Les courtisanes d’Heeramandi se rebellent contre la colonisation anglaise de l’Inde, sur Netflix. Cette série indienne, disponible depuis le 1er mai 2024, se déroule dans les années 1940, alors que la révolte politique gronde dans le pays. Dans ces 8 épisodes, le réalisateur Sanjay Leela Bhansali nous raconte ainsi la vie des tawaifs. Si la série intègre une histoire de meurtre, une intrigue politique et des trajectoires intimes, les courtisanes ont véritablement existé en Inde. Les personnages sont fictifs ; mais pas leurs sources d’inspiration.
Heeramandi ou les courtisanes en Inde
Les tawaifs (traduisible par « courtisanes ») étaient des figures très importantes en Inde. Elles étaient même des « idoles culturelles », explique Radhika Raghav, professeure en sciences sociales spécialiste du sujet, dans The Conversation. Elles étaient des figures à la fois d’entrepreneuses et d’intellectuelles.
« Suivant généralement un système d’héritage matrilinéaire [de femmes en femmes], les courtisanes transmettaient leurs connaissances et compétences professionnelles aux filles talentueuses de la maison », ajoute Radhika Raghav. Ces connaissances et compétences : la musique, la danse, la mode, la poésie, les langues, la littérature ou encore l’« étiquette » sociale. Après leur formation transmise par héritage, elles s’attiraient le patronage d’aristocrates féodaux, d’officiers coloniaux, de membres de la cour royale.
Elles avaient alors des privilèges interdits à la plupart des femmes du pays, comme une formation éducative et… un salaire. En plus de détenir un pouvoir certain, d’avoir la possibilité de voyager ou encore d’embrasser la fluidité de genre. « Leur indépendance financière, politique et sexuelle remettait en question les normes patriarcales en matière de genre et les lois morales hindoues restrictives qui dictaient la vie des femmes issues de familles de la classe moyenne supérieure. »
Du fait de leur pouvoir, elles ont eu une influence politique, économique et culturelle en Inde. « Même si le monde ne chante pas leurs louanges, elles ont joué leur rôle dans l’histoire et elles ont fini par trouver la liberté », affirme le réalisateur Sanjay Leela Bhansali, dans le TIME. Il espère justement que la série permette qu’on les voie.
Un récit inspiré par de vraies courtisanes
Les femmes présentées dans la série Netflix sont construites en partie sur des récits historiques, provenant de véritables tawaifs. C’est en particulier le cas pour l’une des héroïnes, Bibbojaan (interprétée par Aditi Rao Hydari), qui est inspirée par Azizan Bai.
À Kanpur, dans le nord de l’Inde, celle-ci a soutenu (financièrement notamment) une rébellion en 1857 contre la Compagnie britannique des Indes orientales. D’ailleurs, peu à peu, au fil du 19e siècle, les résidences de courtisanes de tout le pays sont devenues des repaires pour les rebelles.
Mais si la série décrit les courtisanes comme des patriotes anti-colonialistes, la réalité était complexe : les nationalistes n’étaient pas franchement favorables au mode de vie des tawaifs. « Les idéaux impériaux et nationalistes s’opposaient tous deux à la liberté sexuelle des courtisanes », nuance Radhika Raghav. Pire : pendant toute une période, au début du 20e siècle, « les réformateurs hindous et les nationalistes bourgeois se sont joints aux missionnaires chrétiens pour organiser des campagnes anti-nautches [anti-courtisanes] », en militant pour le boycott de leurs résidences au nom d’une « immoralité » supposée.
Cela a conduit au déclin de leur classe — tel qu’on le voit dans la série située dans les années 1940. Toutefois, comme l’indique la chercheuse Radhika Raghav, les courtisanes ont « su se réinventer » en entrant dans la modernité. Ce, en misant par exemple sur la chanson — à l’image de Gauhar Jaan, courtisane devenue chanteuse réputée –, et en développant l’industrie cinématographique indienne.
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