Suzume, le nouveau film de Makoto Shinkai, aborde de manière frontale le séisme de 2011, dont le tsunami a fait des milliers de morts il y a plus de dix ans. L’occasion de se plonger dans la convalescence et le deuil d’un pays, à travers les aventures surnaturelles d’une jeune ado, Suzume.

Au-delà des frontières japonaises, ce que le public connaît de l’animation est généralement marqué du sceau du studio Ghibli. La pépite créée par Hayao Miyazaki et Hisao Takahata a sorti tant de chefs-d’œuvre depuis 1985 qu’elle est bien souvent le seul horizon disponible. Tout le reste est écrasé par l’aura de cette maison, sauf peut-être les blockbusters de la japanimation, comme One Piece ou Dragon Ball, qui osent sortir au cinéma en Occident.

Mais, gare, la relève est déjà là. Tout fasciné qu’est le public pour les créations de Ghibli, il pourrait manquer l’émergence de nouvelles pousses — quoique déjà bien implantées dans le paysage, en particulier au pays du Soleil levant –, de nouveaux talents, de nouveaux cinéastes. Deux d’entre eux, particulièrement, se détachent depuis une quinzaine d’années. Mamoru Hosoda (Les Enfants loups, Ame et Yuki ; Le Garçon et la Bête ; Miraï, ma petite sœur) et surtout Makoto Shinkai.

Le voyage de Chihiro Suzume

C’est ce dernier qui fait aujourd’hui l’actualité, avec la sortie en salle de Suzume. Il s’agit du sixième long-métrage d’animation du réalisateur, après les remarquables Your Name (2016) et Les Enfants du temps (2019), qui ont aussi eu droit en leur temps aux honneurs d’une projection sur grand écran. Et plus encore aujourd’hui qu’hier, avec l’arrivée de ce nouveau film, on se dit que la succession d’Hayao Miyazaki est assurée, pour le jour où il se décidera à prendre sa retraite (définitive).

Car c’est bien dans les pas du Maître que Makoto Shinkai, volontairement ou non, marche. Son dernier long-métrage, comme plusieurs autres de sa filmographie, mêle féérie et fantastique. D’ailleurs, le public ne pourra sans doute pas s’empêcher de rapprocher Suzume — une adolescente dans le film qui porte son nom — de Chihiro, une petite fille qui s’est embarquée dans une sacrée épopée dans l’œuvre éponyme, de Miyazaki.

Suzume porte
Une porte, au milieu de ruines. Une porte pas comme les autres, qui va emmener Suzume sur un chemin insoupçonné. // Source : CoMix Wave Films

Avec Suzume, son voyage démarre par une virée — qui ici sera perçue comme une fugue par son entourage — pour finir en véritable rite initiatique. Son quotidien d’ado banale est arraché le jour où elle croise la route de Sōta, un étudiant qui lui tape dans l’œil au premier regard. Ce coup de foudre va l’embarquer sur un double chemin, celui de l’amour, sur lequel ses sentiments vont s’affermir, et celui d’une sorte de folklore japonais, qui deviendra la destinée de l’adolescente.

Car Sōta n’est pas qu’un beau garçon. C’est aussi un moine pratiquant de certains arts magiques ancestraux. Sa mission ? Fermer des portes qui relient le monde tangible d’une dimension parallèle, espèce d’au-delà potentiellement dangereux, afin de protéger le Japon. C’est là que le réel et l’imaginaire se rejoignent dans l’esprit de Makoto Shinkai, pour avancer une explication aux séismes qui frappent perpétuellement le pays : un ver gigantesque jaillit parfois de ces portes et retombe, provoquant des tremblements de terre imprévisibles.

Suzume Sato
La première rencontre avec le beau gosse. // Source : CoMix Wave Films

L’absence déchirante des disparus

C’est là que Suzume, le film, apparaît singulier. Car au-delà des péripéties dans lesquelles vont s’embarquer Suzume et Sōta, le film cherche à parler dans des termes plus directs du séisme de 2011, qui a tué près de 16 000 personnes avec le tsunami qui a suivi. Ici, néanmoins, on ne parlera pas des plaques continentales, dont les frictions sont responsables de ce malheur, mais plutôt des jaillissements d’un grand ver magique.

Une transformation qui peut sembler étrange, mais qui a néanmoins du sens dans une culture qui imprègne tout de spiritualité et surnaturel — où la moindre roche, la moindre mousse peut être dotée d’une âme. Ici, c’est le séisme qui est personnifié, où plutôt les séismes, à travers un immense lombric (dans le folklore nippon, ces évènements ont parfois été mis sur le dos d’un dragon ou même d’un poisson-chat géant), qui n’a pas de volonté ni de désir. Il s’agite, le Japon tremble. Puis le pays panse ses plaies et se relève, comme depuis des millénaires.

