Face à Spotify, Deezer, Amazon ou YouTube Music, Apple Music a une nouvelle arme inattendue : la musique classique. Le géant californien, que l’on associe généralement au rap et au hip-pop (Apple Music a remplacé Beats Music, fondé par Dr. Dre), mise sur ce genre élitiste, loin d’intéresser tout le monde, pour rendre son offre plus complète. Le postulat d’Apple est le suivant : la musique classique, bien que présente dans toutes les applications de streaming, souffre d’un problème de hiérarchisation. Apple Music Classical est une nouvelle application justement conçue pour régler ce problème. Gratuite pour les abonnés Apple Music (à partir de 10,99 euros par mois, 5,99 euros pour les étudiants), alors que son concurrent Qobuz, qui propose la même qualité sonore, coûte au minimum 14,99 euros par mois, cette application espère convaincre les amateurs de musique classique de changer de plateforme.
Apple Music Classical est-il à la hauteur ? Soyons honnêtes, nous ne connaissons rien à la musique classique. Du coup, nous avons décidé laisser la parole à trois passionnés, capables d’identifier les points forts et les points faibles du service. Voici leurs avis.
Pourquoi a-t-on besoin d’une application dédiée à la musique classique ?
Premièrement, à quoi sert Apple Music Classical ? Comme beaucoup d’utilisateurs des services de streaming, vous vous demandez peut-être pourquoi un genre musical a besoin de sa propre application. La réponse est simple : la musique classique est bien plus complexe que les autres genres.
« Dans toutes les applications, la musique classique est considérée comme n’importe quel autre type de musique. Ça fait des titres à rallonge, tu ne sais pas ce que tu vas écouter » explique Corentin Durand, abonné à la philharmonie de Paris et grand passionné de musique classique (et accessoirement ex-journaliste de Numerama). En clair, les titres de nombreuses compositions ne tiennent pas sur une ligne, ce qui les rend illisibles, et commencent tous de la même manière. Cela oblige Spotify, Deezer ou Apple Music à sacrifier de nombreuses informations, ce qui rend la découverte de nouveaux titres très compliquée. Abonné à Spotify depuis plusieurs années, Corentin Durand nous explique avoir pris l’habitude de consommer la musique classique « surtout en concert et sur France Musique », faute de bon service numérique à sa disposition.
Que peut-on faire avec Apple Music Classical, qui ressemble à première vue au Apple Music normal ? « On est chez Apple, c’est fluide et intuitif », analyse Audrey Brahimi, la responsable projets et communication de l’Opéra Orchestre national de Montpellier. Une de ses fonctions préférées est « la recherche par instrument, qui est très pratique quand on veut s’ouvrir à un répertoire particulier, ou qu’on étudie la musique ». Un avis partagé par Corentin Durand, qui trouve très cool de pouvoir trier les compositions de manière aussi précise : « Tu peux chercher un instrument ou si tu veux une sonate par exemple… J’ai même écouté un de leurs podcasts et c’était très bien. »
Selon Apple, sa nouvelle application dédiée à la musique classique relie plus de 50 millions de données, ce qui permet de filtrer sa recherche de manière extrêmement précise, par compositeur, par période, par genre, par nombre d’instruments, etc. Chaque morceau dispose de métadonnées enrichies, avec énormément d’informations sur les conditions d’enregistrement. Pour chaque composition, on peut aussi accéder à toutes ses reprises ultra facilement (une fonction qu’on adorerait voir reprise pour le reste d’Apple Music). « Ça me donne envie de découvrir des œuvres » confie Corentin.
