Chaque samedi, c’est la compilation de l’actualité de la propriété intellectuelle et de ses dérives, concoctée par Lionel Maurel et Thomas Fourmeux.

Le Copyright Madness revient cette semaine sur la tentative de verrouiller l’usage de la date 1984 qui est utilisée comme titre d’un ouvrage de George Orwell, la compagnie pétrolière Exxon, qui s’attaque à une marque de vodka, et la société Colgate-Palmolive, qui s’est heurtée à la législation indienne. Bonne lecture, et à la semaine prochaine !

COPYRIGHT MADNESS

Sang d’encre. Encore une dérive cette semaine dont la cause est le système de filtrage automatique de YouTube ! Sony Music s’en est pris au photographe Mitch Martinez, après le repérage d’une vidéo semblable au clip d’une chanson du groupe Transviolet, dans laquelle on voit couler de l’encre dans de l’eau. Mais il y avait comme un petit problème… car Sony avait en fait utilisé pour ce clip cette vidéo de Martinez, qui en offre plus de 1500 sur sa chaîne en ouvrant les droits de réutilisation ! Martinez a eu beau contester ce signalement, Sony Music n’a d’abord rien voulu entendre et il lui a fallu hausser le ton pour obtenir gain de cause. Quand la bêtise humaine s’ajoute à celle du Robocopyright, voilà le résultat !

Encre Mitchell

Capture d’écran

On lâche rien ! Cette phrase pourrait être la devise de nombreux descendants d’auteurs, qui refusent que l’œuvre de leur aïeul entre dans le domaine public. Nous en avons un nouvel exemple cette semaine avec J. D. Salinger. Ses livres sont bien entrés dans le domaine public aux États-Unis, mais le Salinger Trust a tout de même traîné en justice un éditeur qui voulait rééditer l’un d’entre eux. Leur raisonnement est particulièrement tordu : ils avancent que la durée des droits varient selon les pays dans le monde et veulent interdire l’exploitation de cette nouvelle édition à l’étranger. Sauf que cela obligerait le juge à faire des vérifications pour les 168 pays adhérents de la Convention de Berne. Résultat : le juge a carrément préféré lâcher l’affaire en la refilant à un autre tribunal américain !

TRADEMARK MADNESS

Big brother. Deuxième frasque d’ayants droit avec ce beau cas de trademark madness dans lequel les héritiers de George Orwell se sont opposés à la commercialisation de tee-shirts affichant le message « 1984 est déjà là ». Bien qu’il ne soit théoriquement pas possible de protéger le titre d’une œuvre, ils ont réussi à abuser de la propriété intellectuelle en invoquant le droit des marques et la concurrence déloyale. D’ailleurs, c’est évident que la personne qui a voulu commercialiser les tee-shirts voulait pigeonner les consommateurs. Le risque de confusion est réel, vous souhaitez acheter le livre 1984 et sans rien voir vous achetez finalement un tee-shirt… Après tout dans Orwell, il y a or… ;-).

Rencontre participative. Vous connaissez probablement l’application Tinder, qui permet de faire des rencontres. Cette dernière fait l’objet d’une plainte de la part de la société WildFireWeb spécialisée dans l’hébergement de sites web. WildFireWeb propose à ses clients un produit qui s’appelle Tinder. Évidemment, WildFireWeb voit d’un mauvais œil l’application de rencontres et considère que la même appellation constitue un danger pour la santé économique de l’entreprise. Le succès de Tinder risque de rendre invisible le service de WildFireWeb voire de semer la confusion chez les consommateurs. Jusque-là, il n’y a rien de très nouveau dans la guerre que peuvent se livrer des marques pour obtenir la propriété d’une appellation. En revanche, la cocasserie réside dans la stratégie portée par le plaignant. WildFireWeb est une petite entreprise qui ne dispose des ressources suffisantes pour se lancer dans une affaire en justice. Elle a donc décidé d’organiser un crowdfunding pour financer son procès et attaquer Tinder. On se demande quelles seront les contreparties accordées aux contributeurs…

Tinder

Capture d’écran

Gueule de bois. Décidément la compagnie pétrolière Exxon prend goût au trademark madness. Après s’être attaquée à Fox Networks pour son logo qui affiche deux x imbriqués, Exxon revient cette semaine en s’en prenant à la marque de vodka Roxx qui affiche également des x qui se croisent. L’entreprise qui produit la vodka est surprise qu’Exxon prétende que leur logo risque de générer une confusion chez les consommateurs. En effet, cela paraît invraisemblable de confondre de l’essence et de la vodka. Cela dit si vous abusez de la vodka vous risquerez peut-être de vous mettre à boire du gazole. Quelle sera la prochaine étape pour Exxon, s’attaquer aux films X ;-) ?

