La question de la préservation et de la transmission du patrimoine vidéoludique est un vaste débat, aussi passionnant que capital pour notre média. Bien sûr, chaque initiative visant à rendre très facilement accessible, et dans de bonnes conditions technologiques, des gloires du passé est à accueillir avec autant de bienveillance que d’enthousiasme. C’est de prime abord ce qui prévaut devant ce Tomb Raider I–III Remastered. Cette compilation est disponible depuis le 14 février 2024 sur PS5, PS4, Xbox Series X, Xbox Series S, Xbox One, Nintendo Switch et PC.
Lara Croft au musée
« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », disait le poète — et le vieux journaliste pigiste. Lorsqu’il sort à la toute fin de l’année 1996, le premier Tomb Raider est une authentique révolution. Nous sommes alors en pleine deuxième vague des jeux de la première PlayStation, aux balbutiements de l’ère de la 3D dans les jeux vidéo, et voilà une petite équipe de cinq développeurs et une développeuse anglais qui nous livre un jeu d’action-aventure époustouflant. Le succès est immédiat, mondial, ravageur, au point que son héroïne (ce simple fait est en soi incroyable à l’époque) est propulsée au rang d’icône de la pop culture. Elle s’affiche en couverture de magazines grand public, dans des pubs télé pour des voitures ou sur scène aux côtés de U2.
Mais voilà, 1996 — en témoignent mes douleurs lombaires et la teinte grisée qui envahit peu à peu ma barbe de trois jours –, c’était il y a bien longtemps. Aujourd’hui, pour bon nombre de joueuses et de joueurs, Lara Croft n’est que cette jeune femme torturée dans le célèbre reboot de 2013 et transformée en machine à tuer dans ses deux suites embrassant vaillamment leur statut de AAA d’action-aventure assez générique. Il y a donc fort à parier que Tomb Raider I–III Remastered sera leur premier contact avec ces épisodes fondateurs. Et c’est bien ce qui me chagrine.
Un tank nommé Lara
Pour les vieux et vieilles comme moi, pas trop de souci. Ce remaster fait le job : on retrouve les trois jeux et leurs contenus additionnels dans leur état d’origine, au pixel près. Si l’on se délecte de ses blocs 3D rudimentaires aux textures pataudes, un simple clic sur Start à n’importe quel moment (même durant les temps de chargement ou dans les menus) fait basculer le jeu dans une version graphique remaniée. L’évolution est là : une Lara Croft très détaillée, quelques assets en 3D (remplaçant les sprites d’antan) et surtout des textures entièrement retravaillées ainsi qu’un rendu des lumières plus poussé. Le trip nostalgique peut donc être total ou bien plus doux pour des yeux de 2024, tout en gardant une certaine patte… vintage. Malheureusement, Aspyr a oublié de proposer un réglage de la luminosité pour s’adapter à nos télés 4K modernes et certains passages dans la pénombre (en particulier sur Tomb Raider 1 où les torches n’étaient pas encore implémentées) sont de ce fait extrêmement difficiles à jouer.
Quand un mod fait mieux…
Ironie du sort, grâce au Dr. Esteban Grine, j’ai tout récemment découvert l’existence d’une version graphique remaniée bien plus belle et pertinente : un mod PC qui utilise la technologie RTX pour bouleverser le rendu esthétique du premier épisode tout en conservant sa patine rétro si singulière. La réussite est totale et met une sacrée claque au travail d’Aspyr. Je vous laisse juger en cliquant sur ce lien.
Mais il y a surtout un vrai souci d’ordre conceptuel avec cette compilation. Elle pourrait se résumer en une question : ces trois jeux sont-ils vraiment jouables en 2024 ? Première étape : dompter leur maniabilité. Particulièrement rigoureuse et intransigeante, dès 1997, elle semblait déjà anachronique. Super Mario 64 avait montré la voie en juin 96, embrayée par Sony l’année suivante avec le lancement de sa DualShock qui nous offrait deux sticks analogiques permettant une souplesse de maniement sans pareil. Autant dire qu’aujourd’hui, la lourde précision de Lara Croft est assez saisissante — même si, à titre personnel, je trouve que cela fait partie intégrante du charme et de la qualité de ces épisodes.