Apple Music Classical ne fait pas l’unanimité
L’arrivée d’Apple Music Classical est saluée par les fans de musique classique, mais la troisième personne que nous avons interrogée, Cyprien Bonsergent, un ancien DJ devenu amoureux de musique classique pendant le confinement, est un peu plus critique. Il a un avantage par rapport à beaucoup d’autres utilisateurs potentiels d’Apple Music Classical. Il est un abonné à Qobuz, très bon en la matière, ce qui l’aide à identifier les défauts du service d’Apple :
« C’est une application qui s’adresse aux débutants. Les playlists sont mal faites, on mélange les concertos, les symphonies. Que ce soit Bach, Beethoven, chaque playlist est un peu mélangée. Ils font des playlists comme pour la musique contemporaine, alors que sur la musique classique, tu ne peux pas faire la même chose. »
Même s’il reconnaît qu’Apple Music Classical est « une application plutôt intuitive », Cyprien Bonsergent n’arrive pas à ne pas faire la comparaison avec Qobuz. « J’ai énormément appris grâce à Qobuz » explique le jeune homme de 28 ans, qui met en avant « l’immense travail rédactionnel et intellectuel » du service français. Selon lui, le service d’Apple se contente de trop peu. « Ils ont un peu mieux travaillé le référencement, mais ça s’arrête là » déplore-t-il, après avoir longtemps attendu l’application. « C’est super sympa pour quelqu’un qui n’y connaît rien, qui a envie de découvrir une époque. Par contre, pour quelqu’un qui connaît la musique classique, qui l’écoute déjà ailleurs, il risque d’être déçu. »
Les avis de nos trois passionnés divergent aussi sur la qualité d’écoute offerte par Apple Music Classical, notamment en ce qui concerne l’audio spatial et les formats audio proposés. Audrey Brahimi déplore notamment un « catalogue assez réduit du fait du peu d’enregistrements disponibles en Dolby Atmos », qui est pourtant une des promesses du service. « Je suis tombée sur des versions catastrophiques de l’héroïque de Beethoven où le son semble être une lecture d’un vinyle au ralenti ». Sinon, quand ça fonctionne, « la qualité d’écoute est superbe. Le son rend de façon assez fidèle la musique, on a parfois même l’impression de voir la disposition de l’orchestre et d’où nous vient le son des instruments. »
Corentin Durand, lui aussi, remarque que les sons en Dolby Atmos sont supérieurs à ceux en stéréo : « Ça restitue un peu mieux une ambiance de salle, c’est plus naturel pour la musique classique d’avoir 8 chaînes de direction ». Pour appuyer ses dires, il nous a envoyé deux compositions en audio spatial, une de Bach et une de Mahler, effectivement impressionnantes avec un casque.
Enfin, Cyprien Bonsergent remarque aussi d’importants écarts entre les morceaux. Il trouve certains enregistrements « froids et électriques », même si les morceaux ont « un haut niveau de détails. »
Quid du lossless, l’autre promesse d’Apple ? Corentin Durand nous fait remarquer un fait étonnant : l’application n’est disponible que sur iPhone (Apple n’a encore rien sorti sur iPad, Mac, Windows et Android). « Je ne vois pas trop bien comment je peux écouter du son Hi-Res sur un iPhone » ironise le passionné de musique classique, qui aurait trouvé l’application plus pertinente sur un Mac, avec une prise jack. Difficile de lui donner tort, l’exclusivité iPhone d’Apple Music Classical, en développement depuis deux ans, est très étrange.
Apple Music Classical est-il la nouvelle référence ?
Spotify, Deezer et les autres services vont-ils copier Apple Music Classical ? Personne n’y croit vraiment parmi nos passionnés, qui y voient surtout un moyen pour Apple de s’affirmer une nouvelle fois comme « l’entreprise des CSP+ ». Cyprien Bonsergent compte rester sur Qobuz, tandis que Corentin Durand se voit bien tenter l’aventure Apple Music, au désarroi de Spotify. « Quand on écoute un enregistrement, on sait que l’on perd les petits défauts qui font le charme du live, du spectacle vivant où tout peut arriver », analyse de son côté Audrey Brahimi, qui ne se sent pas vraiment ciblée par ce type d’applications.
« Les services de streaming intéressent plus les gens qui écoutent de la musique moderne parce qu’il y a des nouveautés. La musique classique, tu écoutes ce que tu aimes. Au début, tu écoutes tout, puis après, tu sais ce que tu aimes » explique Cyprien, qui pense que les fans de musique classique se constituent leur propre bibliothèque avec le temps. Toujours est-il que la proposition d’Apple ne peut qu’être saluée par les fans de musique classique, enfin considérés par un géant de la tech.
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