Il y a quatre mois, Benjamin Biolay ouvrait un compte Instagram et un Pinterest, sobrement nommés Palermo Hollywood. L’artiste nous a accompagné dans la création et les inspirations de son nouvel album depuis le web. Retour sur l’itinéraire d’une création connectée.

Ce vendredi sort le nouvel album studio du sulfureux Benjamin Biolay, Palermo Hollywood. Haï pour son personnage public parfois maladroit, son franc parler et son engagement politique, ou adoré pour son travail de compositeur, musicien et parolier, le discret chanteur a fini par marquer la chanson française. À son rythme.

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Arrivé en 2001 sur le label EMI après un travail salué sur le dernier album d’Henri Salvador, Biolay n’a jamais vu ses compétences musicales remises en doute. Ce qui plaît moins, c’est le personnage. On l’imagine mimant Gainsbourg et cristallisant la figure d’un artiste nonchalant, un peu maudit. C’est d’ailleurs à cause des réactions et de la haine qu’il déchaîne sur les réseaux sociaux qu’il a fini par se retirer de Twitter, où il livrait et son avis sur l’actualité et des bijoux de la musique moderne (et moins moderne).

Les initiés à Biolay, ceux qui lui pardonnent tout, regrettèrent ses playlists quasi-archéologiques et passionnées. Les autres, les haters, se sont trouvés une autre cible. On pensait alors le chanteur vacciné aux réseaux sociaux, mais c’est bien mal connaître le besoin de partage et de connexion d’un artiste sincèrement généreux.

S’il est loin d’être un de ces millenials racontant leur quotidien sur Snapchat, il reste un internaute curieux, sensible et pour qui le partage avec ses proches et ses fans — qu’il est parfois difficile de distinguer — est primordial. On se souviendra par exemple de son coup d’éclat, après la victoire du Front National aux élections européennes. Il avait, en moins d’une soirée, partagé sur son SoundCloud une chanson, Le Vol Noir, pour répondre à l’actualité avec son ton, décalé, brutal et au bord du désespoir.

Benjamin Biolay est un poète à l’heure du tweet, il voudrait vibrer, pleurer et partager la douleur et la beauté sur les réseaux sociaux et on voudrait que ce soit possible. Mais rattrapé par les vagues de haine qu’il déclenche,  sa fatigue a eu raison de son engagement à répondre aux plus virulents de ses haters. Écorché vif, il n’est pas prêt pour un web où les sans-cœurs, les insensibles ont un avis sur tout — et surtout sur lui. Il reste cette image de l’Albatros du 140 caractères qui résume fort bien le malaise de ces artistes incompris que les réseaux sociaux transforment en tête de turc.

« Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »

Palermo — Hollywood, communication

Cette fois, pour cet album qui est définitivement un album-concept, Biolay a imaginé autre chose et a proposé aux internautes de suivre l’itinéraire de l’écriture de ses nouvelles chansons. Sur Facebook, Instagram et Pinterest, le chanteur et son équipe ont imaginé une sorte de chasse au trésor, semée d’images, de sensations et de sons, pour s’immerger dans les coulisses de la composition. Cette démarche, loin du teasing auquel on a l’habitude, nous donne l’occasion de nous balader dans l’histoire d’un album, dans son imaginaire et ses références.

Avec une patte de cinéaste, la naissance des chansons est mise en scène dans une trame à la fois toponymique, visuelle et musicale. Dans les pas de l’artiste, ce sont de brefs moments que l’on découvre et qui font échos aux couleurs d’un album qui nous emmène en Argentine.

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C’est donc il y a quatre mois que nous apprenions le nom du futur album de Biolay qui avait la tâche de succéder au sombre et troublant Vengeance, sorti en 2013. Palermo Hollywood, un titre reprenant le nom d’un quartier de Buenos Aires. Le quartier qui abrite l’artiste quand il fuit Paris et sa grisaille et dans lequel il nous tient la main pendant les quatorze chansons d’un album cinématographique.

Carte de Palermo à Buenos Aires

Carte de Palermo à Buenos Aires

Et jusqu’à la sortie ce vendredi de l’œuvre, le chanteur et son équipe de communication, aidé par ses proches du studio M/M, ont semé sur les réseaux sociaux des images et vidéos pour suivre l’itinéraire artistique et esthétique de l’album. Une communication discrète mais qui plonge les curieux dans la magie de la musique et de ses références et propose une réalité musicale augmentée.

Ici, nul débat, pas de politique, Biolay partage l’indicible, les brouillons d’une chanson, les longues soirées en studio, l’ambiance solaire et désespéré d’une ville suave, Buenos Aires. Une autre façon de communiquer, de teaser, infiniment plus artistique que ce que peuvent proposer la majorité des boites de communication. Et c’est ce qui plaît : cette cohérence entre l’objet artistique, l’art et sa narration numérique.

