Mise à jour : Le nom d’Ariana Grande est aujourd’hui accolé à l’attaque terroriste perpétrée lors d’un concert de la jeune star à Manchester. Son parcours comme sa personnalité illustrent,
https://twitter.com/ArianaGrande/status/866849021519966208
« Ariana qui ? » : voilà la réaction que nous avions choisi d’avoir face à un phénomène que nous ne comprenions pas. Ariana Grande. La jeune interprète couvée par Nickelodeon nous donnait l’impression d’être l’une de ces énièmes enfants stars qui désespèrent de devenir des adultes stars, dans un monde qui les a déjà et cruellement oublié avant qu’ils n’aient touché leur premier cachet.
Ces kids des 90’s élevés au pur grain Disney sont devenus soit des icônes, Gosling et Spears, soit des parias (qui se souvient de Lyndsey Lohan ?). On pensait la machine à faire des bébés stars épuisée et dépassée par Napster et Instagram. Spoiler : on se trompait clairement.
Génération Bob l’Éponge
Étant de consciencieux curieux, nous avons passé au crible la discographie déjà incroyablement prolixe de la jeune Ariana Grande. Alors que notre bébé diva n’a, aujourd’hui, que 22 ans, elle compte déjà trois albums studios. À titre de comparaison, Michael Jackson a sorti Thriller à 24 ans — sixième album studio, mais seulement son second en dehors du groupe familial.
Née en 1993, Ariana est une millenial pur jus. Elle, comme ses fans et comme nous, a grandi devant Disney Channel et ses fantasmes de célébrités éclaires, ultime réminiscence d’un american dream en décomposition culturelle. Très jeune, notre apprentie célébrité s’est décideé à rentrer dans le star système des kids, qui aux U.S.A. se partage entre concours de beauté, casting et comédie musicale petit budget.
Loin de toucher son American Dream dès ses premiers pas, Ariana va plutôt enchaîner les petits succès et les flops sur Broadway. Mais qu’importe, déterminée et dotée d’un appareil vocal hors normes — nous y reviendrons — elle finit par décrocher un rôle pour une show musical de Nickelodeon, Victorious.
Le sitcom lancé en 2010 par la chaîne câblée des kids piétine explicitement les plates-bandes de Disney Channel, dans un remake pas très subtil du phénomène Hannah Montana. Nous ne rentrerons pas dans les détails superficiels d’un sitcom pour les moins de quinze ans mais c’est grossièrement une énième histoire d’école d’art pour devenir une star. Un Poudlard de la pop, encore et encore.
Le succès populaire et les audiences sont là malgré tout. Et curieuse anecdote, lorsque Ariana Grande rejoint le casting de la série, la chaîne ne mise pas du tout sur elle, jugée trop lisse. C’est l’héroïne principale, jouée par Victoria Justice qui devait récolter la gloire et la carrière quasi-systématique après ce type de phénomène pour ado. Aujourd’hui, on ne sait même pas qui est cette Victoria, en revanche, l’actrice secondaire du fond de l’affiche, Ariana Grande, est désormais partout. Le show-business des enfants n’est pas moins violent que celui des adultes.
Aidée par le succès de la série et l’incroyable popularité de son personnage, même s’il est secondaire, la jeune Ariana est têtue et désire, elle aussi, sa part de l’american dream. C’est ce qui la poussera à tenter de se faire remarquer par toutes les branches de l’industrie musicale. Et au vu de sa discographie particulièrement incohérente, la jeune fille s’est cherchée, ou du moins a-t-elle cherché l’équipe de producteurs qui ferait d’elle un produit pur et parfait de l’entertainment.
Toujours accompagnée sur le sol américain d’un vrai plébiscite populaire, la jeune interprète grimpe très vite les marches des institutions. La critique n’est pas toujours délicate avec la pop bordélique d’une gamine même pas majeure, mais sa communauté — les arianators nous dit-on — est déjà là à soutenir la moindre tentative artistique d’Ariana. De l’EDM grossière et abrutissante des morceaux comme le très entendu One Last Time à du R’n’B aux accents 90’s façon Mariah Carey sur les EP de Noël de la chanteuse, Ariana a tout essayé ou presque.
