Bien longtemps calée sur un rythme annuel effréné, la saga Assassin’s Creed s’est souvent usée bêtement au point de se forger une solide image d’adepte du recyclage. Pourtant, sur les treize petites années qui séparent le premier épisode de Valhalla, la série est devenue méconnaissable. Dès lors, avant de répondre à la piquante question « Quel est le meilleur Assassin’s Creed ? », il faut d’abord répondre à une autre : « C’est quoi un Assassin’s Creed ? »
Ça tombe plutôt bien : c’est, semble-t-il, une des premières questions que s’est posé le jeune studio d’Ubisoft Bordeaux en charge de Assassin’s Creed Mirage. Seconde coïncidence, on arrive à peu près aux mêmes conclusions. Si l’on devait résumer la série en ne gardant que trois éléments-clés (les traceurs de la recette, comme on dit dans Top Chef), on aurait : le free running (version jeu vidéo et ultra dynamique du Parkour), la facette infiltration du gameplay et la capacité du jeu à nous plonger dans l’Histoire, en tant que cadre de jeu fidèlement retranscrit, mais aussi de liant narratif. C’est déjà le moment où mon piège argumentatif se referme violemment sur vous puisqu’il est indéniable que ces trois points ne se sont jamais aussi bien exprimés et conjugués que dans l’épisode sorti en 2014 : Assassin’s Creed Unity.
Un jeu révolutionnaire ?
Thomas Méreur est un expert de la saga Assassin’s Creed. Il a même écrit un livre sur la genèse, intitulé Les Secrets d’Assassin’s Creed. De 2007 à 2014 : l’envol.
Vous avez des doutes ? J’imagine que le terrible bad buzz qui a suivi la sortie du jeu à l’époque vous trotte encore dans un coin de la tête. Il était en partie mérité : le jeu est effectivement sorti dans un certain tumulte avec une partie online foireuse qui provoquait de violentes chutes de framerate (entre autres bugs) et une version PC brinquebalante (à l’origine de quelques mèmes légendaires). Très en retard sur son délai initial, Assassin’s Creed Unity arrivait en plus un an après l’excellent (et imprévu) Assassin’s Creed IV: Black Flag, qui a ouvert la série à l’exploration d’une aire de jeu immense. Son orthodoxie par rapport à la formule de base et son retour à une aventure confinée à la seule ville de Paris (et un peu de Versailles) ressemblaient de ce fait à un renoncement qui laissa bien du monde circonspect.
Pourtant, si l’on met calmement ces considérations de côté (notamment les soucis techniques en grande partie réglés à grands coups de patchs), on tient sans doute la plus belle expression du cœur de l’expérience Assassin’s Creed. Le free running, tout abord. Arno, l’Assassin de cet épisode, se déplace avec une vivacité féline qu’aucun de ses confrères n’aura réussi à égaler, en particulier grâce à des mouvements de Parkour aussi bien descendants qu’ascendants (jusqu’alors, les Assassins étaient des pros de l’escalade, mais se contentaient de sauter comme ils pouvaient quand il s’agissait d’aller vers le bas). La fluidité et le nombre des animations laissent encore pantois aujourd’hui et rendent l’exploration de la ville particulièrement grisante. Cette ville, justement, parlons-en ! Le Paris de la Révolution française. En termes de carte postale historique, Assassin’s Creed Unity se pose là. Reconstituée avec un étourdissant souci du détail, notre chère capitale apparaît encore aujourd’hui comme un terrain de jeu magnifique grâce à un astucieux choix sur le rendu des lumières. Qui plus est, une très grande partie de ses bâtiments (du plus insignifiant taudis jusqu’au plus luxueux hôtel particulier) est ouverte et accessible aux curieux, ce qui permet de nous immerger dans la ville comme rarement il a été possible.
Entre les États généraux à Versailles, la prise de la Bastille, l’exécution de Louis XVI, les rencontres de Mirabeau, Robespierre et Napoléon… Assassin’s Creed Unity est également imbattable sur la plongée dans l’histoire. Seul petit regret et concession qu’il faut donc faire : on découvre tout cela au travers du regard d’Arno, un héros assez insipide. Ce lisse bourgeois un peu trop calqué sur le légendaire Ezio reste sans doute un des pires Assassins de la saga, empêtré dans une histoire au potentiel certain. Sauf qu’elle a été découpée à la hâte pour respecter les délais et est en prime bourrée d’ellipses et raccourcis qui la rendent bien fragile. Reste une enquête sympathique qui s’entremêle avec une certaine habilité avec l’Histoire, avec un grand H.
Sortez à couvert
Dernier aspect que Assassin’s Creed Unity transcende : l’infiltration. Il aura fallu attendre Assassin’s Creed III pour que ces gros balourds à capuche daignent enfin se baisser pour être discrets, mais l’option n’était alors que contextuelle et automatisée (en gros, dès qu’on approchait d’un buisson). Avec Unity, on a enfin un bouton dédié pour passer en mode furtif. C’est un vrai symbole qui prouve qu’Assassin’s Creed assume enfin cette facette et le jeu en tire pleinement parti. Tout d’abord, les combats sont assez radicaux et Arno est très vulnérable quand les ennemis sont un peu trop nombreux. Ils servent ainsi de véritables garde-fous pour pousser à rester tapi dans l’ombre et profiter des nombreux outils à disposition pour se faufiler ni vu ni connu. Les principales missions, baptisées « Black box », se développent dans des bastions savamment pensés, très ouverts et avec de multiples voies d’accès pour permettre aux plus créatifs d’exécuter leurs cibles de manière assez créative. Elles sont ainsi un très bel écrin pour cet aspect du gameplay enrichi et en parfaite harmonie avec l’imaginaire promis par la série depuis le départ : incarner un Assassin, furtif et fourbe, se fondant dans le décor pour atteindre sa cible avant de repartir aussitôt comme une ombre mortelle. Sur ce point encore, aucun autre épisode n’aura à ce point réussi à concrétiser cette fantaisie.
Si cette inébranlable démonstration ne vous a pas convaincu de (re)donner sa chance à un épisode qui a tant à offrir à qui saura dépasser ses quelques petits défauts, peut-être qu’Assassin’s Creed Mirage saura, lui, le faire. En effet, quand on regarde de près le futur épisode de la série, l’ombre de Assassin’s Creed Unity ne semble jamais bien loin. Retour à une aire de jeu principale très urbaine qui sert parfaitement un free running redynamisé, plongée dans le lore de la confrérie, réorientation vers l’infiltration exigeante avec un héros vite en danger quand il se fait repérer et qui joue les enquêteurs avant de se lancer dans des missions « Black box »… Ces deux épisodes ont un grand nombre de points communs ; et ce n’est pas pour rien. Assassin’s Creed Mirage se veut bel et bien comme un retour aux sources, un hommage aux épisodes d’origine, tout en s’autorisant une relecture moderne de ses mécanismes pour rafraîchir l’expérience. La très bonne nouvelle, c’est que son héros, Basim, est d’ores et déjà mille fois plus charismatique et intéressant qu’Arno et devrait en outre être emporté dans une histoire passionnante. Elle oscillera entre le roman d’apprentissage et la tragédie shakespearienne (et en plus, il peut faire des câlins à des chats). Bref, le Assassin’s Creed ultime, c’est peut-être Assassin’s Creed Mirage finalement.
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