La musique a-t-elle déjà tout inventé ? Assurément pas et Jules Hotrique nous le prouve avec son Du-touch, instrument à la croisée des mathématiques, de l’électro et de la musique de rue.

Peu de choses peuvent être aussi simples et complexes que des instruments de musique. Prenez trois objets devant vous, tapez dessus avec deux stylos différents et vous aurez déjà une variété de notes et de sons qui vous permettra de composer un morceau. Ce principe enfantin a entraîné l’humanité dans un processus de complexification extrême, créant des objets capables de produire des sons divisés en gammes et en modes, écrits sur des portées, additionnés, soustraits, combinés.

Et du Stradivarius au triangle, en passant par le synthétiseur moderne ou la guitare électrique se trouve une variété incalculable d’instruments de musique autorisant toutes les notes et toutes leurs variantes, dans à peu près toutes les positions. Reste-t-il quelque chose à inventer pour cet art qui a déjà joué avec ses limites pour revenir à son ultime antagonisme ou son plus lointain superlatif, le rien d’un John Cage ou le bruit fait art d’un Maëlstrom ? Jules Hotrique, créateur français de Dualo, en est convaincu.

https://www.youtube.com/watch?time_continue=14&v=bbTHzDS_GeM

 

On dit souvent que la musique s’approche des mathématiques et Jules ne sera pas l’exception qui confirme la règle : mathématicien de formation, c’est en appliquant des principes géométriques à la théorie de la musique qu’il a eu l’idée de son instrument. Après avoir étudié les formes harmoniques dans la plus pure tradition du solfège, Hotrique s’est mis en tête de proposer une nouvelle représentation des notes dans un espace géométrique.

Tout est parti d’un instrument qu’on retrouve sur tout le continent africain, la sanza. Ce petit piano à pouce est constitué de lamelles de métal fixées à un support qui, associées à une caisse de résonance souvent en bois, produisent une note quand elles sont appuyées. Les sanzas africaines sont accordées en pentatonique, c’est-à-dire des gammes à cinq notes. Quand on lui a offert une sanza, Hotrique a commencé par la désaccorder pour en faire un instrument sur une gamme à sept notes, l’accordage le plus commun en Europe. C’est à ce moment-là qu’il est tombé sur l’idée qui allait occuper ses dix prochaines années : il s’est aperçu que les notes finissaient par être disposées à gauche et à droite de l’instrument — les tierces se retrouvaient donc de chaque côté.

« En musique, quand il faut faire un accord, on doit faire une suite de tierces. J’ai donc étalé ça sur un espace vectoriel de dimension 2 pour avoir les dièses et les bémols. La conséquence c’est que ça m’a permis de géométriser la musique : on a plaqué les histoires d’accords et de gammes sur un espace géométrique plan », commente Jules. Et ainsi est né Dualo et les prémisses du Du-touch, instrument relativiste, qui peut se jouer sans aucune connaissance des notes dans la mesure où seule importe la position de la touche. Les accords sont des petits dessins : un accord majeur a sa pointe vers le haut, un accord mineur pointe vers le bas. Seules les intervalles entre les notes comptent.

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Mais du concept à la réalisation, il n’y a pas qu’un pas. En 2007, Jules Hotrique fait un prototype de l’objet qu’il a en tête et dépose un brevet pour protéger sa création. Musicien, il va alors enchaîner les concerts avec son instrument fait de bric et de broc, assemblé avec des pièces récupérées ici et là : « J’ai pu présenter mon instrument à des milliers de personnes et les gens venaient me voir à la fin du concert pour me dire que c’était génial, qu’il fallait le développer, en faire une version commerciale ». Aussitôt dit, aussitôt fait et le mathémati-musicien devient entrepreneur en s’associant avec Bruno Verbrugghe pour créer une société.

Le premier instrument Dualo, une version bêta, est financé via une campagne de financement participatif sur KissKissBankBank en 2015. Il fonctionne plutôt bien et permet de créer une quarantaine d’instruments, les fameux Du-touch. Il s’agit d’un boîtier triangulaire, croisement d’une sanza et d’un accordéon permettant de jouer 5 octaves. La fabrication du Du-touch est entièrement faite en France : il est assemblé à Brest et les boîtiers sont produits à Nantes.

Il faudra attendre l’année 2015 pour que Dualo commence à émerger sur le web. Sous les feux des projecteurs grâce à des passionnés qui composent de plus en plus de morceaux avec le Du-touch et les jouent sur YouTube, Dualo fait le buzz, notamment sur Facebook où des millions de personnes partagent et diffusent les vidéos des artistes. Pour la première fois depuis l’idée en 2007, Jules Hotrique sait qu’il tient entre ses mains plus qu’une chouette idée : il a créé avec son équipe un instrument sur lequel les gens veulent jouer. Ce n’est plus un objet intriguant, mais un objet qu’on achète.

