Sur le papier, beaucoup affirmeraient qu’il n’y a pas la moindre once de profondeur politique dans Mad Max : Furiosa. Le nouveau film de George Miller emballe une histoire de vengeance dans un road rage survitaminé à l’univers nihiliste — pour un film d’action massif, vrombissant et brutal. Mais au cinéma, le nihilisme est rarement vain : que cherche exactement à raconter George Miller ?
Derrière un monde de motos et de véhicules pétaradant, Furiosa est une fable écolo. Derrière un monde essentiellement constitué d’hommes bêtes et méchants, Furiosa s’en prend brutalement au masculinisme. En définitive, ce nouveau Mad Max est beaucoup plus politique et critique qu’il n’y paraît.
Une eschatologie du pire
Il y a peut-être quelque chose d’étrange à qualifier un film Mad Max de fable écologique. Car, oui, la saga repose sur ce qu’il y a de pire d’un futur non-désirable, où les enjeux sont dirigés vers un centre névralgique produisant du carburant pour alimenter les véhicules. Un endroit littéralement dénommé Pétroville.
Mais Furiosa obéit à la même eschatologie radicale — voire plus encore — que Fury Road, dans une représentation suprême du pire. C’est une mutation monstrueuse de l’humanité, vidée de sa substance. L’âme est devenue aussi machinique que le système techno-capitaliste : pire, ce système a littéralement pris vie dans la réalité, à l’image de ces voitures devenues, quasiment, des protagonistes (une caractéristique de Mad Max).
Dans ce futur, il n’y a plus de sens et les lueurs d’espoir sont aussi rares que l’eau et la nourriture. Pourtant, le film commence dans un « lieu d’abondance ». Une région boisée, arable, fonctionnant aux énergies renouvelables. Les origines du personnage de Furiosa sont une utopie perdue, et même arrachée par la violence lors de son enlèvement en lisière de la ville. C’est sur ce contraste que joue George Miller, et il est appuyé par la violence des sonorités.
Les scènes d’action assourdissantes de bruits de moteur et de pneus, vociférantes jusqu’à l’épuisement et jusqu’à l’arrachement de toute pensée, s’achèvent sur un grand silence. Séquence après séquence, le tumulte sonore est un objet cinématographique qui accompagne la destruction de l’espace vital — celui des personnages comme le nôtre. La mise en scène constitue en elle-même la critique.
La brutalité des hommes
Même porté par une héroïne, Mad Max : Furiosa est extrêmement masculin. Ce sont essentiellement des groupes d’hommes qui font la guerre à d’autres groupes d’hommes. Dans la Citadelle, les femmes font du lait et des enfants. Le personnage de Furiosa, enfant, échappe à une agression sexuelle et le meurtrier de sa mère — qui lui a fait subir les pires sévices — prétend « la protéger des regards lubriques ». Là encore, le pire est représenté : ce futur oppresse les femmes, c’est un fait.
Ce monde d’hommes ferait presque écho à l’éco-féminisme : le patriarcat comme force fondamentalement oppressive, destructrice, esclavagiste ; la brutalité d’un genre envers un autre répondant à la brutalité de l’humanité envers la planète et toutes les autres formes de vie. Alors George Miller prend le masculinisme, cette idéologie androcentrée, misogyne, violente, absurde, et en fait un monde dystopique. Non sans moquerie.
Les terres désolées de Mad Max Furiosa obéissent à des règles profondément bêtes. Les hommes de ce futur sont des abrutis finis. Ils sont paradoxalement aussi ridicules qu’ils sont terrifiants. D’autant qu’ils subissent leur propre brutalité ; ne trouvant eux-mêmes plus le moindre sens à leur action, si ce n’est que l’ordre des choses, tel qu’ils l’ont assimilé, leur impose de continuer.
C’est ainsi que le personnage interprété par Chris Hemsworth n’est autre qu’un taré vicieux et pas très malin, déclamant qu’il n’y a pas de place pour la sensiblerie mais ne quittant jamais sa peluche adorée — issue de la perte de ses propres enfants, perte causée par ce monde dont il entretient pourtant lui-même la désolation.
Furiosa dévore notre espace vital
Le scénario de Mad Max Furiosa est, en apparence, très léger : il s’agit d’une histoire de vengeance dans un monde post-apocalyptique brutal. Ce film d’action qui ne cesse jamais de pétarader, qui s’avère même parfois un poil répétitif sur la fin, est pourtant bien un tableau géant de la bêtise humaine. La dissolution de la notion même de sens, la disparition de l’éthique et de la dignité humaine, sont condensées en une course-poursuite qui ne s’arrête jamais.
Cette fuite en avant est un grand spectacle, c’est certain. Mais elle répond aussi à des craintes politiques profondément déstabilisantes. Mad Max Furiosa dévore notre espace vital pendant 2h30 : un sentiment que l’on connaît bien dans le monde moderne, non ?
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