De longs mois avant la sortie de l’album, le projet était déjà expliqué par la maison de disque, en toute discrétion : « Palermo Hollywood pourrait être le générique d’un film ou un lieu imaginaire sur la carte du tendre de Benjamin Biolay, mais c’est sur le plan de Buenos Aires que l’on trouve le nom de ce quartier de Palermo, décliné en Soho, Chico ou Viejo… C’est là, en octobre dernier, qu’il a posé son sac et ses nouvelles chansons dans la couleur bleue du printemps argentin. Commencé à Paris, enregistré au nord et au sud, ce dixième album de Benjamin Biolay se promène entre les deux villes et deux hémisphères, pour mieux nous raconter une audio pelicula où se croise Ennio Morricone, ballade française, néo cumbia, lyrisme et grand orchestre…»

Un film en fragments

L’immersion est totale dès les premières notes de l’album, avec un titre éponyme qui évoque un générique : Biolay nous présente une vie nocturne, une ville et ses habitants. Et invite à la ballade dans les rues de Palermo en pleine nuit. Premier single révélé de l’œuvre, il est accompagné de son clip qui installe confortablement le décor d’une allégresse latine.

Les cordes lancinantes accompagnent un rythme mêlant percussions et des traces de tango. Un rythme lent semble vrombir sous les mots murmurées par Biolay. Quelques références toponymiques et gastronomiques laissées comme par inadvertance dans le texte, rappellent que nous sommes déjà en train de parcourir lentement un quartier hanté par la musique.

L’album continue son itinéraire sur une chanson, Miss Miss, dont l’apparente joie cache un texte bien plus amer, à l’instar du tango argentin dont Biolay s’inspire tant pour ses instrumentalisations. Ici, il convoque une foule d’instruments typiques de la musique latino, la couleur locale prend rapidement et le ton plus mélodieux de sa voix nous emporte dans l’allégresse des amours déçus sous le soleil de Buenos Aires.

Puis vient un interlude musical, difficile à cerner, Borges Futbol Club, au milieu duquel on entend une radio grésillant un moment de foot historique pour l’Argentine, un moment de Diego Maradona.

Viens ensuite notre titre préféré de l’album, Palermo Queen. Cash, sensuelle et érotisante, la chanson sent le maté et les longues après-midi d’amour passionnel. Véritable tube dont on se surprend rapidement à entonner le boom boom susurré sur le refrain. Toute la nonchalance de la culture latine et du chanteur réuni.

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On finit quand même avec La débandade par retrouver les thèmes de prédilections du chanteur, déception amoureuse, vertige de la vie et lassitude. Sur un rythme soutenu par un accordéon indolent, le texte prend sa saveur un brin désespéré.

La richesse culturelle du disque se situe dans les instrumentalisations nourries du savoir encyclopédique du compositeur Biolay quand il s’agit de dresser des tableaux symphoniques.

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En s’intéressant aux Pins dévoilés par le chanteur, on retrouve toutes ses références qui nourrissent le texte et la musique de l’album. On se plonge ainsi sans mal dans les milles vapeurs qui ont inspiré la création.

L’album s’enchaîne, mêle les langues (Palermo Soho), les toponymies, les cultures et les pop-cultures pour un mélange fascinant. Et soutenu par cet itinéraire web, véritable chasse aux trésors des inspirations, finalement Benjamin Biolay a trouvé le moyen de communiquer : en nous plongeant dans ses brouillons et l’écriture de son disque, on finit par se taire et écouter son voyage.

Assagi Benjamin Biolay ? Certainement pas et heureusement. Seulement, cette fois-ci ses ennemis devront ouvrir grand leur oreille et leurs yeux avant de formuler une critique. Gastronomique, toponymique et culturel, Palermo Hollywood se termine comme un dur retour à la réalité avec une subtile Ballade Française qui nous rappelle que l’on n’a pas quitté la France.

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Valérie Lehoux de Télérama disait à l’occasion de son émission les Sonos Tonnent qu’avec cet album, Biolay avait enfin dépassé Gainsbourg en tant que compositeur. Nous n’avons pas encore décidé, mais nous sommes certains qu’il a poussé comme personne ne l’avait encore fait les principe d’un album concept. Imprégné de ses inspirations, navigant à vue dans son voyage, dans son imaginaire, Palermo Hollywood est notre film musical préféré. Et pour la comparaison, l’impression que Biolay aboutit à ce que Serge Gainsbourg avait imaginé pour le concept de L’homme à la tête de chou.

Enfin, ces centaines de photos et de références nous conduisent à nous interroger sur les manuscrits de demain. Que restera-t-il des brouillons essaimés sur le web par les artistes d’aujourd’hui ? Les musées et bibliothèques de demain vont-ils devoir conserver des photos Instagram comme on conserve l’agenda de Proust ?

 « Le jour se lève enfin sur Palermo Hollywood
J’en mets du temps à te suivre et j’ai pas de grain à moudre
San Lorenzo, Mar Del Plata, Salta River, Tigre, Boca
Farinelli, Recoleta »

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