En 1997, un drôle de personnage aux capacités élastiques impressionnantes entrait avec fracas dans nos cœurs. Monkey D. Luffy et son équipage nous accompagnent désormais régulièrement sur les mers de One Piece, dans sa version manga en librairies ou anime en streaming.
Il faut dire que cette référence de la pop culture bat toujours plus de records au fil du temps. Avec bientôt 105 tomes publiés, il est ainsi le manga le plus vendu au monde, tiré à plus de 500 millions d’exemplaires. Pour la série animée, toujours en cours sur ADN ou sur Crunchyroll en France, après plus de 1000 épisodes, un nouveau chapitre est dévoilé quasi chaque semaine depuis près de 25 ans, ce qui n’est pas près de s’arrêter.
Mais cette année, une nouvelle île est apparue sur la carte : Netflix. La plateforme de SVOD vient de mettre en ligne, ce jeudi 31 août 2023, sa version live action de la création d’Eiichirō Oda, aussi attendue que redoutée par les millions d’apprentis moussaillons en quête du fameux trésor, le One Piece. L’occasion d’interroger notre rapport à cette œuvre culte, dont on ne se lasse curieusement toujours pas.
« C’est le voyage qui nous donne goût à One Piece »
Monkey D. Luffy, jeune pirate débordant d’ambition et de joyeuse curiosité, veut mettre la main sur le fameux One Piece, un trésor inestimable qui appartenait autrefois au Roi des pirates, Gol D. Roger. Aux côtés de son fidèle équipage, l’adolescent au chapeau de paille va ainsi parcourir les océans, avec un avantage de taille : un Fruit du Démon qui lui offre un corps plus élastique que jamais. Entre enjeux politiques, voyage initiatique et touches fantastiques, One Piece a ainsi dépassé des poids lourds de l’animation japonaise comme Naruto ou Dragon Ball.
Mademoiselle Soso, créatrice de contenus spécialisée dans les mangas et l’animation japonaise, rapproche la saga d’un « jeu vidéo à monde ouvert ». Elle poursuit : « Les possibilités sont presque infinies en terme de narration. Eiichirō Oda n’a aucune limite : il explore et invente, il se fait plaisir ! Et puis, il y a un effet boule de neige, dû en partie aux forums et aux réseaux sociaux, qui réunit les fans autour de théories. Mêlé à l’essor du manga, qui n’est plus du tout une niche, forcément, c’est devenu un phénomène mondial. Tout cela a su capter un public toujours plus large, qui est monté dans le bateau One Piece, pour percer les mystères énoncés il y a 25 ans. »
Pour Marie Palot, présentatrice TV spécialisée en pop culture, « il y a une notion de transmission dans ce format fleuve aux nombreux produits dérivés. Deux générations ont évolué avec le manga et l’anime, qui nous embarquent dans le monde de la piraterie. Mais outre l’envie de comprendre ce qui nous attend à la fin, c’est surtout le voyage qui nous donne goût à One Piece. »
Une grande diversité de personnages… ou pas ?
Pour cette expédition, le manga déploie une galerie de personnages d’une diversité impressionnante. C’est notamment cet aspect qui a poussé Mathieu, 25 ans, à se plonger dans les aventures de Luffy, sans jamais en décrocher depuis 10 ans : « Globalement, les personnages principaux sont très bien construits d’un point de vue narratif. Et physiquement, il y a vraiment beaucoup de types de corps différents. Malheureusement, cela se manifeste surtout chez les hommes puisqu’à part quelques antagonistes, tous les corps féminins sont calqués sur un modèle unique : une taille de guêpe et une énorme poitrine. »
Un défaut commun à de nombreux mangas de type shonen (plutôt orientés commercialement vers un public masculin), comme le souligne Mademoiselle Soso : « One Piece, pour moi, n’échappe pas à cet effet de sexualisation des personnages féminins, même s’ils sont bien écrits. Il est très rare de les voir se battre contre des hommes, ou qu’elles ne soient pas dénudées. » Mais là où l’œuvre d’Eiichirō Oda semble malgré tout se distinguer, c’est justement dans la capacité de son auteur à leur écrire de véritables histoires, malgré leur objectivisation constante.