Source : CoMix Wave Films
Suzume sur la voie de sa destinée. // Source : CoMix Wave Films

Ce drame, qui a frappé le Japon il y a maintenant plus de dix ans, appartient au passé. Des enfants japonais nés en 2011 ont aujourd’hui douze ans et n’ont rien connu de cette époque, hormis dans les livres d’histoire et dans les récits que leurs proches ou les médias en font. Ce film d’animation apparaît aussi être une façon de raconter ce qu’il s’est passé, mais aussi de se remémorer des vies perdues, des personnes à jamais perdues.

D’aucuns pourraient s’étonner que Makoto Shinkai ait attendu si longtemps pour parler de cette année noire pour le Japon, mais cette convalescence et ce deuil se sont aussi appliqués au cinéaste. Il en avait déjà parlé, de manière détournée, dans ses deux précédentes œuvres, de façon plus discrète — pudique peut-être. Il n’est pas toujours évident de discuter d’un tel traumatisme, surtout parmi un peuple qui tend à réfréner l’expression de ses émotions.

C’est d’ailleurs cela que cherche aussi à montrer Suzume. Le temps qui passe, après un deuil. Les vides qui apparaissent dans nos vies au gré des aléas. Des plaies trop longtemps contenues, qui parfois explosent au visage au souvenir de la perte d’un être cher. Des sacrifices qu’il a occasionnellement fallu faire. Des souffrances mutuelles. D’une certaine injustice, aussi, quand frappe le malheur à certains endroits, mais pas à d’autres.

Suzume amie
Suzume sympathisant au cours de son périple. // Source : CoMix Wave Films

C’est beau. C’est touchant. Du Makoto Shinkai

Si le film fait de la catastrophe de 2011 un certain fil d’Ariane, il n’en demeure pas moins teinté d’optimisme et de poésie. Après tout, Makoto Shinkai n’a pas délaissé sa plume de conteur pour autant. On s’attache beaucoup aux personnages, surtout à la jeune Suzume, mais également au petit chat Daijin. Le film d’ailleurs se plait à jouer avec nous : on ne comprend que tardivement son rôle et ses intentions, car il semble parfois malfaisant, parfois adorable.

À ce stade de la critique, vous songerez peut-être à vous demander pourquoi n’avons-nous pas encore parlé de l’animation et de la direction artistique. À quoi bon ? Makoto Shinkai a fait du Makoto Shinkai. Bien sûr que c’est ravissant, détaillé et animé avec brio. Les décors sont richement détaillés et travaillés. On croirait voir une succession de tableaux. Si vous avez déjà vu d’autres productions du cinéaste, vous avancerez en terrain connu.

Quelques scènes d’animation utilisant la 3D sont occasionnellement déstabilisantes, car elles apparaissent nettement moins soignées que d’autres plans, traditionnels ou non. Elles auraient gagné à être davantage travaillées et mieux intégrées avec le reste de l’environnement, car ces quelques séquences, heureusement rares, juraient un peu avec le reste.

Daijin Suzume
Il est mignon, mais un peu fripon. Un peu trop même ! // Source : CoMix Wave Films

Suzume apparaît comme l’un des meilleurs films de Makoto Shinkai. Il permet aussi au réalisateur d’apparaître comme l’un des meilleurs de sa génération, avec un souci de l’esthétique que tout le monde reconnaît. On peine à lui trouver des faiblesses, hormis en cherchant quelques détails secondaires — comme les sentiments un peu soudains que Suzume éprouve pour Sōta. Mais Makoto Shinkai est un indécrottable romantique, et ses films l’expriment invariablement.

On peut toutefois reconnaître que Suzume a une construction qui évoque d’autres œuvres de Makoto Shinkai, comme Your Name ou Les Enfants du temps. C’est peut-être ici que le cinéaste japonais pourrait se montrer plus surprenant à l’avenir, et plus audacieux, car le dénouement de son dernier film n’est pas tout à fait original, même s’il est forcément touchant. On ne peut en tout cas que lui souhaiter.

Suzume sort au cinéma le mercredi 12 avril 2023.

Le verdict

Suzume // Source : CoMix Wave Films
9/10

Avec Makoto Shinkai, on est rarement déçu par la qualité et l’esthétique de l’animation. Suzume confirme le rang du cinéaste parmi les grands de sa génération, et ce ne sont pas les quelques scènes en 3D un peu décevantes qui viendront faire de l’ombre à ce tableau splendide. C’est soigné, c’est détaillé. En un mot, ravissant.

Le film aborde de façon directe le drame de 2011 qui a frappé le Japon, avec le séisme qui a engendré un effroyable tsunami. L’occasion pour le réalisateur d’accompagner la convalescence du pays, mais aussi de raconter un drame national pour les jeunes générations qui n’ont pas connu cette époque. Cette catastrophe a déjà plus de dix ans.

Seul regret, si l’on connaît bien la filmographie de Makoto Shinkai : la structure du récit rappelle ses deux dernières (excellentes) productions, Your Name ou Les Enfants du temps. C’est ici, sans doute, que l’auteur manque d’audace et d’originalité. Mais on espère qu’à l’avenir, il se montrera plus surprenant dans ses thèmes et sa construction scénaristique.

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