The Wreck nous jette sans grand ménagement dans la vie de Junon, une jeune trentenaire dont la mère vient d’être admise en soins intensifs après une rupture d’anévrisme. Faute de directives anticipées, elle est la personne de confiance qui doit prendre une décision cruciale et… eh bien, je n’en dirai pas plus. Ne comptez pas sur moi pour gâcher votre découverte du récit qui, jeu narratif oblige, sera évidemment au cœur de votre expérience.
Tout ce que je peux vous dire, c’est que le titre s’articule autour de saynètes dans le « présent » (souvent des dialogues), mais explore aussi certains souvenirs de la vie de Junon. On y accède au travers des réminiscences d’un accident de voiture que l’on revit plusieurs fois (de manière de plus en plus intense et brutale, pour ma part). Il agit comme un déclencheur, ouvrant la porte à des bribes de récit qui vont enrichir la trame du jeu de manière souvent inattendue. Telles les pièces d’un puzzle, tout s’imbrique peu à peu pour éclairer les événements du présent d’une tout autre manière.
The Wreck, ou la Bitter sweet symphony
Ces souvenirs sont également l’occasion pour The Wreck de s’essayer à une mise en scène plus audacieuse. Le jeu se présente en effet comme une sorte de visual novel animé. Il enchaîne ainsi des plans fixes portés par une direction artistique colorée et vaporeuse qui enroule autour du récit un voile très poétique et doux. Lorsque l’on plonge dans ces flashbacks, la caméra devient fluide et joueuse en virevoltant dans les décors pour rebondir de détails en détails et attiser ainsi notre curiosité. Le petit enjeu de gameplay de The Wreck réside en effet dans la découverte de mots-clés cachés çà et là, qui débloqueront des répliques et pans d’histoire. Ce n’est pas grand-chose, mais cela suffit à rester attentif à ce que le jeu veut nous raconter et à se laisser ainsi embarquer dans la petite tempête émotionnelle qui nous attend.
J’ai juste une poussière dans l’œil, c’est tout…
Les quelques éléments que j’ai laissé filtrer de l’histoire vous l’ont sans doute fait comprendre : The Wreck aborde des thèmes assez délicats. Il vaut mieux le savoir avant de se lancer. Il y est question d’amour, de dépression, de la complexité des relations familiales et surtout du deuil. N’ayez pas peur pour autant. Le ton est à la fois brutal et crédible, mais il y a une grande subtilité, voire une certaine pudeur, dans la manière dont chaque sujet est abordé. Certains passages peuvent paraître durs et frappent littéralement en plein cœur, mais le jeu sait s’alléger peu à peu. Il scintille de petits moments touchants, qui dénouent la gorge et savent dessiner un petit sourire sur notre visage.
Pour cela, The Wreck doit beaucoup à sa narratrice — la comédienne Sharlit Deyzac. Bien que tout se passe dans des textes affichés à l’écran (sous forme de sous-titres pendant les dialogues et de phrases au cœur des décors quand il s’agit des pensées de Junon), le jeu est entièrement doublé en anglais (par des actrices et acteurs français, donc avec un accent). Au départ, entendre sans cesse Junon crée, sinon un malaise, au moins une forme de gêne — comme si une inconnue trop impudique nous dévoilait sans retenue ses pensées intimes. Mais plus on avance dans l’histoire, plus cette voix devient familière, symbole du lien qui s’est subrepticement tissé entre nous et Junon, désormais vecteur d’émotions à part entière.
Grâce à sa construction ingénieuse, le récit de The Wreck réussit à créer une vraie tension, et même un certain suspense à mesure que chaque pièce se met en place. Malgré le peu d’interactions ludiques proposées par le jeu, il se révèle totalement captivant. Les quatre ou cinq heures qu’il faut pour traverser son histoire passent à une vitesse folle et l’on n’en sort clairement pas indemne.
Véritable graphic novel interactif, The Wreck nous attire par sa direction artistique délicate et nous retient par son récit poignant, savamment découpé pour esquisser une toile mystérieuse qui le rend encore plus accrocheur. Bien qu’il aborde des thèmes difficiles et complexes, le jeu ne tombe jamais dans le piège du pathos ou d’un quelconque voyeurisme racoleur. Au contraire, par la justesse de ses mots et la subtilité de sa mise en scène, il touche droit au cœur et sait provoquer des émotions comme peu d’œuvres sont capables de le faire.
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