Ah, que la vie devait être douce à Redfall, jadis… Surmontée de son phare historique et cernée par une forêt escarpée, la ville dévale paisiblement jusqu’à la mer en semant des bâtiments en briques rouges puis en bois coloré à mesure que l’on s’approche de son petit port de carte postale. Oui, cette île du Massachusetts a un charme encore palpable aujourd’hui, bien qu’elle ait basculé dans l’horreur après qu’une troupe de vampires a pris le contrôle des lieux. Depuis, la mer s’est retirée pour former une barrière infranchissable, isolant Redfall du reste du monde. Ne reste plus qu’une poignée de courageux luttant pour leur survie au milieu de maboules armés jusqu’aux canines et vouant un culte légèrement malsain aux vampires qui rôdent un peu partout. Ah, et puis il y a vous, enfin nous, enfin quiconque osera choisir un des quatre personnages jouables pour s’aventurer dans ces lieux et tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé, dans l’espoir de mettre un terme à ce cauchemar sanglant.
Si ce pitch de huis clos insulaire vampirique évoque la formidable (sérieusement, regardez-la) série Midnight Mass (Sermons de minuit, en français), dans les faits, Redfall fait plus dans le puzzle scénaristique un peu convenu que dans le monologue philosophique. Pour tout dire, la narration peine à nous impliquer. Elle passe principalement par des cinématiques en images fixes guère engageantes et se déverse également dans des saynètes/flashback en cours de jeu ou même de simples textes disséminés çà et là. Le résultat est aussi décousu que tristement mou. Heureusement, le monde ouvert de Redfall est là pour nous happer. Au départ, tout du moins.
Redfall nous fait voir rouge
Bien que la nature ouverte du jeu ait tendance à le diluer quelque peu (avec des espaces un peu vides et une zone escarpée nuisant à la navigation), le savoir-faire d’Arkane en matière de conception de monde virtuel n’est plus à démontrer et Redfall en est un nouvel exemple. La retranscription de cette petite île, qui aurait clairement pu accueillir les fulgurances horrifiques d’un Stephen King, est une vraie invitation à l’exploration. Boutiques, maisons, cinéma, hôpital, musée local, parc d’attraction, hameau abandonnée, camping… Le jeu coche toutes les cases de ces lieux du monde réel, redécorés façon apocalypse sanglante, et que l’on prend un malin plaisir à arpenter en frissonnant à la seule lueur de notre lampe-torche. Mais il y a un mais. Plusieurs même.
Le plus gros souci, c’est qu’il n’y a pas une, mais deux zones en open world ! Après une toute petite dizaine d’heures de jeu, on bascule (sans possibilité de faire machine arrière…) à Burial Point, une paraphrase légèrement plus longue et grande de la ville de Redfall. Oui, c’est une autre bourgade côtière qui copie/colle tout un tas de trucs déjà vus ou visités avant, sans y apporter la moindre plus-value. Honnêtement, c’est assez incompréhensible.
L’autre énorme problème est que Redfall n’est pas du tout un jeu d’exploration et de chasse aux mystères, contrairement à ce que laisse croire son décor. Si vous fouillez les différents points d’intérêt des villes, vous allez tout simplement vous auto-spoiler. Beaucoup de missions vont vous y ramener quoi qu’il arrive, mais uniquement quand la trame scénaristique l’aura décidé. Très vite, l’envie d’explorer, pourtant incontournable moteur de n’importe quel open world contemporain, a fortiori avec un pendant looter shooter, est donc sapée.
Vampire contre-attaque
On finit par comprendre que Redfall est un jeu Ubisoft des années 2010. Mais si ! Souvenez-vous ! Open world + jeu en coop + loot pour motiver le joueur + une structure extrêmement cadrée avec des activités déclinées à l’envi. Arkane Austin livre sa vision de Far Cry et The Division à la sauce vampire. Sauf que nous sommes en 2023. Du studio à l’origine de Prey, cousin de celui à qui l’on doit le génial Deathloop, on attendait clairement autre chose que des simili attaques de bastion, des combats chronométrés contre des vagues d’ennemis ou des missions ping-pong qui renvoient artificiellement d’un bout à l’autre de la carte pour trouver un objet précis.
Redfall n’est pas tant un jeu de vampires qu’un jeu Frankenstein
La goutte de sang qui fait déborder le calice est la construction de l’aventure. Les zones ouvertes sont découpées en quartiers qui ont chacun du petit refuge à libérer, et où l’on trouvera une mission secondaire à faire (généralement avec un objectif bateau). On pensait cette logique de progression et ces objectifs totalement facultatifs. Qui, aujourd’hui, oserait imposer ce genre de contenu rébarbatif pour progresser dans la campagne principale ? Ça, c’est à peine digne d’un Assassin’s Creed Syndicate ou d’un Far Cry 5 (les deux pires représentants de ces sagas). Eh bien, Arkane enfonce sans vergogne son pieu dans notre cœur naïf et cloisonne ainsi toute son aventure. Si on était mauvaise langue, on y verrait une vile technique pour rallonger une durée de vie qui aurait sans doute avoisiné les dix/douze heures sans cette pirouette lourdingue… En fait, Redfall n’est pas tant un jeu de vampires qu’un jeu Frankenstein. Il est composé de plein de bouts d’idées cousues ensemble en espérant que cela donne quelque chose de cohérent au final. Hélas, le fil utilisé s’étiole au fil des heures.
Ail, ail, ail…
Pourtant, on retrouve bien par moment ce qui nous fait aimer ce studio. Cette nervosité du gameplay et des gunfights, la vivacité fourbe des vampires, l’utilisation de différents pouvoirs (invisibilité, téléportation…) selon le héros choisi qui stimule la coopération, les ambiances visuelles singulières et attirantes de pas mal de lieux… Mais le jeu semble constamment rattrapé par un faux pas, que ce soit une IA assez stupide que l’on peut déjouer facilement ou des ratés techniques. Arkane et Bethesda ont été sous le feu des critiques pour l’absence d’un mode 60 fps à la sortie d’un jeu censé représenter la nouvelle génération. J’étais indulgent et compréhensif de prime abord, mais en voyant le jeu tourner, c’est effectivement difficile à excuser. Si l’on retrouve cette patte graphique Arkane, volontairement simpliste au niveau des textures, le jeu est tout de même assez sobre, voire très moyen par moment. Bref, ce devrait être une formalité pour une Xbox Series X d’assurer une fluidité élevée. Pire, le jeu peine par moment à faire en sorte qu’elle soit constante… Tout un symbole, hélas.
Le verdict
Redfall
Voir la ficheOn a aimé
- Open world prometteur
- Gameplay efficace
- Le coop, à la rigueur ?
On a moins aimé
- Game design générique et suranné
- Réalisation tout juste correcte
- Campagne pas franchement passionnante
Le studio créateur de l’exceptionnel Prey qui se retrouve aux commandes d’une des premières grosses exclusivités dernières Xbox… C’est peu dire que les attentes étaient énormes pour ce Redfall. Alors forcément, se retrouver devant un FPS trop morne, loin d’être une claque technique, et engoncé dans une structure éculée et érodée par le passage de dizaines de titres avant lui, ça pique.
Est-ce qu’il mérite de retourner illico dans un cercueil ? Sans doute pas. Son monde, son ambiance, son gameplay… Le talent d’Arkane rejaillit çà et là, même s’il est vite rattrapé par d’impitoyables soucis qui nous ramènent à la dure réalité d’un titre bancal qui s’est aventuré sur un terrain trop périlleux.
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