Le nouveau hit sur Netflix est une série de science-fiction : Le Problème à 3 Corps. Développée par les ex-showrunners de Game of Thrones, elle adapte l’ouvrage du même nom signé Liu Cixin. Cette saga littéraire est l’une des rares du genre à nous venir de Chine : la science-fiction n’a pas toujours eu bonne place dans le pays, avec des périodes de censure de ce genre très politique. Il est assez récent qu’elle soit tolérée, voire valorisée comme un outil de diffusion culturelle.
La littérature dans son ensemble reste sous contrôle, en Chine, et tout type de contenu n’est pas possible. La représentation des événements historiques, en particulier, est particulièrement scrutée (raison pour laquelle le voyage dans le temps en fiction reste un sujet délicat, par exemple). La série Netflix commence pourtant bien par une scène située en pleine Révolution culturelle, en Chine. On y voit le père de l’un des personnages être exécuté publiquement par le Parti communiste. Puis tout un pan du récit, inscrit dans cette période, suit le parcours de sa fille — Ye Wenjie. Cette exécution est la raison pour laquelle elle perd foi en l’humanité, et c’est ce qui va déclencher son geste, le fameux plot twist qui va mettre en danger le destin de toute la planète.
Cette scène a un rôle particulièrement politique, en cela qu’elle critique la violence de la Révolution culturelle. Mais elle n’est pas pour autant un ajout des showrunners de Game of Thrones. Elle existe aussi dans le livre de Liu Cixin. Sa place dans celui-ci, en revanche, n’a pas été sans remous. Si vous avez lu le livre en français, elle est située au début. Originellement, ce n’est pas le cas.
La scène d’exécution a été « enterrée » dans le livre
C’est à l’auteur américain de SF/fantasy Ken Liu que l’on doit la première arrivée du Problème à 3 Corps en Occident. Il a traduit l’ouvrage de Liu Cixin du chinois vers l’anglais. Mais, très vite, il a rencontré un souci : structurellement, la narration temporelle semblait étrange. Cette scène décisive, celle de l’exécution, arrivait très tardivement dans l’ouvrage. Ken Liu prend contact avec Liu Cixin et lui fait cette demande peu orthodoxe : transférer la scène au début de l’ouvrage, pour que cela fasse davantage sens.
Auprès du New York Times, Ken Liu se souvient de la réaction de Liu Cixin : « C’est ce que je voulais à l’origine ! » lui a répondu l’auteur du Problème à 3 Corps. Et pour cause, Liu Cixin avait 3 ans durant la Révolution culturelle menée par Mao Zedong. Sa famille en a subi la brutalité. C’était important pour lui que cela soit ancré dans son livre : cette scène devait ouvrir Le Problème à 3 Corps.
L’éditeur, lui, n’était pas très emballé par cette introduction. Les scènes étaient « trop chargées politiquement », ce qui faisait craindre la censure pure et dure à la maison d’édition. Celle-ci prend alors la décision, avec l’auteur, d’enterrer l’introduction bien plus loin dans le livre. Comme une sorte de compromis : elle n’est pas supprimée, mais davantage noyée dans l’épais récit, ce qui attire beaucoup moins l’attention. Voilà une auto-censure partielle, très significative sur le fonctionnement de la censure en Chine — on se souvient que, début 2024, un prestigieux prix de SF s’est auto-censuré par crainte de froisser le parti.
La révolution culturelle est « essentielle à l’intrigue »
Ce qu’on apprend dans le New York Times, c’est que Liu Cixin n’a jamais vraiment apprécié ce choix, en cela qu’il portait atteinte à l’esprit de l’œuvre. « La révolution culturelle apparaît parce qu’elle est essentielle à l’intrigue. Le protagoniste a besoin de se désespérer totalement de l’humanité », a expliqué l’auteur auprès du journaliste du New York Times, dans une interview à distance.
On comprend donc beaucoup mieux pourquoi il a accepté, avec enthousiasme, que la scène serve d’introduction dans l’édition traduite et publiée aux États-Unis. À l’international, ce choix va être conservé, et vous la retrouverez donc également au début de votre édition française traduite par Gwennaël Gaffric.
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