Rappelez-vous. Il y a quelques années encore, vous piratiez peut-être davantage de films, de séries et de chansons. Aujourd’hui, le piratage a perdu en intérêt. Nombreux sont ceux qui payent pour leur musique grâce à Spotify ou Deezer, tandis que les services de SVOD, comme Netflix, qui tente actuellement de restreindre le partage de comptes, se sont généralisés. Cependant, comme de nombreuses personnes, vous continuez peut-être ponctuellement de visionner des films grâce au streaming ou au téléchargement illégal.
Si vous vous êtes reconnu dans cette description, vous n’êtes pas le seul, comme en attestent les nombreux témoignages reçus par Numerama. Certains sont même passés à l’étape d’au-dessus, en mettant par exemple en place des serveurs dédiés pour visionner du contenu piraté. La question n’est pas « qui pirate encore ? » mais plutôt pourquoi, et est-ce si grave ?
Il est toujours aussi facile de pirater, mais les méthodes ont changé
Les chiffres semblent le montrer : en apparence, les Français ont de moins en moins recours au piratage. En 2010, un Français sur deux (49%) déclarait pirater des biens culturels sur Internet selon Hadopi. Ils sont 17% à continuer de le faire en 2022, soit environ 9,2 millions de personnes, d’après le bilan d’audience illicite 2022 de l’Arcom.
Il faut dire que le gendarme de l’audiovisuel et du numérique, né de la fusion du CSA et d’Hadopi, a serré la vis en bloquant par exemple 166 sites illégaux l’année passée et en renforçant ses moyens de détection.
Doit-on en déduire que le piratage est en chute libre ? Ces données reflètent aussi un changement de pratiques, vers des méthodes de piratage plus difficiles à comptabiliser pour les autorités. « J’ai reçu mon premier courrier Hadopi y’a quelques mois… ça m’a fait un peu stresser », raconte Nicolas à Numerama. Après avoir ouvert cette lettre qui le menaçait d’une amende pour téléchargement illégal, le trentenaire, entrepreneur de profession, a bien été échaudé quelques mois… avant de reprendre ses activités illicites en ligne.
S’il ne craint pas les répercussions, c’est que Nicolas s’est détourné du « torrent », qui permet de télécharger des fichiers depuis les appareils d’autres personnes qui le possèdent et le partagent en retour. Ce procédé est facilement détectable par Hadopi si on ne masque pas son adresse IP. Il utilise désormais une application illégale de streaming vidéo installée directement sur son ordinateur, et dont la page d’accueil fonctionne à la manière de celle de Netflix. « Je le fais un peu par conviction, pas mal pour des raisons financières mais surtout car c’est facile », résume-t-il.
Comme lui, les internautes français sont moins nombreux à exploiter des réseaux pair à pair (P2P, torrent), via des logiciels comme eMule ou BitTorrent, pour échanger des contenus. 8,3 millions d’internautes y avaient recours chaque mois en 2010 contre environ 2 millions par mois en 2022, soit une baisse de plus de 75 %, comme en attestaient le rapport d’activité 2021 d’Hadopi et les chiffres 2022 de l’Arcom.
Mais le streaming et le téléchargement direct restent la façon la plus généralisée d’accéder à du contenu piraté. Or ces méthodes passent sous le radar des autorités.
Premiers facteurs : le coût et l’offre éparpillée
Netflix, Amazon Prime, Disney+, Apple TV+, Paramount+, Molotov, myCanal, HBO ou sites spécialisés comme Mubi pour les films d’auteur ou Crunchyroll pour les anime japonais… Ces dernières années, les acteurs de la SVOD poussent comme des champignons. Alors qu’est-ce qui motive encore les pirates ?
D’abord, les catalogues se divisent parfois en même temps que les sites se multiplient. Il faudrait en théorie plusieurs abonnements pour visionner ses contenus favoris, et la facture peut vite grimper.
Certains en profitent aussi pour « hijacker » la chronologie des médias, qui impose un délai de plusieurs mois avant de pouvoir diffuser un film sorti en salle : 15 mois par exemple pour Netflix, 17 pour Amazon Prime et Disney+. Parmi les contenus les plus piratés dans le monde, on trouve par exemple la série Game of Thrones.
