Les personnages d’Acharnés sont au bout du rouleau. « Je ne vais pas bien », admettent bien volontiers, et à plusieurs reprises, Amy et Danny. Malgré ce point commun, tout oppose ces deux inconnus dès lors que la première a fait un doigt d’honneur au second après que celui-ci a failli rentrer dans sa voiture en reculant. S’engage alors une improbable course poursuite sur la route, qui ne s’arrêtera pas là et qui ne verra plus aucune limite : Danny parvient à relever la plaque d’immatriculation d’Amy et décide de lui pourrir la vie. Elle décide, en retour, de lui pourrir tout autant la vie.
Les vengeances mutuelles montent ainsi crescendo au fil des 10 épisodes d’Acharnés, disponible sur Netflix depuis début avril 2023. Sous ses airs de comédie complètement déjantée — ce qu’elle est –, cette œuvre créée par Lee Sung Jin est aussi une fable sociale captivante. Et dérangeante.
Amy et Danny sont des cocottes minutes
L’acharnement des deux personnages est poussé jusqu’à l’absurde, voire la débilité, du simple enfantillage à un projet de cambriolage. Amy et Danny sont dévorés par leur haine l’un de l’autre, là où le point de départ semble bien trop banal pour provoquer un tel envenimement. Cette détestation mutuelle, et le bref incident qui l’a causée, ne sont que des prétextes. Résultat de ce défouloir, Acharnés enchaîne des comportements propres à nous mettre terriblement mal à l’aise.
Mais, le malaise ne provient pas seulement de l’incongruité des situations poussées au plus improbable : c’est le double visage des personnages qui est réellement perturbant et, plus encore, la teneur de la colère contenue. Danny est la catharsis ultime d’Amy et inversement. Voilà précisément la satire que constitue Acharnés : notre intériorisation douloureuse des injonctions sociales. C’est lorsque les personnages fondent en larmes, qu’elle ou il craque, que cette vérité narrative est exposée. Et, cela arrive plus souvent que l’on ne l’anticipe en démarrant la série.
Ce que l’on ne prévoit pas non plus, c’est l’étrange miroir que représente Acharnés : Danny et Amy, c’est nous. Ils sont la caricature à peine déformée des cocottes-minutes d’émotions que le monde contemporain fait de nous — ou plutôt de notre psyché. Ils représentent nos santés mentales devenues des chats de Schrödinger, entre vérité intérieure et représentation sociale. Ils sont des zombies qui se libèrent, et forcément, ce n’est pas joli à voir.
Acharnés ou quand le postiche éclate
« C’est super égoïste de la part des gens malheureux d’imposer leur détresse aux autres », clame Amy, tout en ressentant finalement l’exact contraire. Tout le problème est dans cette phrase : la superficialité, l’injonction au beau, au meilleur à toute épreuve, à des cerveaux et des cœurs qui doivent être aussi fitness que les corps.
Acharnés est la série des frustrations refoulées, des craintes, des non-dits, de tout ce qui est étouffé par un capitalisme et un consumérisme qui empoisonnent jusqu’aux relations sociales les plus intimes en imposant un devoir-être superficiel, un postiche humain. Comble de l’ironie de ces faux-semblants, en pleine dispute avec son époux, Amy se verra reprochée par le vigile de s’être assise sur une chaise : cette dernière est censée être une œuvre d’art.
La satire est d’autant plus pertinente que les deux personnages revêtent les traits de milieux sociaux et de domaines professionnels très différents. Et peu à peu, la galaxie de perfection qui les entoure s’effondre, elle aussi : si, au début, seuls Amy et Danny semblent être des cocottes minutes au bord du gouffre, chaque personnage que l’on croise révèle contenir tout autant de non-dits, de névroses et d’émotions fortes trop contenues.
La série de Netflix ne fait pas appel à la science-fiction pour extrapoler les dérives du présent. Elle intègre cette extrapolation au quotidien, via une comédie de l’absurde. Acharnés est une sorte de craquage généralisé. C’est une démarche originale, qui produit une œuvre tout à fait hors du commun, en plus d’être clairement réussie dans ce qu’elle veut montrer et raconter.
Acharnés, saison 1, sur Netflix depuis le 7 avril 2023.
Le verdict
Acharnés (Beef)
Voir la ficheOn a aimé
- C’est souvent très drôle
- Satire sociale pertinente, sous forme de claque
- Du rock des années 2000 (oui, c’est un point positif)
On a moins aimé
- La série n’aborde pas l’entièreté du spectre social (mais ne serait-ce pas trop lui en demander ?)
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