Né dans le sillage de Black Flag, l’épisode pirate d’Assassin’s Creed sorti fin 2013, Skull and Bones est le premier projet d’envergure d’Ubisoft Singapour, grand spécialiste de la mer qui offrit ses fameuses batailles navales à la saga dès Assassin’s Creed III. Dire que le projet a été compliqué ressemble à un vilain euphémisme, tout particulièrement cruel pour les développeurs et développeuses qui se sont succédés dessus au fil du temps. Un reboot du projet, une demi-douzaine de reports… Skull and Bones a cumulé tous les mauvais clichés de l’Arlésienne pour un résultat final qui n’a, hélas, rien de miraculeux.
Les dix ans de son développement chaotique, il les porte sur lui comme de rougeoyantes cicatrices avec une réalisation datée qui fleure bon l’ère PlayStation 4/Xbox One. Pour résumer, le trailer de gameplay dévoilé à l’E3 2018 (oui, 2018 !) est plus beau que le jeu actuel qui, à ses côtés, passe pour une version alpha. Entendons-nous bien, c’est aussi regardable que jouable (même s’il vaut mieux plisser des yeux face aux PNJ), mais loin du « AAAA » next gen promis. Si le très vaste open world inspiré de l’océan Indien tente d’afficher un peu de variété dans ses environnements, le manque de détails des textures, l’aspect copié/collé de certains lieux et la perspective lointaine induite par le placement de la caméra n’aident pas vraiment à se sentir ébloui et, de facto, à nous motiver à explorer encore et encore.
Points forts
- Un open world vaste à explorer
- Contenu copieux
- Un cœur de jeu plutôt fonctionnel
Points faibles
- Techniquement dépassé
- Boucle de gameplay lassante
- Il manque tant de choses…
À l’abordaaa… Ah bah, non.
Au-delà de ces considérations esthétiques, Skull and Bones repose sur un étrange concept : faire un jeu complet à partir d’un élément subsidiaire d’un titre par ailleurs très varié et généreux — un peu comme si Kojima s’était mis en tête de faire un jeu de course avec les camions de Death Stranding. Bien sûr, il y a un cœur de gameplay tout à fait fonctionnel à la base. Naviguer sur les mers à la barre de ces imposants vaisseaux fracassant les vagues, se lancer dans des joutes explosives avec une (petite) pointe de stratégie, customiser son bateau… Passées les deux, trois premières heures très linéaires et lourdement didactiques, Skull and Bones s’ouvre et dévoile une facette plaisante qui rappelle quelques bons souvenirs.
Oui mais voilà, le jeu n’ajoute rien de sensiblement intéressant à ces mécaniques déjà usées par Assassin’s Creed (Rogue et même Odyssey exploitèrent à leur tour copieusement ces séquences navales). Au contraire, il a plutôt eu tendance à s’alléger. Encore une fois, si l’on est attentif à ce tenace trailer de 2018, on peut apercevoir une gestion du vent assez poussée, un système de combat plus fourni, une pointe d’infiltration même (en changeant la couleur de ses voiles pour tenter de passer inaperçu et attaquer l’ennemi par surprise) et des batailles, semble-t-il, plus épiques et spectaculaires.
En restant uniquement à l’échelle d’un navire entier, Skull and Bones se prive qui plus est d’éléments cruciaux. On pense en premier lieu aux abordages qui se résument ici à un clic au bon moment et à un vulgaire menu dévoilant le contenu des cales de notre proie — une aberration pour un jeu de pirates. On n’ose même pas évoquer d’éventuelles plongées sous-marines à la recherche de trésors enfouis ou de combats au sol pour capturer telle ou telle forteresse. Il y a bien quelques séquences à pieds, mais avec des animations rudimentaires et seulement dans le but d’explorer des zones minuscules à la recherche d’éventuels trésors (montrés avec un petit effet lumineux). On pourra aussi discuter avec trois bonshommes et faire des emplettes. Sans ces variations quasi indispensables, Skull and Bones nous enferme vite dans une routine usante.
Vous reprendrez bien une petite couche de surcouche ?
Pour compenser cela et chercher à s’étoffer, le jeu chavire dans une spirale assez basique de collecte et d’accumulation : trouver une palanquée infinie de matières premières de plus en plus précieuses pour bâtir des bateaux et de l’équipement de plus en plus efficaces pour nous aider à trouver des matières premières de plus en plus précieuses pour bâtir des… Vous avez compris l’idée. On peut faire un peu de contrebande, roder sur les routes commerciales à la recherche de cargaison particulière, attaquer des forts, faire du commerce… Mais tout tourne autour des mêmes leviers, encore et encore.
Autre problème : ni le scénario (franchement, inintéressant), ni la mise en scène (il n’y a pas vraiment d’effort de ce point de vue) ne viennent nous secouer pour donner envie d’avancer. Les PNJ assez moches sont plus prompts à balancer des expressions d’argot pirate grotesques qu’à essayer de raconter une histoire dans laquelle on pourrait se sentir impliqué. On ne tient donc que par cet affreux réflexe capitaliste d’enrichissement. Il fonctionne pendant les premières heures avant de s’essouffler à l’issue du énième aller-retour de dix minutes sur un océan dont les vagues de contenus similaires ne soulèvent plus le moindre enthousiasme.
La perspective de jouer à plusieurs dans ce qui se rêve en MMO/jeu-service saura peut-être éveiller la curiosité des joueurs et des joueuses, qui sait ? Il faut bien reconnaître que l’agitation ambiante que cela implique et le surgissement soudain d’un camarade humain, en mode deus ex machina pendant une rude bataille, réveillent un peu nos voyages navals. Néanmoins, en multijoueur aussi, Skull and Bones sera menacé par les mêmes écueils face auxquels sa coque bien fragile cédera tôt au tard…
Le verdict
Skull and Bones
Voir la ficheOn a aimé
- Un open world vaste à explorer
- Contenu copieux
- Un cœur de jeu plutôt fonctionnel
On a moins aimé
- Techniquement dépassé
- Boucle de gameplay lassante
- Il manque tant de choses…
Skull and Bones porte ironiquement bien son nom tant il ressemble à un squelette décharné. Dix ans de développement pour un jeu vidéo, c’est long, très long, et le titre d’Ubisoft Singapour porte tous les stigmates de ce calvaire, à commencer par sa réalisation datée. Enfermé dans une boucle de gameplay lassante à terme, le jeu fait tout son possible pour nous occuper avec des déclinaisons de missions ad nauseam et une accumulation de couches et de surcouches de craft, améliorations et personnalisations qui finissent par coller un sacré mal de mer.
S’il n’est finalement pas ce catastrophique naufrage tant redouté, Skull and Bones tient tout de même plus du radeau bricolé et balloté par des flots incertains, que du fier galion qui aurait dû nous embarquer dans une aventure épique. Bref, à moins d’avoir une irrépressible envie d’embruns et de capitalisme vidéoludique, peut-être vaut-il mieux rester au port.
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