Dualo, c’est un synthétiseur, un contrôleur et un séquenceur

Mais au fond, de quoi s’agit-il au-delà d’une réorganisation de la théorie de la musique — qui reste, il faut le reconnaître, un domaine abstrait pour la plupart d’entre nous ? Pour Hotrique, c’est une sanza électronique. Pour quiconque se retrouve face à l’instrument, c’est un accordéon électronique. Dans ses entrailles, on trouve à la fois un contrôleur, un synthétiseur et un séquenceur. « C’est une machine qui fait des notes. On peut envoyer des notes à un ordinateur et ensuite les envoyer vers un synthétiseur et des enceintes. L’instrument fonctionne aussi sans ordinateur puisqu’en branchant un casque directement ou une enceinte en sortie, le son est transmis. Il y a une centaine de sons préenregistrés à l’intérieur : de la guitare aux trompettes, en passant par des sons électro et toute la gamme des instruments classiques et des percussions. On peut bien sûr ajouter ses propres samples. »

Un instrument qui est donc extrêmement complet et qui possède, contrairement à beaucoup d’instruments modernes, une composante visuelle : le public voit ce que joue le musicien. Impossible de railler l’artiste qui joue sur un Dualo en lui lançant un insultant « press play to music », que les compositeurs de musique électroniques entendent trop souvent de la part de ceux qui ne saisissent pas la complexité de leur technique musicale.. Un joueur de Dualo, « c’est un peu comme le guitar hero des années 1970 avec le pied sur le retour », lance le créateur de l’objet.

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Et avec un séquenceur capable d’enregistrer et de jouer 7 boucles en même temps, l’instrument laisse libre court à votre créativité. Il est possible de jouer des morceaux entiers, tous instruments confondus, avec un seul Dualo bien maîtrisé. En combien de temps maîtrise-t-on ce concept ? Pour un musicien, il suffira de quelques jours pour prendre en main la bête. En quelques minutes, nous arrivions déjà à utiliser l’appareil pour sortir des ensembles harmonieux — l’engin empêchant à peu près toute fausse note.

Les gammes se trouvent très vite, dans la mesure où elles s’illuminent d’un côté et de l’autre de l’appareil. Comme promis, les notes n’ont pas besoin d’être apprises : elles sont vues. En prime, si vous téléchargez une partition Dualo, soit un fichier dans un format propriétaire qui a été créé par un des musiciens de la communauté, vous pouvez le jouer avec votre appareil. Le Du-touch va alors illuminer les touches utilisées par le morceau pendant qu’il le joue pour vous apprendre à le jouer, instrument par instrument, boucle par boucle. Vous pourrez également improviser sur les accords : ils restent allumés pendant le temps où ils sont joués.

 

 

Cette facilité de transmission des morceaux et d’appropriation du travail des autres musiciens a donné naissance à une communauté d’artistes qui partagent leurs morceaux sur le web et composent en collaboration, à distance. Les meilleurs tirent les débutants vers le haut.

Jules ne peut d’ailleurs se retenir de nous raconter l’histoire d’un jeune homme venu les voir après un concert avec un morceau à leur faire écouter sur on Du-touch, qu’il avait depuis 15 jours. Le groupe de musiciens qui l’entend n’est pas transcendé mais surpris de la vitesse à laquelle le débutant avait réussi à créer un morceau complet sur l’instrument, parfaitement rythmé et harmonisé. Jules lui demande alors depuis quand il pratique un instrument. Et l’autre de répondre que ce n’était pas le Dualo qu’il avait commencé à apprendre il y a 15 jours, mais la musique.

Restait un souci pour une démocratisation du Dualo : son prix. En effet, la première version de cet instrument d’un genre nouveau coûtait 990 €. Aujourd’hui, Dualo a réussi avec son nouveau produit, plus petit mais tout aussi fonctionnel, à proposer un instrument qui coûtera 499 € quand il sortira dans le commerce. Lancé sur Kickstarter pour toucher un public international, le Du-touch S commençait à être vendu à 299 € et peut encore être commandé à 349 € à l’heure où ces lignes sont écrites. Il faudra faire vite : en quelques heures, l’objectif de 50 000 euros a été atteint par Dualo qui en est à 130 000 euros levés aujourd’hui.

Une belle histoire musicale qui ne fait que commencer.

Photographies : Julien Cadot
Vidéos : Dualo
Reportage additionnel : Adèle Pillon

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