Il y a celles et ceux qui se demandent si le mystérieux étranger tombé du ciel est Gandalf dans la série Les Anneaux de pouvoir. Il y a aussi les personnes qui s’interrogent sur la véritable nature de l’énigmatique Tom Bombadil. Autre question récurrente : celle de l’ordre de lecture des romans. Faut-il commencer par Le Hobbit ou bien faut-il prioriser Le Seigneur des anneaux ?
Voilà les questionnements qui circulent habituellement parmi le commun des mortels au sujet de l’œuvre de Tolkien. Viennent alors les juristes, dont l’esprit va révéler d’autres interrogations, beaucoup plus surprenantes. Les Ents ont-ils des droits ? Qui est souverain dans les mines de la Moria ? L’utilisation d’un palantir est-elle conforme au RGPD ?
Tous ces sujets, et plus encore, sont au cœur d’un ouvrage tout à fait étonnant à lire : Le droit dans la saga Le Seigneur des anneaux. Ici, il ne s’agit pas de se lancer dans une étude complexe et universitaire des écrits laissés par l’écrivain britannique (bien des ouvrages s’en chargent déjà), mais de les aborder sous un prisme inédit : notre droit.
L’exercice, bien évidemment, est on ne peut plus théorique. La Terre du Milieu est un univers fictif, avec des accents antiques et médiévaux. On est très loin de notre réalité et, surtout, de notre droit positif, forgé en particulier au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Cette tentative offre toutefois l’occasion de revisiter la saga avec une approche originale, mais bien documentée.
L’ouvrage peut, en effet, se targuer d’avoir réuni une équipe d’auteurs et d’autrices qui est à la fois experte en droit, et passionnée par Le Seigneur des anneaux. Docteurs en droit, maîtres de conférence, professeurs, avocats, doctorants… ce sont en tout quinze personnalités qui se sont associées à cette tâche, consistant à croiser le droit et la pop culture.
Évidemment, cette pluralité de plumes a pour effet une certaine hétérogénéité dans le style. Ici, un contributeur pourra avoir une écriture plus libérée et décontractée. Là, une intervenante aura un formalisme plus appuyé. Cela ne gâche pas la lecture, cela dit. Ensuite, la façon dont chaque chapitre est construit suit une structure semblable, dans les grandes lignes.
Le Mordor est-il un État terroriste ?
Les questions, absurdes, sont fascinantes. Le caractère terroriste du Mordor, par exemple, requiert, comme un travail de dissertation, de décortiquer chaque terme. C’est quoi, d’abord, le Mordor ? Où se trouve-t-il ? Que sait-on de lui ? Qui règne là-bas ? Quelles sont ses intentions ? Y a-t-il des choses à dire sur les rapports entre le Mordor et le reste de la Terre du Milieu ?
Nul doute que les fans du SdA n’auraient aucune difficulté à disserter des heures durant sur le sujet. Cela dit, ces questions, quand on les passe au tamis du droit, deviennent plus ardues. Parce qu’il faut aussi définir ce qu’est un État. Ensuite, il s’agit de se demander si les pratiques militaires du Mordor sont assimilables à des actes terroristes.
Enfin, il s’agit de démontrer si ces actes terroristes sont mis en œuvre d’une façon telle qu’ils sont en réalité institutionnalisés et systématiques — ce qui validerait, a priori, l’idée que le Mordor est bien un État terroriste. Cela, tout en rappelant au passage des notions clés comme le terrorisme. Notions dont le sens diverge parfois si l’on se place sur un plan politique ou légal.
On peut sans risque dévoiler la conclusion de la réflexion juridique construite dans l’ouvrage au sujet du statut du Mordor, car elle n’étonnera personne. Oui, le Mordor peut être considéré comme un État terroriste, compte tenu des spécificités que l’on connaît de cette région et de celui qui y gouverne. Éloïse Petit-Prevost-Weygand, docteure en droit public, s’achève ainsi :
« On peut déduire de l’organisation apparente du royaume l’institutionnalisation d’une politique de terreur à l’égard des peuples libres de la Terre du Milieu. Au-delà d’une administration autoritaire, le Mordor semble être organisé de longue date selon un système prônant la violence envers les peuples, dont on peut déceler l’origine dans les guerres précédant la confection de l’Anneau. »
« Son appareil administratif est tout entier organisé autour d’un objectif de conquête par la destruction et la peur. La manifestation de sa politique extérieure est un exemple des plus explicites ». Comme « les politiques d’exactions contre les populations civiles, la volonté d’éliminer toute vie humaine sur Terre par des moyens cruels en prônant la terreur, la recherche de la corruption du pouvoir par la violence. »
Ce n’est ici qu’un petit aperçu de l’échafaudage qui a permis d’arriver à ce constat. Il a auparavant fallu noircir plusieurs pages pour rappeler d’abord le contexte, puis faire un focus juridique, avant de croiser les deux univers et d’apporter la réponse à la question posée initialement. C’est la même recette que l’on retrouve globalement dans les vingt questions composant l’ouvrage.
Connaître l’œuvre de Tolkien pour apprécier
Paradoxalement, ce n’est pas la matière juridique qui est la plus complexe. Il n’est pas nécessaire d’avoir un quelconque bagage en droit pour réussir à suivre — c’est suffisamment pédagogique pour être accessible aux non-juristes et aux jeunes gens (les ados peuvent le lire). En revanche, c’est sur les connaissances du Seigneur des anneaux qu’il faut être solide.
Vous allez naviguer entre diverses références : les trois romans du SdA, les trois films qui en sont tirés, et par ailleurs le livre du Hobbit, les trois films qui ont suivi, ainsi que la série et plusieurs autres ouvrages du même univers : Le Silmarillion, Les Aventures de Tom Bombadil, Les Enfants de Húrin, Les Contes et légendes inachevés ainsi que L’Histoire de la Terre du Milieu.
Les personnages principaux comme les lieux majeurs ne vous échapperont pas. En revanche, vous pourriez vous faire surprendre au détour d’une démonstration, quand il sera question de Gués de l’Isen, d’Eskenbrand, de l’Ouestfolde, d’Alfrid Lickspittle ou bien d’Hirgon. Il faudra peut-être faire quelques allers-retours sur le net si un nom ne vous revient pas.
Bien sûr, toutes les questions ne vous plairont pas de la même manière. Certaines questions sont particulièrement alléchantes — on en a cité quelques-unes, mais d’autres valent le détour : le Conseil d’Elrond est-il une organisation internationale ? Qui est souverain dans la Moria ? Les atteintes portées à l’Anneau sont-elles des crimes ?
Ne vous fiez cependant pas à l’apparente aridité d’autres questionnements ou titres de chapitres. Il y a souvent des explications passionnantes à découvrir. On pourrait regretter l’absence d’un deuxième tome. On peut se consoler en se rabattant sur les autres ouvrages de la collection, où l’on parle du droit dans Star Wars, Harry Potter et Jurassic Park.
Et à l’idée que l’univers de Tolkien continue de se développer, avec, en 2024, un film d’animation La Guerre des Rohirrim et la saison 2 des Anneaux de pouvoir.
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