Marie Palot le résume ainsi : « Les personnages féminins sont sexys, mais forts. Les héroïnes, comme les antagonistes, sont intéressantes. Dans Dragon Ball, je n’avais pas vraiment envie de m’identifier à Bulma, je prenais plutôt le parti de Sangoku ou de Trunks. Alors que dans One Piece, j’ai tout de suite aimé les femmes, et ça, ça fait du bien au lectorat féminin. »
Nico Robin, loin d’être une « princesse en détresse »
Béatrice, fan de One Piece depuis déjà 18 ans, met en valeur des « personnages féminins forts, qui sont aussi importants ou puissants que leurs homologues masculins. Robin, par exemple, est l’archétype de la femme indépendante. Elle est suffisamment forte pour se débrouiller seule, et cynique pour ne pas se laisser impressionner par qui que ce soit. Ce n’est pas une princesse en détresse. »
Un personnage que Mademoiselle Soso adore pour son écriture « profonde et touchante » mais qui a surtout une importance particulière pour Mathieu, très ému en évoquant cette dernière survivante d’un peuple éradiqué par le gouvernement. Nico Robin a donc « passé sa vie à s’enfuir, elle ne pouvait jamais faire confiance à personne. Au départ, elle est présentée comme une antagoniste, mais elle finit par rejoindre l’équipage de Luffy. Leur amitié se construit au fur et à mesure, jusqu’à un point culminant dans l’arc de Water Seven et Enies Lobby. Elle se rend ainsi compte qu’elle est vraiment acceptée dans ce groupe et, alors même qu’elle était plutôt suicidaire auparavant, elle avoue haut et fort qu’elle veut vivre avec son équipage. C’est ma scène préférée du manga, c’est à partir de ce moment que j’ai su que je ne lâcherai jamais One Piece, que je voudrais en voir le bout. »
Des personnages queer dans un manga mainstream
Si l’on peut reprocher à Eiichirō Oda l’ambivalence de ses personnages féminins, l’auteur brille en revanche par le développement de personnages relativement absents dans le milieu du shonen : la communauté queer. Plusieurs protagonistes de l’univers de One Piece se rapprochent ainsi de représentations LGBTQIA+, comme Bonclay, un membre des Okamas, un groupe d’hommes travestis.
Béatrice, Montpelliéraine de 39 ans, est « une grande fan de ce travesti complètement excentrique, habillé en ballerine. Il se décrit lui-même comme ‘ni homme, ni femme’. Son maître mot : cultiver l’ambiguïté. L’approche est un peu caricaturale, mais la présence d’un personnage LGBTQIA+ dans un manga mainstream comme celui-ci est extrêmement importante. »
Si les questions queer ne sont pas abordées en profondeur, les personnages travestis sont en revanche représentés de façon positive. Une particularité vraiment rare pour un manga de cette envergure, qui est liée aux thématiques portées par l’œuvre selon Mathieu : « Les gens sont comme ils sont, et il n’y a pas de questions à poser sur ces sujets. »
Quand Luffy transforme la tristesse en joie
Cette notion de liberté est justement au cœur des messages de One Piece, qui défend également la révolution et le combat contre l’oppression. Des enjeux politiques forts, portés par le personnage principal de Luffy, qui n’hésite pas à s’opposer au gouvernement pour réparer des injustices. Mais le héros de la saga se distingue également par sa personnalité solaire, qui lui permet de nouer de puissantes amitiés avec son équipage.
Marie Palot estime ainsi que les thématiques clés de l’œuvre sont « la poursuite du rêve, la confiance que l’on accorde malgré les avanies que l’on peut subir, mais aussi la force physique et mentale pour continuer de progresser. Ces pirates ne protègent pas un trésor, ils protègent les leurs. Leur histoire personnelle est souvent triste, mais dans cet équipage, Luffy transforme cela en force et en joie. »
Pour Mademoiselle Soso, suivie par plus de 500 000 abonnés sur TikTok, One Piece représente ainsi un « safe space », un « manga qui permet de s’évader, loin de ses soucis, grâce à son savant mélange de voyage, d’aventure et d’humour. Eiichirō Oda nous entraîne dans un monde tellement fantastique, que l’on se prend à rêver et à vouloir avoir nous aussi notre propre bateau… »
Un univers « bruyant, coloré et complètement déjanté »
Avant de pouvoir, un jour, naviguer nous-mêmes sur les océans du monde entier, et avant même de découvrir la nature du fameux trésor One Piece, nos regards se tournent maintenant vers Netflix et son adaptation live action. Elle est menée par le scénariste Steven Maeda (X-Files, Lost) et le showrunner Matt Owens (Marvel’s Luke Cage, Les Agents du SHIELD). Mais surtout, cette nouvelle série est adoubée par Eiichirō Oda lui-même.
