Que dirait mon moi de 15 ans s’il pouvait se trouver à ma place pour écrire ces lignes ? Je me souviens de lui : grand fan de Warcraft, il passait ses nuits sur le jeu de stratégie, enchaînait les bouquins pour connaître le lore sur le bout des doigts et avait fini par plonger dans la drogue nommée World of Warcraft. Pendant ces années, il avait suivi avec passion les rumeurs autour du film Warcraft, scrutant les moindres recoins du web à l’affut d’une information. Peter Jackson allait le réaliser. Ce serait une production photoréaliste entièrement en CGI. Son côté épique ferait passer le Seigneur des Anneaux pour un film d’un autre siècle. Et puis après tout, Blizzard fait de si belles scènes entre les niveaux des jeux vidéo : aucune chance que le studio rate un film !
Ah, qu’il était naïf. Un peu plus de 10 ans plus tard, le film Warcraft est enfin sorti. Pas de Peter Jackson, mais Duncan Jones aux commandes. Pas de film en CGI, mais des acteurs mêlés à des images de synthèse. Une communication qui s’est faite discrète auprès du grand public, ciblant bien plus les fans de la première heure. Warcraft ne se présente plus comme le chef d’œuvre d’heroic fantasy qui va enfin sortir les adaptations de jeux vidéo de leur malédiction de médiocrité, mais comme un film marketé pour les gamers. Personne dans mon entourage qui ne connait pas le jeu n’a voulu m’accompagner au cinéma.
On est loin de l’engouement pour un Marvel ou un Star Wars qui se répand très loin chez les non initiés. Et je le reconnais, j’ai trahi mon moi de 15 ans : avant que les horribles affiches (mention spéciale à la bague dentaire de l’orc qui semble être un mauvais montage) ne soient dans tous les métros, je ne savais même plus que le film sortait.
Mais j’y suis allé tout de même, autant par curiosité que par principe. En effet, à quoi bon ouvrir une rubrique pop culture sur Numerama si l’on ne couvre pas comme il se doit la sortie d’un film adapté d’un des jeux vidéo les plus populaires de tous les temps, d’une licence qui n’a fait que des titres tous plus excellents les uns que les autres. En bon fan assumé de Blizzard, j’ai donc raté le lancement d’Overwatch et préféré voir Warcraft le jour de sa sortie.
J’aurais peut-être dû rester devant mon PC.
Les cosplayers à Hollywood
Avant d’évoquer le fond, parlons de la forme. Imaginez une forêt pittoresque, par exemple celle de Brocéliande. Vous y voyez des arbres, une petite maison typique des terres bretonnes au loin, un buisson. Des oiseaux, peut-être même un écureuil si vous avez de la chance. Maintenant, rendez-vous à la Blizzcon, lors de la finale du concours de cosplay, cette pratique qui consiste à se déguiser comme les personnages de la pop culture que l’on aime. Des passionnés redoublent alors d’inventivité et de créativité pour faire des costumes qui ont demandé des centaines d’heures de travail et dont le résultat est époustouflant.
Ces deux énoncés sont fort agréables quand ils sont séparés. Mettez-les ensemble et ils deviennent complètement ridicules. C’est tout le problème de ce Warcraft : absolument rien n’est crédible. Alors d’accord, on joue les fines bouches à vouloir rendre crédible un monde où des sangliers humanoïdes verts et rouges nommés orcs affrontent des humains en armures démesurées et où se mêle magie et démons. Mais on croit volontiers à une épopée dans l’espace avec des sabres lasers et des créatures bizarres. On croit aussi à des super héros habillés en spandex qui sauvent le monde d’aliens.
Là, rien ne fonctionne. Les costumes sont trop propres, les personnages n’ont pas d’aspérité, pas de marque. Les éclairages artificiels font passer les scènes avec les humains pour des fan fictions à petit budget qui impressionneraient si elles étaient publiées sur YouTube par des ados, mais dont on a honte quand on les voit sur un grand écran. Medivh est une sorte de hippie pas remis de festival, Kadghar est un ado aux grosses joues, proprounet, qu’on imagine jouer avec nous derrière son clavier plus qu’en puissant magicien. La peinture verte qui recouvre le corps de Garona est à mourir de rire et les guerriers Lothar et Llane, dans leur costume trop grand et toujours brillant, ont des allures de parodie.
On ne sait pas trop ce qu’il manque pour que cela fasse un effet de réel, qu’on puisse activer notre suspension of disbelief : un meilleur éclairage ? Des costumes plus sales, plus ternes ? Des plans moins proches, moins rapides ? L’impression d’amateurisme est déjà grande quand des acteurs sont à l’écran… mais jamais aussi grande que lorsque les orcs entrent en scène.
C’est bien simple : oui, Julien de 16 ans, tu avais tort et 1 000 fois tort car il ne suffit pas de faire de belles cutscenes dans un jeu vidéo pour qu’il puisse devenir un bon film. Là, les orcs ont l’air tout droit tirés d’un jeu qui serait collé en surimpression du réel. À chaque plan, on se demande pourquoi les humains ne se réveillent pas en se disant : « Aaaaah, mais suis-je bête ! Je suis dans un jeu vidéo ! C’est pour cela que je vois ces amas de pixels qui bougent et que je porte ces fringues ridicules ! » C’est comme si l’exigence de faire du fan service était passée au-delà de toutes les autres, comme si chez Blizzard, on s’était dit qu’il suffirait de reproduire l’esthétique du jeu au millimètre près, à la couleur près, pour que cela fonctionne.
