Depuis son arrivée en France il y a un peu plus d’un an, Netflix ne cesse de mettre en avant dans notre pays sa première production maison. Une série française au rayonnement international. Un duo d’acteur star. Une narration qui croiserait à la fois la complexité de la politique marseillaise et la profondeur des relations d’une famille déchirée. Une liberté de ton et de création laissée au producteur et au showrunner de la saison. Une histoire de trahison où se mêle la pègre locale, les jeux entre les partis et l’amour des Marseillais pour leur ville. Le sujet est difficile, mais pour la maison qui a produit House of Cards, il semblait de taille.
Autant le dire tout de suite : le résultat est catastrophique — et le mot est faible. Exit le thriller politique à la française, oubliées les belles promesses d’une réalisation léchée, au revoir le sceau qualitatif que Netflix met en avant pour souligner son élitisme en matière de production. Marseille est au mieux un mauvais téléfilm qu’on aurait du mal à voir programmé en-dehors d’un dimanche après-midi sur TF1, au pire une version gros budget de Plus belle la vie.
Car Marseille n’est pas House of Cards dans notre belle cité phocéenne. On aurait pu s’attendre à une histoire de rivalité politique sous fond d’escroquerie, une sorte de biopic de la ville inspiré de faits réels qui auraient donné à la série un corps et une profondeur, sur un sujet qui n’a jamais été véritablement traité en France malgré son côté indéniablement cinématographique.
Oubliez tout cela : la trame de Marseille est celle d’un soap sans grand intérêt. Qui couche avec qui. Qui reste ami avec qui parce qu’il ou elle a couché avec qui. Qui est pote de qui et qui finalement n’est plus pote parce qu’il a couché avec la copine de qui. Qui pauvre couche avec qui riche. Qui malade couche avec qui bien portant. Ajoutez un poil de trafic de drogue et vous aurez les seuls ressorts du scénario — l’intrigue politique que l’on voit dans les trailers est là pour meubler. Le drame familial, lui, se perd dans la vacuité du reste.
Mais alors, est-ce tout de même bien joué ? Gérard Depardieu, quoi qu’on pense de l’homme, est une figure du cinéma français. Ici, il est absent, il s’ennuie. On se demande si les bafouilles sont du personnage ou du client, pour ne pas dire acteur, qui aurait oublié son texte et n’aurait pas eu la patience de retourner telle ou telle scène. Magimel ? Ridicule est le mot qui vient à l’esprit quand on pense à sa performance. Tout son personnage transpire le faux, la copie ratée d’un Frank Underwood et son jeu, vraisemblablement mal dirigé dans la mesure où l’on connaît le talent que peut donner à voir l’acteur, fait de la peine.
Fremdschämen a ici une nouvelle définition
Du côté des femmes de la série, quand elles ne sont pas rabaissées par une vanne aussi grivoise que sexiste par l’un ou l’autre des personnages, leur médiocrité fait honte. Géraldine Pailhas, qui incarne la femme du maire et que l’on sait aussi bonne actrice, enchaîne les séquences dans lesquelles le spectateur, s’il a un brin d’humanité, doit se cacher les yeux par pudeur. Fremdschämen, ce mot emprunté à nos voisins allemands et qui signifie « la honte que l’on ressent à la vue de quelqu’un d’autre se mettant dans une situation extrêmement honteuse » a ici une nouvelle définition.
La jeune Stéphane Caillard, fille du maire, a l’air d’avoir reçu la consigne expresse de ne pas faire d’effort : son personnage est un conglomérat de clichés doublé d’un jeu qui ferait passer les acteurs d’Hardcore Henry pour des primés aux oscars. Le tout, sans aucun second degré : malgré sa médiocrité, on sent que la série s’estime. Et la médiocrité grandit à mesure qu’on descend dans le casting : si les personnages principaux sont sans âme, les personnages secondaires font honte, les figurants et personnages tertiaires qui donnent la réplique sonnent, eux, plus faux que vos copains dans votre premier film réalisé dans la cour du collège.