PATENT MADNESS

Muscade. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas parlé dans cette chronique de biopiraterie : le dépôt de brevets par de grands laboratoires pharmaceutiques pour s’approprier des méthodes de médecine traditionnelle. C’est ce qu’a fait la multinationale Colgate-Palmolive en déposant deux brevets : l’un sur un bain de bouche à base de noix de muscade et l’autre sur une pâte pour les dents à base d’herbes. Ces deux décoctions sont utilisées depuis l’Antiquité en Inde et la firme a introduit seulement des différences minimes dans la formule afin de s’en réserver un usage exclusif. Heureusement, ces deux brevets ont pu être contestés par le gouvernement indien, en s’appuyant sur une bibliothèque numérique de textes anciens qui documentent ces pratiques médicinales ancestrales. Mais tous les pays du Sud n’ont hélas pas les mêmes moyens que l’Inde pour lutter contre ce pillage silencieux de leur patrimoine.

COPYRIGHT WISDOM

Épinglé ! Le média social Pinterest s’est ramassé deux belles gamelles en justice pour avoir été un peu trop gourmand avec le droit des marques. Il s’opposait en effet aux USA à la startup Pintrip, spécialisée dans les voyages, en lui reprochant d’utiliser les mots « pin » (épingle) et « pinning » (épinglé) pour son service. En Angleterre, il avait aussi attaqué la société Free118, qui utilisait la phrase « pinmydeal ». Dans les deux cas, les juges ont considéré qu’il n’y avait pas de risque de confusion dans l’esprit du public et que le mot « pin » n’était pas assez distinctif (trop descriptif). Moralité : qui se frotte à l’appropriation des mots du langage s’y pique !

Contrôle technique. Le scandale qui a éclaboussé Volkswagen au début du mois a montré à quel point les logiciels propriétaires, qui sont de plus en plus présents dans les voitures, pouvaient s’avérer dangereux, en empêchant de savoir exactement comment se comporte le véhicule. Le Copyright Office américain a cependant fait preuve de sagesse cette semaine en permettant aux propriétaires de voitures d’étudier et de modifier les programmes installés par les constructeurs, sans que cela ne constitue une infraction au droit d’auteur. Voilà qui devrait faire le bonheur des réparateurs, des amateurs de custom, mais aussi des chercheurs, qui pourraient ainsi auditer plus facilement les véhicules.

MADNESS OU PAS ?

Casse-Briques. L’artiste Ai Weiwei, connu pour ses œuvres polémiques et son engagement qui lui a valu quelques mois en prison, a subi quelques déconvenues avec l’entreprise Lego. Dans le cadre d’une nouvelle œuvre, l’artiste a commandé une quantité importante de briques auprès de Lego. Mais l’entreprise a refusé de valider la commande d’Ai Weiwei prétextant qu’elle ne voulait pas être utilisée à des fins politiques visant dénoncer le régime chinois. Or ses briques ont déjà été utilisées par le passé pour des œuvres ayant un message politique très explicite. Cette situation n’est pas évidente. Lego n’a pas directement utilisé le droit des marques pour s’opposer à cette œuvre et n’interdit pas d’utiliser ses briques. Toutefois, cette anecdote s’apparente, par bien des aspects, à un cas de trademark madness. Alors , d’après vous, madness ou pas ?

Le Copyright Madness vous est offert par :

Lionel Maurel

Thomas Fourmeux

Merci à tous ceux qui nous aident à réaliser cette chronique, publiée sous licence Creative Commons Zéro, notamment en nous signalant des cas de dérives sur Twitter avec le hashtag #CopyrightMadness !

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