En 2015, le jeu vidéo Life is Strange du studio français Dontnod marquait nombre de joueuses et de joueurs avec une histoire à choix pour le moins intense. La fin remuait d’autant plus qu’il fallait choisir entre deux conclusions. À travers nous, l’héroïne, Max, devait décider de sauver ou non Chloe, en sacrifiant ou non la ville d’Arcadia Bay.
Cette fin, qui participe aussi à la puissance de ce jeu, pouvait laisser un goût d’inachevé : le choix de sauver Chloe donnait envie de connaître la suite de leur histoire. C’est à ce questionnement que répondent les comics Life is Strange, dont le récit est désormais terminé. Ils choisissent la fin où Chloe est sauvée et offrent une vraie continuité, et une magnifique conclusion à l’aventure humaine des deux héroïnes.
Il est rare qu’un jeu vidéo connaisse une « saison 2 » aussi complète et réussie sous un autre format. L’œuvre écrite par Emma Vieceli et dessinée par Claudia Leonardi est un petit bijou à tout point de vue : l’histoire, prenante de bout en bout, est portée par des dessins colorés et convaincants. Ils nous plongent à corps perdu dans tout ce qui fait de Life is Strange un univers si important pour ses fans.
Ils font aussi le choix d’explorer, totalement, frontalement, les relations lesbiennes de cet univers. Là où le jeu jouait déjà un rôle en la matière, mais restait timide sur ce point : la relation de Max et Chloe était avant tout présentée comme une amitié et l’amour était une option. Pourtant, Life is Strange s’est avéré bien plus impactant que prévu sur la représentation LGBT : dans des témoignages, plusieurs personnes nous ont confié l’importance de ce jeu dans leur parcours de vie en tant que lesbiennes — pour accompagner leur coming-out, notamment. Ce choix des comics est donc d’autant plus fort.
« S’engager dans la romance était très important »
« Au moment où j’ai commencé à écrire, il y avait — comme vous le dites — beaucoup d’ambiguïté », nous a expliqué la scénariste Emma Vieceli. Selon elle, il aurait été toutefois « insatisfaisant » de « continuer l’histoire de Max et Chloe avec une relation de type ‘le sont-elles ? ne le sont-elles pas ?’ ». Emma Vieceli considère que le choix laissé dans le jeu avait sa logique, puisque la mécanique consistait à influer sur l’histoire, mais il était clair pour elle que, dans cette suite non-interactive, il fallait choisir un chemin : « Je devais avoir un récit que je pouvais approfondir en tant qu’autrice, sinon je me perdais dans une intrigue vague. » Et son choix fut celui de l’amour, sans filtre.
« Je pense que l’amitié est un lien solide et qu’elle devrait être considérée comme aussi importante que l’amour romantique, mais en ce qui concerne Life is Strange, j’ai eu l’impression que les jeux s’étaient approchés d’une possibilité que je ne pouvais tout simplement pas laisser passer », détaille-t-elle.
Tout commence quelques mois après le jeu, avec Chloe et Max, désormais officiellement en couple, loin d’Arcadia Bay. Mais même si les deux étudiantes s’en sont sorties, la faille dans l’espace-temps n’est pas tout à fait réparée : Max est happée dans un monde parallèle. Dans cette autre dimension, non seulement Rachel est vivante, mais Chloe et Rachel sont en couple, et même installées ensemble. Avec l’aide de cette deuxième version, Max se lance dans un road trip pour retrouver l’amour de sa vie, « sa » Chloe initiale.
Au sein de ce récit, les relations queers sont pleinement intégrées, avec un naturel narratif qui reste encore aujourd’hui assez rare. Il y a tant du romantisme (entre Max et Chloe) qu’une véritable vie de couple (entre Chloe 2 et Rachel 2). De même, les comics font la place à la diversité, bien avant que les jeux Life is Strange y songent : un nouveau personnage racisé fait son apparition très tôt dans l’intrigue.
Emma Vieceli a parfaitement conscience que de choisir une représentation lesbienne pleine et entière, dans un récit à aussi forte diffusion, et si cher aux fans, pouvait avoir un impact déterminant. C’est aussi ce qui l’a motivée à acter ce chemin spécifique dans la représentation des personnages : « À une époque où les relations homosexuelles étaient encore très peu représentées (c’était il y a quelques années — j’ai signé pour la bande dessinée avant même la sortie de Life is Strange 2), il m’a semblé que ce serait un crime que de laisser passer une possibilité aussi forte. »
Paradoxalement, d’ailleurs, les comics explorent aussi l’amitié entre les deux jeunes femmes : Max n’est pas amoureuse de la « version 2 » de Chloe, en couple avec Rachel, puisqu’elle cherche désespérément à retrouver « sa » version de Chloe. De fait, elle expérimente aussi une amitié avec un autre variant de Chloe. Ce choix, qui n’est bien sûr possible que grâce aux touches de fantastique dans cet univers, permet à Emma Vieceli d’explorer aussi les sentiments amicaux, ce qui lui tenait à cœur. Néanmoins, son objectif était de ne pas reproduire l’éternel « syndrome de la meilleure amie » — via lequel tant d’œuvres contournent la représentation d’une relation lesbienne (ou gay, d’ailleurs, avec la bromance).
« J’ai essayé d’utiliser notre histoire pour explorer davantage ce à quoi ressemblerait une amitié entre Max et Chloé, mais — pour moi — s’engager dans la romance était très important », nous confie Emma Vieceli. « Pour le récit. Pour la représentation. Pour l’amour. »
« J’aime à penser que les directions prises par la franchise depuis ma décision ont justifié mon choix », ajoute la scénariste. Emma Vieceli fait là notamment référence à Life is Strange : True Colors, qui pousse la représentation des lesbiennes bien plus loin, notamment avec le personnage de Steph (qui dispose également de son propre DLC, Wavelenghts, et d’un roman).
En clair, les comics Life is Strange d’Emma Vieceli et Claudia Leornardi sont marquants à plusieurs titres : c’est peut-être la plus belle continuation d’un jeu qui existe, autant qu’ils forment un récit important en eux-mêmes. Ils ont saisi l’essence de Life is Strange, en ont respecté tout l’ADN tout osant le pousser jusqu’au bout de son potentiel — tant narratif que représentatif.
Il existe aujourd’hui une intégrale en VO des comics. Ils peuvent aussi se commander en numéros individuels chez les marchands de comics. En français, trois tomes sont disponibles, chez Urban Comics (le tome 1 est à 16 euros).
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