Une simple erreur de casting ? Est-ce que Marseille souffre parce que la série est, par un mauvais alignement des étoiles, le point de chute d’une médiocrité dans la direction des artistes ? Non, c’est bien pire que cela : à peu près chaque élément de cette série pris séparément est raté. Les dialogues ? Ils sont au mieux ridicules. La réalisation ? Florent Siri a choisi de nous faire le coup répété jusqu’à plus soif de la voix off qui vient narrer des choses dans la tête des acteurs, avec un écho pour faire voix du passé, enchaînant les transitions lourdes et les plans de coupe sans intérêt.
L’image ? Les meilleurs plans s’approchent des moins bons d’une bonne série, la plupart sont un enchaînement propret en éclairage studio qui finit de donner à l’ensemble un côté cheap, malheureusement pas assumé. Les paysages, la ville ? Une brève recherche nous a permis de retrouver certains de ces plans dans les bibliothèque de plans stock de Getty, la célèbre banque d’images. Les scènes d’action ? Vous rigolerez à la vue des trucages grossiers qui ne font jamais exception.
Le premier épisode est déjà une épreuve à passer mais les curieux regarderont le deuxième en se demandant s’il ne s’agit pas d’un ascenseur émotionnel à cause d’une attente trop grande. Pas de chance : le deuxième, construit presque exactement comme le premier, enchaîne encore plus de plans douloureux pour qui a un brin d’empathie pour la carrière de ces acteurs, attachants dans leur humanité, qu’on voudrait voir sous un autre jour.
On en vient à apprécier les quelques plans qui sortent du lot où l’on ne ressent pas de gêne pour eux, qui nous permettent de souffler, de nous détendre. On aime le générique, très élégant et savamment orchestré par un toujours brillant Alexandre Desplat. Le troisième épisode ? Si ce n’est pas votre métier de regarder des séries pour en écrire une critique, vous avez déjà dû abandonner.
Alors certes, ce n’est pas un drame humanitaire ou une catastrophe naturelle : simplement une mauvaise série. Nous allons nous en remettre et quoi qu’on en dise, Netflix produit et diffuse aussi des navets aux États-Unis — ils ne passent généralement pas la frontière et resteront à jamais enfouis dans l’algorithme savant qui choisit pour vous ce que vous aimerez voir.
Si Marseille nous reste pourtant en travers de la gorge, c’est que Netflix n’est pas un petit phénomène culturel à prendre à la légère : c’est aujourd’hui un vecteur culturel puissant, qui, quoi qu’en puisse en penser, fait rayonner la culture française à l’étranger. Alors pour cette première série produite en France, on s’attendait à un coup d’éclat, une occasion à ne pas manquer pour montrer aux 75 millions d’utilisateurs du service à travers le monde que oui, notre pays sait produire de l’entertainment de grande qualité, aussi profond et inspiré qu’un House of Cards, aussi brillant qu’un Breaking Bad, aussi incisif qu’un The Wire, aussi bien écrit qu’un Fargo, aussi noir qu’un True Detective, aussi humain qu’un Battlestar Galactica.
On aurait aimé que Netflix soit le porte-parole à l’étranger de notre savoir-faire ; ce ne sera que le revendeur de notre médiocrité.
Le verdict
Marseille
On a aimé
- Le générique
- Alexandre Desplat
- La communication
On a moins aimé
- Les acteurs
- Le scénario
- L'internationalisation de la honte
Ce n'est pas pour rien que Netflix a revendu les droits de Marseille à TF1. La première série française du network américain se rêvait en thriller politique et finit par n'être qu'un soap bas de gamme.
Une mauvaise série française de plus ? Oui, mais peut-être la première à avoir une portée internationale aussi grande et on aurait aimé être représenté par un chef d'œuvre. Tant pis.
Ailleurs dans la presse
- Télérama : « C’est une débandade artistique, un raté industriel pour Netflix, sans doute son premier navet « maison » »
- Le Monde : « En langage châtié, cela s’appelle un accident industriel. En langage courant, cela s’appelle une bouse. »
Crédits photos : Netflix
Cette critique se fonde sur les 5 premiers épisodes de la série diffusés à la presse.
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