On se retrouve dans un monde parfaitement faux ou rien n’a de sens
Résultat, on se retrouve dans un monde parfaitement faux ou rien n’a de sens et où chaque scène d’action ajoute sa dose de cheap. Quand on voit les yeux qui brillent des mages ou des elfes, les éclairs et même le feu, on a l’impression de se retrouver dans un clip parodique de Tenacious D.
Après, on ne peut pas enlever à Blizzard la fidélité avec son univers. Stormwind est belle. Les griffons sont particulièrement bien animés, tout comme les loups des orcs. Les créatures bougent comme dans les titres de l’éditeur et pourraient faire de beaux moments de transition entre deux missions. Sans aucun doute, mais il s’agit malheureusement d’un film qui n’a en plus pas grand chose d’autre pour lui que sa licence.
Le bon, la brute et les débiles
On a pu se moquer de Peter Jackson et de ses films à rallonge, notamment quand il a décidé de découper le tout petit Hobbit en trois films complets — autant que pour le Seigneur des Anneaux qui tient sur plusieurs milliers de pages. Ici, c’est exactement l’inverse : tout s’enchaîne à un rythme trop rapide pour être crédible. En quelques minutes, vous aurez un décor planté et une intrigue mise en place (simple, l’intrigue : nous guerre contre vous). Les personnages sont expédiés : on ne sait pas qui est qui, qui fait quoi, quelle est l’importance de tel héros, le passé de tel autre.
Le réalisateur nous assène ses plans comme des coups. En quelques minutes, une orc ennemie absolue et inconnue du royaume des humains se voit devenir l’invitée cordiale de la cour, on lui remet des habits et de la nourriture. On l’arme encore plus rapidement. Dans la chronologie du film, un quart d’heure plus tôt, c’était une alien venue de nulle part pour tuer tout le monde. Toutes les scènes manquent de profondeur, de temps, d’empathie.
Et dans ce monde, rien n’étonne jamais personne. Un cailloux multimillénaire s’ouvre pour la première fois dans la ville des mages les plus puissants du monde ? Pas de problème, laissons un gamin inculte entrer dedans alors que cela fait des années qu’on ne l’a pas vu (et qu’on allait le crucifier sur place pour traîtrise un peu moins de 54 secondes plus tôt). Un personnage que vous pensiez connaître trahit votre précieuse confiance ? Eh, souvenez-vous, il y a 25 plans c’était un parfait inconnu qui voulait vous tuer et que que vous mettiez en cage.
N’allons pas faire l’inventaire de toutes ces scènes pour ne pas spoiler davantage, mais sachez que tout le film est construit ainsi. Pas une seule fois quelqu’un pose une question ou agit de manière cohérente. Tout est si simple que les ficelles du scénario finissent par être grosses comme des baleines et je suis pourtant dans la catégorie de ceux qui n’avaient pas vu les choses arriver quand tout le monde lâche un « j’en étais sûr ».
Les acteurs ne rattrapent rien et aucune performance n’est marquante : ce sont tous, au mieux, de moyens interprètes pour jouer des rôles creux. On ne ressent absolument rien pour eux, non seulement car ils évoluent dans un univers où tout transpire le faux, mais aussi parce que rien ne les habite. Aucune mort du film n’arrive à nous toucher autant que les premiers pas que l’on fait en marchant sur les pavés virtuels de Stormwind ou dans la terre d’Orgrimmar dans le jeu.
On a l’impression d’avoir assisté à un trailer pour un film à venir
Finalement, tout s’enchaîne tellement vite qu’une fois la fin du long-métrage arrivée, on a l’impression d’avoir assisté à un trailer pour un film à venir. D’ailleurs, c’est le titre qui vient couper la scène de fin, comme un faux raccord. Une sorte de longue bande-annonce dont on sort enfin après deux heures avec le sentiment de n’avoir rien vu du tout si ce n’est une ébauche de plein de scènes montées sans transition, qui auraient pu être bonnes si elles n’accumulaient pas tous les défauts du genre.
Et dire que ce n’est que le commencement. Laissons-nous rêver : peut-être que la suite, ce sera Warcraft 4.
Le verdict
Warcraft : le commencement
On a aimé
- Les griffons
- Stormwind
- Les animations
On a moins aimé
- Tout est cheap
- Le scénario
- Les acteurs
On ne peut pas enlever à Blizzard d'avoir réussi le pari de rester fidèle à la licence Warcraft. Avec quelques clins d'œil trop rares, c'est malheureusement tout ce que ce film a pour lui.
Esthétiquement raté, peu crédible sur le fond et mettant en scène des acteurs ridicules, Warcraft a tout du navet inspiré par une licence issu du jeu vidéo. Tant pis : nous continuerons à arpenter les terres d'Azeroth avec joie sur nos PC.
Qu'importe qu'on connaisse la licence ou pas : ce Warcraft a tout d'un navet à gros budget.
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