Car Ariana est une éponge. Et c’est là tout l’intérêt de sa personnalité qu’on hésite encore à appeler artiste, peut-être à cause de vieux réflexes patriarcaux… La vision artistique d’Ariana ? Inconnue. Et ce n’est pourtant pas les interviews avec l’idole adolescente qui manquent, mais si on sait à peu près tout de sa vie — elle est végétarienne, adore ses animaux de compagnie et sort avec un de ses danseurs — nous ne savons rien du projet derrière Ariana. Enfin, dire que l’on ne sait pas est une manière de dire que l’on sait qu’il n’y a aucun projet artistique, seulement une jeune femme dopée aux bons sentiments et à l’énergie débordante qui rêve désespérément de projecteurs.
Ariana Grande est l’éponge d’une génération née après la chute du mur, nourrie culturellement par la fin des 90’s, digital native et furieusement désenchantée, une éponge qui absorbe et les codes et l’imaginaire de son milieu naturel. Et la célébrité ne peut pas lui enlever ce statut d’étrange cocktail culturel post-moderniste, car malgré ses quarante milliers d’abonnés Twitter, notre jeune fille continue de poster des heures et des heures de snap de sa vie, des centaines de photos Instagram de son quotidien et des milliers de tweets de jeune fille en fleurs.
Ainsi, le jour avant que nous rencontrions la diva sur scène, elle postait sur les réseaux sociaux sa tristesse pour son chien qu’elle devait emmener au vétérinaire. Vous avez dit vision artistique ? Nous, nous ne voyons qu’une millenial comme les autres et c’est là toute la magie du produit Grande.
https://twitter.com/ArianaGrande/status/740586097382723584
Ainsi, lorsqu’on retrouve Ariana au Trianon pour un showcase privé auquel avait été invité ses fans ayant réussi à remporter l’une des quelques 300 places qui avaient été mise en jeu, on comprend rapidement la fulgurance et l’efficacité de cette stratégie. Si on peut appeler ainsi une mise à nu volontaire, assumée et totalement normalisée par la société numérique.
Par exemple, nous retrouvons parmi les invités du show une certaine Emma CakeCup, qui ne nous est pas totalement inconnue car nous l’avions découverte lors de la GetBeauty. Fiers d’avoir reconnu une icone de YouTube, nous la saluons cordialement avant le concert et nous échangeons quelques mots, soit. Mais c’est en pleine première partie du show que nous allons découvrir qu’il ne faut jamais sous-estimer les millenials : dès que le parterre d’adolescents va découvrir que la vidéaste est parmi eux, toute la foule va se mettre à organiser une standing ovation pour la YouTubeuse.
Et Emma CakeCup que nous imaginions naïvement relativement confidentielle se retrouve à avoir un statut de célébrité à part entière avant le début du show. C’est bien ce qu’il faut comprendre, de YouTubeuse à chanteuse ou star de sitcom, il n’y a qu’un pas, voire aucun pour les nouvelles générations qui ont vaguement entendu parler de la télévision mais, pour généraliser sans subtilités, ont arrêté de la regarder depuis qu’ils ont Snapchat et YouTube.
« Ariana my lil mama, goodbye to the good girl »
En somme, Ariana était jusque-là un animal réseau-social particulièrement fascinant et qui, l’air de rien, disait beaucoup de notre jeunesse et de son rapport à la célébrité, une jeunesse complètement globalisée qui s’étend, pour le public de Grande, de la Corée à la Nouvelle-Zélande en passant par l’Italie et Taïwan. Rien que ça. Mais il a fallu, comme le veut la règle de péremption des idoles des millenials que la jeune chanteuse passe l’épreuve du feu : étendre son public en brisant son image d’enfant-star.
Une des épreuves les plus périlleuses d’une carrière d’enfant star, qui se finit malheureusement souvent dans le crack et les seconds rôles dans des navets. Et en somme, dès qu’il s’agit de pop-féminine, le processus est assez simple depuis que Madonna a tracé la route empruntée par toutes les wannabe depuis les années 1980. À la manière d’un théorème mathématique, on pourrait résumer cela ainsi : l’enfant star a deux options, se laisser dépérir dans sa célébrité moribonde, ou jouer à la terre brûlée et détruire son image publique pour devenir adulte et… audacieux.
Ariana est parvenue à une synthèse acceptable entre la nécessaire terre brûlée artistique et la prolongation de son statut d’adolescente, en conservant de bons liens avec Nickelodeon et en se confectionnant son propre carnet d’adresses du tout Hollywood. En créant, façon Ziggy pour Bowie ou Sasha Fierce pour Beyoncé, une sorte d’alter-ego artistique sexualisé et libéré, Ariana a libéré sa musique et son image de sa puérilité.
