Mise à jour : c’était bien un coup marketing. Le groupe s’est expliqué sur sa démarche sur le site où la vidéo était censée être vendue. La sex-tape en question se révèle être une vidéo conceptuelle et virale que le groupe a publié sur PornHub. Le groupe se targue ainsi d’avoir piégé les internautes et les médias en expliquant leur démarche, franchement borderline sur un sujet qui n’a rien de drôle.
« Si vous avez essayé d’acheter la vidéo, votre carte n’a jamais été débitée. Ce [coup marketing] n’était pas dans l’intention de faire de l’argent ou de vendre des disques, mais nous souhaitions explorer les croisements entre l’intimité, les médias et la célébrité. »
Soit.
De Valbuena à Paris Hilton, on pensait le business de la sex-tape épuisé. Et pourtant, il ne faut pas sous-estimer le pouvoir viral des affaires de sex-tape qui convoquent à chaque fois un audimat conséquent, affamé d’histoires sordides et d’intimités volées. L’histoire est souvent simple de prime abord : un couple décide de filmer ses ébats, et que ce soit du revenge porn, heureusement puni, ou du simple piratage, le fichier vidéo se retrouve sur Internet. Le phénomène, loin d’être réservé aux footballeurs et aux célébrités de la télé-réalité, aurait touché un duo de musiciens américains, le groupe YACHT.
La Tragédie, Acte I
YACHT, composé de Jona Bechtolt et de Claire Evans, est un groupe-couple partageant « une relation romantique et artistique depuis 2006 ». Pionniers d’une électro-pop déstructurée et conceptuelle, le groupe s’est distingué par son attachement au futurisme et son amour pour les nouvelles technologies. Mais s’ils sont convoqués par le buzz cette semaine, ce n’est pas vraiment pour leur musique, mais pour une sex-tape qui aurait été piratée et révélée sur le web. C’est du moins ce qu’indique dans un premier temps le groupe sur sa page Facebook.
« Aujourd’hui, à cause d’une série de faux pas technologiques et d’une personne moralement indécente, une vidéo que nous avons faite dans l’intimité a été diffusée au public. […] Claire et moi avons fait une sex-tape. Celle ci ne s’adressait qu’à nous. Et nous ne sentons pas le besoin de nous justifier pour l’avoir faite. »
Le groupe, sous la plume de Jona, se montre donc finalement assez serein face à ce leak. Rien ne les obligeait à en parler sur leur page Facebook mais les artistes étant plutôt engagés sur leur image ainsi que leur vision des technologies — Claire écrit par ailleurs pour Motherboard — on pourrait comprendre cette mise à nu.
De la vidéo volée au porno officiel
Une mise à nu particulièrement engagée comme on peut le lire : le groupe parle à la fois des revenus de l’industrie musicale, de l’ère d’Internet et du fait de partager avec son public son art et ses créations, même si celles ci ne leur étaient pas destinées. En contextualisant de manière créative le leak de leur sex-tape, YACHT finit par s’interroger sur le rôle artistique d’une telle vidéo. Derrière l’apparente tragédie, le groupe semble reprendre pied et seulement trois heures après, ils reprennent la parole sur Facebook pour annoncer une bien étrange décision :
« Cette vidéo est en ligne désormais. Nous ne pouvons changer ça. Mais nous pouvons essayer d’être aussi YACHT que possible et prendre une sorte de propriété sur ce qu’il s’est passé. […] Nous vous demandons donc, si vous le souhaitez, de télécharger la vidéo directement depuis notre site : https://fuck.teamyacht.com/ »
Le groupe prend donc la décision de devenir le propre distributeur de la sex-tape volée et propose désormais aux internautes de payer pour recevoir la fameuse bande vidéo. Sur fond de sexe, de divulgation et de gestion de leur e-réputation, YACHT donne une ironique leçon de courage.
En quelques heures, le buzz est lancé, les médias américains reprennent l’information et diffusent la décision du couple ainsi que l’adresse du site qui propose la sex-tape. L’information est traitée avec la distance, et la froideur, nécessaires dès lors qu’un buzz aussi sordide s’empare de l’actualité.
Il faut pourtant noter que le groupe est devenu en quelques heures producteur et diffuseur de sa propre pornographie et cela avec un certain succès, tout en expliquant que la vidéo volée avait brouillé de façon irrémédiable la limite entre leur intimité et leur art. Doit-on dès lors considérer leur sex-tape comme une prolongation involontaire de leur création ? D’une certaine manière, ils nous y obligent en lançant eux-même la distribution d’une vidéo pornographique que nous aurions certainement jamais vue s’ils n’y avaient pas accolé leur notoriété.
Et si c’était faux ?
Derrière l’apparente tragédie d’un groupe humilié, n’y-a-t-il pas le buzz le plus brillant de ce début d’année ? En quelques heures, avec le mot sex-tape comme tremplin, le groupe s’est retrouvé en pleine gloire dans les tabloïds, qui ne parle généralement pas d’électro-pop conceptuelle, mais aussi sur les réseaux sociaux.
Mais pourtant, un doute persiste derrière toute cette histoire : y a-t-il jamais eu de sex-tape ? Le groupe s’est lui-même mis à nu avant qu’un média n’ait remarqué la vidéo en question, qui s’avère bien introuvable sur le web.
Par ailleurs, aucun achat ne semble avoir été possible sur le site de diffusion. Les internautes se retrouvent toujours redirigés vers une erreur pour cause de surcharge des serveurs. Thump a vécu le même bug, que nous avons aussi rencontré. Un bug qui semble en cours depuis le lancement du site… il semble donc très probable qu’il n’en soit pas vraiment un.
Dès lors la théorie selon laquelle il n’y a jamais eu de sex-tape devient un peu plus crédible. Et de nombreux internautes finissent par s’interroger sur le réel sens de ce buzz. En orchestrant de A à Z cette opération YACHT n’a pas besoin de prouver qu’une vidéo existe, la gravité de la situation l’emportant heureusement sur nos suspicions de coup marketing. Mais dès lors que la vidéo n’a été vue par personne, trouvée par personne et est pourtant sur toutes les lèvres, nous pouvons légitimement nous interroger sur la nature des intentions de YACHT.
Comme le souligne un internaute sur Facebook, le nom du site fuck.teamyacht rappelle une chanson du dernier album du duo I Thought the Future Would Be Cooler dans lequel on trouve une chanson qui doit faire office de prochain single du groupe, avec un clip à venir : I Wanna Fuck You Till I’m Dead. La similitude étant bien sûr dans le fuck. Et si c’est effectivement un buzz monté de toutes pièces : it’s pretty genius.
Si c’est effectivement un buzz monté de toutes pièces : it’s pretty genius.
Bien sûr, on peut s’interroger moralement sur le buzz. Pour vendre de la musique, faut-il toujours passer par la case sexe ? Mais au-delà de s’apitoyer sur le sort de l’humanité, qui érige n’importe quelle affaire de sex-tape au rang de mythe, on peut apprécier le génial cynisme derrière une opération bien menée et stupéfiante de modernité.
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