour co-écrire le scénario, Phil Tippett pour réaliser des animations en stop-motion (mais oui !), convaincre John Williams ou Harrison Ford de rempiler, ou remettre Peter Mayhew dans le costume de Chewbacca.
En trois ans, Disney n’a quasiment jamais fait référence à la prélogie, allant jusqu’à l’ignorer totalement dans les festivités officielles à Anaheim, en Californie, en avril dernier. Une fois le passage de témoin réalisé entre George Lucas et J. J. Abrams, le créateur de la série est resté publiquement à l’écart.
Pendant ce temps, pour réconcilier les fans des deux trilogies (seuls ceux de la première étant véritablement fâchés), Disney a mis l’accent à toutes occasions sur les « practical effects » qui chercheront à reproduire dans The Force Awakens le look & feel de la trilogie d’origine, au point que les fans qui suivaient de près l’actualité du prochain Star Wars ont pu parfois ressentir l’overdose :
À cet égard, les deux teasers et la bande-annonce finale du septième opus de Star Wars ont confirmé avec bonheur la direction visuelle choisie. Il y a bien sûr toujours beaucoup d’effets spéciaux (c’est une marque de fabrique de la saga qu’il fallait aussi respecter), mais toutes ces quelques minutes d’extraits du film sentent le vrai :
Et s’il y a cette impression de vrai, c’est aussi par le jeu des acteurs, qu’on devine déjà bien meilleur que dans la prélogie. Voyez, dans le premier teaser, comment John Boyega (Finn) parvient en deux secondes de présence à l’écran à nous faire comprendre à la fois la peur que le personnage ressent, la surprise, la détresse et son besoin de fuir au plus vite. Et dans la bande-annonce, comparez la manière qu’a Daisy Ridley de tirer sur son adversaire, avec les tirs mollassons et sans conviction de Natalie Portman dans l’épisode I.
On croit déjà à ces personnages, non seulement parce qu’on connaît peu les principaux interprètes (John Boyega, Daisy Ridley, Adam Driver, Oscar Isaac…), mais aussi parce que la direction d’acteurs assurée par J. J. Abrams semble bien meilleure. Bien sûr, le film pourra peut-être nous contredire, mais comme dirait l’autre, « we have a good feeling about this ».
L’impression de déjà connaître les nouveaux
Sur la direction artistique, Disney a donc déjà convaincu. Mais il restait aussi à ne pas décevoir ceux qui attendent depuis trente ans la suite des aventures de Luke Skywalker, Han Solo et Leia Organa.
Certes, Harrisson Ford, Carrie Fisher et Mark Hamill ont signé pour apparaître dans la nouvelle trilogie, au moins dans le premier épisode, mais leur état de forme était incertain. Et l’on ne peut baser raisonnablement un film d’action sur des acteurs qui ont aujourd’hui respectivement 73 ans, 58 ans et 64 ans. Non seulement leur capacité physique à enchaîner des scènes mouvementées peut être mise en doute, mais surtout d’un point de vue marketing, Disney avait l’obligation d’avoir des héros auxquels les jeunes générations peuvent s’identifier autant que les jeunes générations des années 1970/1980 ont pu s’identifier aux jeunes et fringants Skywalker et Solo.
Là aussi, c’est un pari remporté avec brio par Disney. Le tout premier trailer a mis en avant le nouveau trio de personnages, et le deuxième n’a montré qu’une seconde de Han Solo. La bande-annonce, elle, cache toujours Luke Skywalker et ne montre qu’une image d’une princesse Leia aux cheveux blanchis par le temps.
Bien sûr, certains seront déçus si le temps d’écran de certains personnages est aussi réduit que la rumeur le prétend (il faudra toutefois se souvenir qu’il ne s’agit que du premier tiers d’une nouvelle trilogie), mais peu s’attendent encore à ce qu’ils soient les personnages principaux.
Avant-même la sortie du film, Disney a préparé avec soin les esprits à ce que Daisy Ridley incarne le personnage principal, soutenue par John Boyega et Oscar Isaac. Personne ne sera surpris qu’ils soient au centre de la nouvelle histoire. C’est aussi dû à une campagne marketing parfaitement orchestrée qui a mis les acteurs au coeur d’un système de communication moderne.
Très régulièrement pendant le tournage, les deux complices Daisy Ridley et John Boyega ont livré quelques petites vidéos sur leurs réseaux sociaux, pour nouer déjà un lien avec une communauté de fans qui ignorait tout d’eux. Lors de la diffusion du trailer, les deux acteurs ont publié chacun de leur côté une vidéo qui les montre découvrant la bande annonce du film, excités comme n’importe quel spectateur :
Ne reste désormais plus pour Disney qu’à confirmer avec un film à la hauteur des attentes qu’il a su restaurer, qui devra lui-même faire naître l’impatience des épisodes VIII et IX. Mais d’ici là plusieurs films dans l’univers de Star Wars seront sortis au cinéma, à commencer par le spin-off Rogue One, qui sortira en 2016.
Et c’est là le prochain pari très compliqué que devra réussir à accomplir Disney : sortir tous les ans un nouveau Star Wars sans diluer la puissance de la franchise ni lasser les spectateurs.
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