« Depuis la nuit des temps, des cailloux aux robots humanoïdes, les humains traitent les objets comme des personnes : 80 % des objets du quotidien peuvent être considérés comme des personnes » — c’est ainsi que commencent les explications de l’anthropologue Emmanuel Grimaud à propos de l’exposition avant de nous inviter à arpenter ses salles. Alors Persona, étrangement humain, ça ressemble à quoi ?
Bien que l’exposition soit organisée au musée du quai Branly, Musée des arts primitifs, Persona, étrangement humain surprend le visiteur par l’hétérogénéité des supports : des têtes trophées momifiées péruviennes datant du IVe siècle côtoient ici une love doll japonaise. Quel est le rapport, allez-vous penser, et vous auriez raison. Car c’est le but de l’exposition, susciter un questionnement chez le visiteur qui doit se demander : « Quel est le lien qui me lie à cet objet ? »
Et il faut reconnaître que l’expérience prend tout son sens après avoir parcouru les deux premiers univers pour arriver à La Vallée de l’Étrange, troisième partie de l’exposition, qui pose en fait vraiment cette question. Masahiro Mori, roboticien japonais démontre par ses créations le principe bien connu de l’uncanny valley : plus une créature artificielle prend l’apparence de la forme humaine, plus elle a de chances de créer de l’empathie et de l’attachement tout en courant le risque de créer le sentiment inverse, voire une vraie répulsion si le degré de réalisme est trop élevé… car infiniment non humain.
Smartphone is the new grigri
Pendant cette visite d’une heure, un Emmanuel Grimaud passionné a expliqué chaque œuvre exposée, le cheminement de sa pensée, racontant parfois ses voyages et les expériences qu’il a pu connaître. On s’est laissé porter sans mal par ce périple aux quatre coins du monde au prisme des objets tous plus insolites les uns ques les autres.
2.0 oblige, la visite de l’exposition était encadrée par un community manager du musée retweetant et relayant les tweets postés par les visiteurs du groupe avec lequel nous faisions la visite : blogueuses et blogueurs, youtubeurs et autres stars d’Instagram étaient de la partie. Surmotivés par les potentiels retweets du musée, nos co-visiteurs, vissés à leurs smartphones, switchaient avec succès entre Twitter, Facebook et autre Snapchat.
Un live Periscope, lancé par l’un d’entre eux éprouvant le besoin irrépressible de partager son expérience culturelle est allé jusqu’à interrompre le discours d’Emmanuel Grimaud commentant une pièce, le visiteur n’hésitant pas à y aller de son « Bonjour à tous, alors ce soir nous sommes au musée du Quai Branly pour la visite de l’exposition bla bla bla… », absolument pas gêné de parler tout haut en même temps que son hôte.
Ne pouvant empêcher les visiteurs de faire une pause dans leur rituel twitto-perisco-insta-facebook, l’exposition a rempli son objectif
S’il aurait été facile de s’emporter contre ce micro-événement, cela a été surtout l’occasion de voir, en filigrane, le dessein malin du commissaire — et du Quai Branly. Car ce soir, il y a eu deux expositions en une : l’officielle, celle organisée par Emmanuel Grimaud et Anne-Christine Taylor-Descola et l’officieuse — offerte par les visiteurs et leur rapport personnel aux objets technologiques. Ne pouvant empêcher les personnes présentes de faire une pause dans leur rituel twitto-perisco-insta-facebook, l’exposition a rempli son objectif : questionner notre rapport aux objets technologiques et mettre en avant leur côté absolument étrange.
Les visiteurs de ce groupe hyper connecté auraient pu faire l’objet d’une œuvre d’art à part entière : on se plaît à imaginer un écran installé à la fin du parcours, qui retransmettrait en direct des images filmées dans les différentes salles qui composent l’expo. Confrontés à ces images et à leurs rites, les spectateurs se seraient alors interrogés sur l’intensité des liens qu’ils créent et entretiennent entre leurs smartphones et quelque chose de plus immatériel encore, mais tellement présent tout de même : les réseaux sociaux. Cette conclusion imaginaire, le Quai Branly a préféré la laisser en suspens. Libre à chacun d’en faire l’expérience.
À la fin de sa présentation, Emmanuel Grimaud a pourtant conclu par l’interrogative : « Veut-on vivre avec des robots ? Si oui, à quoi veut-on qu’ils ressemblent ? » En repensant au groupe qui a arpenté ces salles, on se dit que, peut-être, les designers d’Apple, Samsung ou Microsoft ont déjà répondu à cette question : le robot de demain pourrait avoir la forme, si commune et si inscrite dans les comportements humains, du smartphone d’aujourd’hui.
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