Aspyr a bien tenté d’y remédier en proposant une maniabilité « moderne » (mouvements plus libres, couplés à la gestion de la caméra par le stick droit), mais le constat est implacable : l’architecture des niveaux et le gameplay sont presque incompatibles avec cette option. Rien que pour prendre son élan pour un saut, il faut dix minutes en « moderne » contre une seconde à l’ancienne — l’affaire est vite entendue. Pour les nouveaux venus, il y aura un petit effort à consentir, mais on ne doute pas qu’il soit loin d’être insurmontable.
Un level design qui rend fou
En revanche, la complexité des jeux, elle, risque de vous faire vite aller sur YouTube ou choper des soluces sur les sites de fans (déjà moi, à l’époque, j’ai ruiné mes parents à coups de 36 15 JOYPAD). Dès Tomb Raider II, le level design des jeux devient labyrinthique et tordu, quitte à friser l’irrationnel et l’absurde. Le truc, c’est qu’il n’y a vraiment aucune logique, sinon celle de ses créateurs : des vingtenaires shootés au RedBull qui bossaient 7j/7 jusqu’à 4h du matin et se tiraient la bourre pour savoir qui arriveraient à faire le niveau le plus complexe, tout particulièrement sur Tomb Raider III… Pour des joueuses et joueurs désormais habitués aux structures linéaires peinturlurées de blanc ou de jaune pour bien montrer les chemins possibles et aux cartes regorgeant d’icônes et d’objectifs, le contraste risque d’être rude. Très rude.
C’est précisément là qu’Aspyr aurait dû jeter toutes ses forces et sa créativité en proposant des options pour adoucir l’expérience : aides visuelles, indices, réglages de la difficulté (dès le II avec ses myriades d’ennemis, ça devient n’importe quoi), accès facile au cheat codes (ceux de la version PC fonctionnent toujours, ouf !), choix des niveaux, mode sans échec, icônes… Il y avait tellement de choses à faire pour atténuer cette absurde surenchère de pièges, d’impasses et de détours sans dénaturer l’expérience initiale. On est sur une compilation hommage à des jeux mythiques qui sort en 2024 ; les rendre accessibles à tous points de vue aurait dû faire partie de la mission d’Aspyr. Quant à l’absence totale du moindre bonus (artworks, making of…), elle laisse un vide béant dans mon cœur d’ancien…
Attendez, j’ai une solution !
Je suis donc obligé de faire ce triste constat : j’ai bien peur que Tomb Raider I–III Remastered ne saura satisfaire que les anciens fans de la licence, celles et ceux qui saignèrent jadis sur ces titres intransigeants et pourtant si mémorables. Mais pas de panique, j’ai une solution pour les plus jeunes qui voudraient se frotter à l’esprit original de la série sans que le fossé ne soit infranchissable pour eux. Tout d’abord, le formidable Anniversary sorti en 2007. Déjà poussé par Crystal Dynamics, il s’agit d’une relecture modernisée (c’est-à-dire avec une maniabilité accessible et efficace) du tout premier épisode qui fait parfaitement son travail de réinterprétation du titre de base.
Vous pourrez ensuite tenter une plongée dans Underworld, épisode trop mésestimé de la saga. Sorti en 2008, il s’est pris de plein fouet la seconde vague de jeux PS3 et Xbox 360 (Uncharted et Assassin’s Creed en tête). En comparaison, il n’était pas franchement à son avantage, lui et son orientation très sage et classique. Pourtant, il reste un des Tomb Raider « à l’ancienne » les plus réussis. Il a en plus le mérite d’être encore très beau et jouable aujourd’hui. Bonne nouvelle : Anniversary et Underworld sont souvent soldés et affichés pour une bouchée de pain sur Steam. Foncez si vous ne les connaissez pas.
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