C’est un gros plan sur le muscle du bras qui s’active pendant que la main pénètre. C’est une chenille qui remonte lentement sur la cuisse. C’est une langue qui en lèche une autre devant un écran géant. C’est un bleu que l’on effleure. C’est un drap que l’on lave à la main. La révolution féministe d’Iris Brey infuse dans tous les plans de Split, sa mini-série mise en ligne sur FranceTV Slash depuis vendredi 24 novembre.
Cette histoire d’amour lesbienne se passe bien, et déjà, ça change tout. Parce que la production française vient comme une réparation, un pansement sur des décennies de représentations manichéennes et déshumanisantes. Ici, la lesbienne n’est pas une prédatrice, la femme bisexuelle n’est pas réduite à sa culpabilité, les personnages réfléchissent à leur condition en profondeur.
Certaines réflexions pourront sembler didactiques, auprès d’une partie du public déjà acquise aux causes défendues. Mais Split n’est pas qu’un manifeste théorique : c’est un récit d’amour enveloppant, dont la douceur et le lyrisme transcendent les quelques maladresses.
Le consentement, si bon à entendre
Split est aussi une histoire de consentement. Un « est-ce que je peux t’embrasser ? » qui fait rougir les joues, un « j’ai envie que tu me prennes » qui fait glousser par son enthousiasme ; toutes ces phrases si peu prononcées dans la fiction, pourtant tellement bonnes à entendre. Où l’on aborde aussi le consentement dans la disposition du corps, à travers la maternité ou l’avortement.
On pourrait s’y méprendre, mais la production est bien une série chorale — où Pauline Chalamet (Paola dans la série) attrape l’écran à chaque fois qu’elle y apparaît. C’est avec le quatrième épisode que Split prend cette ampleur, déploie ses ailes et montre toutes les autres femmes qui portent le monde.
On se prend à lui trouver des airs de Sex Education, la série progressiste de Netflix qui s’est donnée pour mission de décomplexer les ados, en mettant la bienveillance au cœur des relations. Et puis il y a ces cigarettes fumées à la tombée du jour humide, des gros plans sur les mains dans la lumière bleutée, qui semblent convoquer Kyss Mig (2011), la romance suédoise d’Alexandra-Therese Keining, qui avait rendu un fier service, il y a près de dix ans, à toutes les lesbiennes en mal de représentation apaisée.
« Je crois que c’est un rêve »
Au loin, on entend la voix de l’actrice Delphine Seyrig, icône féministe en avance sur son temps, nous rappeler les bases : « Les femmes que je suis appelée à représenter sont toujours très en retard sur moi et très en retard sur les femmes de mon âge et de mon époque. Mais comment faire autrement ? Moi je ne demanderais pas mieux, mais je crois que c’est un rêve. C’est aux choses d’avancer, et ensuite, le cinéma avancera. »
On aurait voulu pouvoir lui donner tort avant qu’elle ne s’en aille, lui montrer que les choses peuvent changer. Que des femmes se battent pour donner la place aux femmes, devant la caméra, mais aussi sur les plateaux de tournage.
On aurait voulu aller encore plus loin, ne pas devoir expliquer pourquoi l’épisode 4 de la série n’est pas disponible sur France TV Slash avant 22h30. La coupable ? Une scène de squirting qui, malgré plusieurs montages, n’aurait pas passé les règles de censure (interdit aux moins de 16 ans). Alors, il faudra patienter et espérer que cette règle ne cassera pas l’élan de visionnage des spectateurs et spectatrices.
Sortir de l’hétérosexualité pour entrer en résistance
Iris Brey a dû se battre pour proposer une histoire « sans antagoniste », comme elle nous l’a raconté dans un entretien. Un choix qui souligne combien la télévision française n’est pas habituée à ce parti pris.
L’antagonisme est pourtant bien là, incarné par fragments dans des gestes, des remarques ou des insultes. Les deux mecs qui s’amusent à insulter des gouines devant un bar. La meuf trans et le mec noir qui se font systématiquement contrôler par la police. Le viol raconté sur des feuilles A4, collées à l’arrachée sur les murs de la ville, entre copines ou camarades de luttes.
En sortant de l’hétérosexualité, la cascadeuse Anna (Alma Jodorowsky) entre en résistance, celle qu’on ne choisit pas, qui fait ouvrir les yeux sur la violence d’un monde qui n’est pas fait pour nous. Ici toutefois, le milieu dépeint reste blanc, bourgeois et éduqué — des épisodes plus longs auraient sûrement permis d’explorer une plus grande multiplicité des identités et de laisser plus de place à l’intersectionnalité.
Les plus grands antagonistes sont en fait hors écran : c’est Emmanuel Macron qui assure que le masculin fait le neutre, c’est Gérald Darmanin qui dit que ça va bien se passer, c’est le cinéma qui sépare l’homme de l’artiste, qui se moque de l’importance des coordinatrices d’intimité, le cinéma, encore, qui nous force à aimer des films qui ne nous aiment pas.
Iris Brey nous indique une autre voie dissidente, one way to dykeland, comme le chante Rebeka Warrior dans l’incroyable bande-originale (co-composée avec la magicienne Maud Geffray). Un aller simple dans le lesbianisme comme outil d’émancipation politique et intime, un outil de joie, de sororité, de complicité, de rire, de puissance, d’amour, de soutien, d’orgasmes, de dialogue, de passion, ex-hétéro, etc.
Le verdict
On a aimé
- Une histoire qui fait du bien
- La BO impeccable
- Bravo les lesbiennes
On a moins aimé
- Un discours parfois didactique
- La censure de l’épisode 4 sur FranceTV Slash
La série d’Iris Brey est une des rares productions françaises à montrer aussi bien la joie d’une relation amoureuse lesbienne, ancrée dans une société moderne hétéropatriarcale. Une sorte d’utopie réaliste, qui donne des clés pour trouver de la puissance dans la sororité et des voies alternatives pour créer du lien.
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