L’auteur a ainsi grandement participé à la création, au point de choisir lui-même les acteurs et actrices qui incarneront ses personnages. Visiblement très fier du travail accompli, le mangaka diffuse régulièrement des messages à l’intention de ses fans, pour les rassurer sur la qualité de cette adaptation. Il faut dire que l’annonce du projet avait de quoi rebuter, tant Netflix est fréquemment mis en cause pour ses versions live action douteuses, voire ratées, de Cowboy Bebop à Death Note.
De son côté, Béatrice, qui souhaite pouvoir partager sa passion pour One Piece avec son fils dans quelques années, n’attend pas grand-chose de cette adaptation. Elle espère tout de même être « agréablement surprise » et estime que les premières bandes-annonces sont à l’image de la saga elle-même : « bruyantes, poussives, colorées et complètement déjantées. Le casting semble plutôt intéressant donc j’espère qu’ils seront crédibles dans leur rôle, malgré leurs perruques complètement kitsch ! ».
Et peu importe la qualité de cette série Netflix, Béatrice considère que « l’univers maritime de One Piece est sans fin » et que « l’auteur pourrait nous ‘mener en bateau’ pendant encore 20 ans ! »
Eiichirō Oda, c’est plus fort que toi
Mathieu, lui, est « globalement pessimiste » lorsqu’il s’agit d’adaptations en prises de vues réelles et n’avait, au départ, aucune intention de regarder la série. Pourtant, au fur et à mesure des différentes annonces de la plateforme de SVOD, son engouement a pris une tournure plus positive : « Le casting a été très bien choisi, ce qui est un bon point puisqu’il est difficile d’incarner des personnages que les gens adorent et qui peuvent être parfois très extravagants. Cela passe par le maquillage et les effets spéciaux, qui peuvent faire des miracles, mais je pense qu’une certaine ‘aura’ est également nécessaire. Par exemple, Iñaki Godoy qui va incarner Luffy, dégage une sorte d’entrain constant qui est propre au personnage, dans sa façon d’être impatient de découvrir des choses. Ce genre de détails apporte de l’espoir quant à la qualité de la série. »
Concernant l’implication d’Eiichirō Oda, Mathieu met en avant le fait que ce soit « l’un des rares auteurs à avoir assez de poids pour se permettre d’imposer ses choix. Il est le mangaka le plus influent au monde, donc il est plus facile pour lui de s’opposer à Netflix. C’est plutôt rassurant, mais c’est logique : Eiichirō Oda a un emploi du temps impressionnant, il passe tellement de temps à gérer la saga au quotidien depuis 20 ans. One Piece, c’est l’œuvre de sa vie donc on peut penser qu’il validerait une bonne adaptation de son travail plutôt qu’une mauvaise. »
One Piece, toujours gagnant
Sur le sujet, Mademoiselle Soso est claire : « C’est un peu l’adaptation de la dernière chance. Tout le monde est impliqué donc on y croit parce que c’est un peu l’œuvre intouchable : on ne peut pas faire n’importe quoi avec One Piece ! » Malgré le « mélange un peu compliqué entre la grosse production américaine et l’univers du manga, qui ont parfois deux visions diamétralement opposées », la créatrice de contenus aimerait que la série « respecte les personnages et leurs designs, tout en apportant cette touche réaliste qui sera très difficile à amener, étant donné le côté farfelu de la saga. Et surtout, l’envie de voyage et de découverte doit se faire ressentir sans trop tomber dans un copier-coller de Pirates des Caraïbes ! »
La journaliste et présentatrice Marie Palot, elle, se dit à la fois « rassurée » par l’implication d’Eiichirō Oda dans la série, mais aussi inquiète par certains communiqués du mangaka, qui évoquent beaucoup de retouches : « Aujourd’hui, très sincèrement, je ne sais pas qui a gagné entre l’auteur et Netflix. De mon côté, j’étais très effrayée par cette adaptation, mais le trailer m’a finalement redonné espoir. Peut-être que j’aurai une bonne surprise, qui sait, même si tout le monde attend que ce soit un massacre pour se dire qu’ils avaient raison, et que le produit de base, celui d’Eiichirō Oda, reste le meilleur. Mais quoiqu’il arrive, One Piece ressortira toujours gagnant puisque ce sera toujours une victoire de l’œuvre originale : celle d’être unique, ou celle d’avoir eu la chance d’être bien adaptée. »
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