C’est une petite histoire étonnante qui montre que le destin d’une entreprise ne tient à pas grand-chose parfois. Aujourd’hui, Netflix est sans conteste l’un des services de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) les plus puissants du monde. Une position privilégiée obtenue notamment grâce à un pivot assez tôt dans le streaming, dès 2007. Dix ans après sa fondation, la société allant au-delà de son activité initiale : la livraison de DVD par la poste.
Mais au tournant des années 2000, Netflix n’en est pas encore à s’imaginer en plateforme de diffusion de vidéo en ligne. L’entreprise fondée par Reed Hastings et Marc Randolph cherche à stabiliser son modèle d’affaires et à le rendre profitable. Le groupe doit dépenser beaucoup de liquidités au début. Les perspectives sont cependant alors favorables à l’époque. L’argent coule à flots et les clients, enfin, affluent, en s’abonnant au service de DVD par courrier.
Et puis la bulle Internet éclate.
C’est là, raconte Marc Randolph dans un très long message sur Twitter, que la direction de Netflix se dit qu’il serait opportun de se tourner vers une autre structure très bien installée dans le paysage audiovisuel américain. Une structure qui pourrait aider Netflix à combler le trou de 50 millions de dollars creusé par ses nombreux investissements initiaux pour établir son business. Et à l’époque, Blockbuster est vu comme le sauveur idéal.
Un vidéoclub comme sauveur
Blockbuster était au tournant des années 2000 le poids lourd de la location de films. 60 000 magasins outre-Atlantique, 9 000 employés. C’est en somme l’équivalent de Vidéo Futur, la chaîne de vidéoclubs la plus importante dans l’Hexagone — au faîte de son expansion, elle comptait 400 boutiques. Vu l’urgence de la situation pour Netflix, « pour nous, l’alternative stratégique évidente était Blockbuster », rapporte Marc Randolph.
Une réunion est alors organisée à Dallas pour présenter (et « vendre ») Netflix. L’idée ? « Nous allions joindre nos forces à celles de Blockbuster. Nous nous occuperions de l’activité en ligne. Ils gèreraient les magasins. Nous développerions ensemble un modèle mixte. Et tout le monde vivrait heureux jusqu’à la fin des temps ». Tout semblait se passer pour le mieux, jusqu’à ce que la question du prix à mettre sur la table arrive.
« On s’était dit que l’on avait un trou de 50 millions de dollars… alors faisons comme ça ! ». Son associé, Reed Hastings, avance alors le montant à leurs interlocuteurs. Un silence s’installe et, à en croire le cofondateur de Netflix, les représentants de Blockbuster ont été assez décontenancés pour devoir réprimer un fou rire. « Après cela, la réunion s’est rapidement degradée ». Cela, malgré des échanges initiaux encourageants, montrant l’intérêt de Blockbuster.
La réunion tourne court et, finalement, aucun accord n’est trouvé entre Blockbuster et Netflix — en revanche, l’idée d’opérer un service de vente de DVD par la poste aux USA a bien été enregistrée par Blockbuster. En effet, le vidéoclub a fini par lancer sa propre solution en août 2004, pour rivaliser avec Netflix, alors devenu le leader du marché. Car Netflix, malgré cette déconvenue et le risque de faillite, s’est accroché et a fini par remonter la pentée.
« Nous avons lutté pendant des années. Mais nous avons fini par nous en sortir. Nous sommes entrés en bourse. Nous avons dépassé Blockbuster en termes de chiffre d’affaires. Et aujourd’hui, la société que Blockbuster aurait pu acheter en 2000 pour 50 millions de dollars a une capitalisation boursière de plus de 150 milliards de dollars. Et cette société qui comptait 9 000 magasins ? Aujourd’hui, elle n’en a plus qu’un », observe Marc Randolph.
Évidemment, rien ne dit que la trajectoire heureuse de Netflix aurait été la même en cas de deal avec Blockbuster. Même si le vidéoclub aurait été d’un grand secours pour le service de livraison de DVD par courrier, en l’aidant à sortir du rouge, leur alliance dans les années 2000 aurait peut-être conduit à des erreurs d’appréciation. Peut-être que le tournant du streaming n’aurait pas été pris en 2007. Ou trop tard. Ce ne sont pas les embûches qui peuvent manquer.
Cette péripétie entre Netflix et Blockbuster n’est pas une révélation pour celles et ceux qui connaissent un peu l’histoire du géant de la SVOD et du marché de la vidéo aux USA. C’est un récit qui a déjà été raconté. Il rappelle néanmoins d’autres occasions de ce genre. Quand Google a failli être racheté par Yahoo, par exemple. Ou quand Google aurait pu récupérer le constructeur automobile Tesla. Ou lorsque MySpace a envisagé de se payer Facebook.
Mais, Marc Randolph en tire une conclusion. « Quelle est la leçon à tirer de tout cela ? Je pense que la leçon la plus importante, celle que Blockbuster a apprise trop tard, est simplement la suivante : si vous ne voulez pas bouleverser votre activité, il y aura toujours quelqu’un pour le faire à votre place ». Il reste à voir si ce conseil sera un jour renvoyé à Netflix. L géant de la SVOD n’est pas non plus à l’abri d’être, un jour, le Blockbuster qui a manqué une opportunité.
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