Et si vous vendiez du rêve ? Pour Penny, ce n’est pas qu’une métaphore, mais son véritable job. Le Grand magasin des rêves, signé de l’écrivaine coréenne Lee Mi-ye et paru en France chez Piquier en janvier 2024, déploie des trésors de créativité pour imaginer tout un royaume qui s’active durant nos nuits. Les dormeurs et les dormeuses s’y retrouvent, et convergent dans un lieu immense, sur quatre étages : un magasin où acquérir les rêves.
Penny y est plus précisément réceptionniste : elle accueille, tout au long de sa journée de travail, des rêveurs et rêveuses, en les aiguillant pour que toutes et tous trouvent leur bonheur — choisir un rêve qui nous corresponde n’est pas si facile ! Tout cela sous la direction bienveillante du mystérieux Dollagoot, le dirigeant du magasin.
« Elle ignore que chaque nuit elle se rend au magasin »
« C’est une habituée du magasin. Elle le fréquente depuis sa plus tendre enfance. Elle sait qu’elle a tendance à beaucoup rêver, mais elle ignore que chaque nuit elle se rend au magasin, car elle oublie tout au réveil. »
Au fil du roman, tous les types de rêve y passent : rêves prémonitoires, souvenirs d’enfance, escapades paradisiaques, rencontres romantiques, cauchemars. Chacun de ces rêves passe à la moulinette d’une histoire intimiste, souvent touchante. Récit après récit, croisant les destins, l’autrice relie nos nuits et nos jours à travers ce royaume imaginaire où la mise à nu des sentiments résonne comme une évidence.
Résultat, on se sent terriblement bien en lisant Lee Mi-ye, parce qu’on ne peut se détacher de la sensation d’être compris : elle saisit les rêves comme des artéfacts apaisés de nos vies. Ils en sont le résultat tumultueux ou l’expression d’ardents désirs parfois, certes, mais ils jouent un rôle profond : celui d’une pause. « Le moment que j’aime, c’est celui où tout le monde est endormi. Durant le sommeil, tout regret du passé et toute angoisse de l’avenir disparaissent. »
Et puis il y a une certaine magie à découvrir ce monde nocturne que l’on oublie au réveil : Lee Mi-ye dresse le portrait d’auteurs et d’autrices de rêves, dont le métier — et la vocation ! — est de concevoir ces songes pour le magasin. N’imaginez pas pour autant que Le Grand Magasin des Rêves ajoute du mercantilisme au royaume sacré de nos songes : le paiement est non seulement en différé, mais absolument pas financier. Ce sont des émotions — comme la palpitation (pour un rêve amoureux) ou l’estime de soi (pour un rêve professionnel) — qui sont au cœur de l’échange. Si vous ne ressentez rien au réveil, alors cela ne vous coûte rien. Point de surconsommation non plus, le dirigeant du magasin insiste : on y vend juste ce qu’il faut de rêve, pour ne pas se déconnecter du réel.
Tout en sensibilité et en poésie dans son récit, Lee Mi-ye nous aide à faire la paix avec nos nuits et ainsi avec la dureté du réel. Voilà qui est tendre, et original.
Le Grand magasin des Rêves, Lee Mi-ye, Éditions Piquier, 320 pages
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