« Je peux voir des films qui ne sont pas encore sur Netflix car ils sont sortis il y a moins d’un an », témoigne ainsi Félix, un graphiste de 26 ans. Pour une dizaine d’euros par mois, il loue un serveur où il héberge tous ses fichiers téléchargés depuis un site pirate. À la manière d’une plateforme de streaming XXL, il peut ensuite les visionner sur Plex, un logiciel connu pour cet usage. Il a ainsi accès à tous les contenus de toutes les plateformes, mais aussi ceux sortis au cinéma ou à la télévision.
Des pépites en bonne qualité
Pourtant, visionner des contenus obtenus sous le tapis n’empêche pas de dépenser dans la culture. Preuve en est, même les professionnels du milieu du cinéma sont concernés.
« Je paie une carte UGC, et cinq plateformes dont deux spécialisées, et je traîne souvent sur les replay de France Télévisions et d’Arte, mais il m’arrive de devoir télécharger des œuvres vraiment particulières introuvables autrement : jamais sorties en France, supports physiques collector hors de mon budget… » confie Manon, pas encore trente ans, qui fait de la recherche universitaire dans le cinéma. « Idem dans le cas où, dans le cadre de recherches, je dois avoir accès à un film très précis et qu’il n’est pas sur plateformes. Je n’ai pas du tout un gros salaire et je ne peux pas systématiquement tout acheter. » Elle admet donc pirater elle-même… mais sermonne volontiers les autres contrevenants qui font de même, surtout s’ils disposent des moyens financiers de s’offrir les versions légales.
Flore, 26 ans, qui gravite dans le milieu du piratage depuis des années, est du même avis. Elle qui stocke personnellement 30 gigas de contenus piratés, mais se rend aussi au cinéma. « Je préfère avoir ma propre copie éternelle des films, et les qualités servies par Netflix sont absolument pathétiques », explique cette défenseuse des traqueurs privés. Ces sites de torrent sont joignables uniquement sur invitation, contrairement aux sites publics comme The Pirate Bay ou Kickass Torrents. Plusieurs ont été fermés, comme What.CD en 2016 dont les serveurs ont été saisis par la Gendarmerie française.
« Financer la culture » ou « en préserver le libre accès pour tous » ?
Dans ses sphères les plus profondes, le piratage revêt ainsi un aspect communautaire, mais aussi idéologique, de défense du libre accès à la culture.
Nicolas, l’adepte du streaming, avoue ne pas adhérer à l’esprit de Netflix, qu’il accuse d’« accaparation de la plupart des licences » et la manie de la plateforme de « produire du contenu de masse » via ses productions exclusives… Ce qui ne l’empêche pas d’être abonné à Amazon Prime, qu’il estime être doté d’un avantage comparatif non négligeable avec ses livraisons gratuites.
« La richesse de ces librairies n’est pas seulement gratuite et facile d’accès, elle occupe un rôle colossal et symbolique dans la sauvegarde du patrimoine culturel humain », estime de son côté Flore. Le catalogue d’IMDb répertorie actuellement environ 640 000 films, tandis que Netflix héberge approximativement 7 000 titres (d’après le décompte de JustWatch), qui varient selon les régions. « En comparaison, l’illégalité représente des nombres gigantesques », insiste Flore. « La disponibilité des blockbusters est bien sûr notable, mais son vrai trésor est sa variété. Il s’agit de tous les vide-greniers du monde, les VHS médiocres d’une personne, les DVD qu’une autre a pu emprunter à sa bibliothèque de quartier, des Blu-ray bonus que quelqu’un collectionne physiquement. »
Lorsqu’il comptabilisait l’impact du piratage sur l’audiovisuel et la culture en 2020, Hadopi estimait que chaque contenu téléchargé signifiait que son équivalent payant n’avait pas été acheté, et impliquait donc une perte de gain potentiel. Mais limiter le piratage pourrait aussi signifier restreindre l’accès à certaines œuvres.
En 2022, l’Arcom faisait le bilan des effets du blocage des sites miroirs – qui copient des sites déjà mis sur liste noire par les fournisseurs d’accès. Les chiffres montrent que, confronté au blocage d’un site, près d’un internaute sur deux (46 %) abandonne tout simplement l’idée de regarder le contenu qu’il cherchait à visionner. Au final, seuls 7% des internautes bloqués basculent vers une offre légale payante.
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