Google s’est livré à une opération pour le moins inhabituelle. Le géant de la recherche a vendu des créations graphiques aux enchères. Mais pas n’importe quelles pièces : les œuvres en question ont été réalisées par un algorithme.
L’art par la machine
L’événement a eu lieu dans l’univers branchouille d’une galerie californienne à San Francisco. Le Wall Street Journal a indiqué que les bénéfices obtenus lors de la vente de quatre des vingt-neuf œuvres présentées ont été reversés à la Gray Area Foundation, une institution qui agit en faveur d’une rencontre entre l’art et la technologie.
D’après le journal américain, les employés de l’industrie technologique, n’ayant pas étudié les humanités, ne sont pas friands d’art et assez ironiquement, en supprimant l’humain de l’équation, les équipes de Google ont réussi à attirer plusieurs centaines de personnes dans la galerie, où les pièces générées informatiquement ont été vendues jusqu’à 8 000 dollars.
Blaise Agüera y Arcas, le responsable de la division des machines intelligentes chez Google a introduit la soirée par une analogie au célèbre tableau des Ambassadeurs de Hans Holbein le Jeune. Cette œuvre est connue pour contenir une vanité par anamorphose : un crâne qui ne se révèle entièrement qu’en jouant avec un miroir. La comparaison est une façon de donner une légitimité au travail présenté ; à la manière d’Holbein, les œuvres exposées sont à la rencontre entre l’art et le meilleur de la technique.
Les différentes pièces montrées dans la galerie sont le produit d’un réseau neuronal artificiel assisté par l’homme. Plusieurs techniques ont été utilisées pour créer les objets : Deep Dream, Fractal Deep Dream, Class Visualization et Style Transfer.
Ce dernier, comme l’indique son titre évocateur, est particulièrement intéressant puisqu’il va imiter le style de l’image chargée dans l’algorithme. Plus qu’une réelle démarche artistique, le processus de création algorithmique pourra de fait être taxé d’imitateur en série. On peut ainsi s’amuser à associer certaines œuvres à des peintres connus : une des réalisations ressemble par exemple très étrangement à un tableau de Van Gogh.
Quant à Deep Dream, la technique n’est pas nouvelle : on se souvient qu’elle avait été lancée publiquement par Google en 2015. Ce générateur crée une sorte de boucle qui repère et répète un motif, puis un autre, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’image elle-même ressemble à une sorte de cauchemar psychédélique sous acide. Cependant, pour sa petite expérience, Google a inversé le fonctionnement de son algorithme, qui invente les motifs au lieu de les reproduire.
Modifier notre rapport à la création
Mais le projet de Google soulève toutefois certaines questions ontologiques. Peut-on attribuer les œuvres créées à la machine ? Qu’est-ce qui différencie, finalement, la création humaine de la création algorithmique ? Les machines sont-elles d’ailleurs capables d’avoir une sensibilité artistique, ou dans les mots d’Alan Turing, « les machines peuvent-elles penser ? ». Autant de problématiques auxquelles devront répondre les historiens de l’art si la machine doit prendre part au processus créatif.
Ou peut-être que ces réflexions sont juste le fruit d’un biais culturel. La création informatique pourra peut-être, comme l’a fait la photographie pour le réalisme, affranchir l’art de la main humaine et potentiellement redéfinir notre rapport à la création. À la manière d’Oiseau dans l’espace de Brâncu?i, qui ne fût pas considérée par les douanes américaines comme une œuvre d’art, les objets générés par l’algorithme de Google pourront peut-être un jour être exposés aux côtés des grands chefs-d’œuvre.
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