Ses premiers fans qui veulent, encore, la jeune fille fragile et délicate sont servis par la communication numérique girly et d’une innocence religieuse de la mini-diva. Et pourtant, dès lors que Ariana a enfilé pour la première fois son masque de Bunny en latex, elle venait de créer son nouvel avatar pour le monde des adultes.
Cachant discrètement l’innocence évidente du très beau visage d’Ariana, le masque mêle la puissance évocatrice du latex et l’imaginaire post-moderne du cartoon détourné. Vous pensez qu’il s’agit d’un hasard ? Rien n’est un hasard désormais dans l’image de Grande et on n’est même pas surpris d’avoir vu un petite centaine de gamine porter des serres-têtes ornés des fameuses oreilles de lapin.
Un masque n’a pas suffi à passer le cap de l’âge adulte, bien sûr, mais assisté par des bienfaiteurs aussi nombreux qu’attentionnés, la jeune femme se retrouvait encore récemment propulsée dans l’hilarant Scream Queens de la Fox.
Mais la carrière et le personnage d’Ariana Grande finissent de nous convaincre lorsque l’on découvre sa première qualité : sa voix. Car si elle a certainement été particulièrement favorisée par son milieu social et l’industrie qui voit en elle une source éphémère mais lucrative de revenues, elle n’en est pas moins incroyablement douée.
Dans la lignée directe des chanteuses de R’n’B à l’ancienne qui parviennent à atteindre la voix de sifflet, Ariana Grande a un instrument vocal d’une rare force. À 22 ans, sa voix couvre quatre octaves, monte dans les aiguës les plus vertigineux et survole avec une nonchalance presque agaçante les standards américains les plus exigeants. On en veut pour preuve trois prestations marquantes pour une jeune femme de cet âge, tant par l’aisance scénique que par sa puissance vocale.
La première performance est donnée en 2014 par une Ariana qui est alors l’invité de la Maison Blanche — on dit que Michelle Obama l’adorerait. Mais c’est surtout pour sa voix, assez bluffante, sur le standard de Whitney Houston I Have Nothing qu’elle est invitée à Washington. Ariana pousse tranquillement mais avec dextérité les notes de tête d’une chanson loin d’être aisée devant le président des États-Unis, gracieuse et juste. Elle n’a que 20 ans mais rentre déjà dans la filiation des grandes diva.
https://www.youtube.com/watch?v=Rv_Klu0tsfE
La seconde est une reprise que Ariana et ses producteurs ont mis en ligne. De Mariah Carey, sans surprise. La chanson en question, pour ceux qui connaissent le répertoire de Mariah, est Emotions sortie en 1991, qui clôture la période discoïde de la star avec une composition taillée pour sa voix et son ampleur aiguë. Avec ses nombreuses invocations de sa voix de sifflet, Mariah a longtemps été l’unique interprète d’une chanson trop aiguë pour ses consœurs, jusqu’à ce qu’Ariana Grande en fasse sa propre reprise avec chaque note de tête respectée et implacablement juste. Ébouriffant.
Enfin, reste la dernière preuve que la voix d’Ariana n’est pas une voix de plus, et qu’elle en joue avec une malice aussi puérile que délicieuse. Pour un sketch de talk-show, Ariana va imiter tour-à-tour Britney, Shakira, Rihanna, Céline Dion et enfin Whitney Houston, faisant pleurer la moitié du public. La polyvalence de sa voix pour son âge est fantastique, si celle-ci n’est pas utilisée à des fins artistiquement crédibles.
Et ce fut longtemps le problème d’Ariana, mais avec son masque sur la tête et une légitimité artistique indiscutable, elle a fini par faire un bon album aidé par Max Martin, le père biologique de Baby One More Time.
Dangerous Woman
Enfin, après des années à naviguer de tendances en tendances, Ariana semble s’être fixée sur un projet solide et cohérent, au moins le temps de cet album. L’album en tant qu’étape dans sa carrière manque bien sûr d’originalité, la petite princesse Nickelodeon crie au monde qu’elle est désormais une femme dangereuse… C’est vu et revu mais c’est une étape nécessaire, comme nous l’écrivions. Et une étape bien réalisée, car l’album de 11 titres est homogène, raffiné, méticuleux et incarne aisément toutes les tendances pop allant du retour de la deep house jusqu’à la collection de featuring très rap.
Lorsque six titres de l’album sont révélés en avance sur Apple Music, exclusivité oblige, le très respectable Pitchfork résumait à merveille notre propre sentiment : Ariana Grande’s « Be Alright » Is Deep House Lite Done Right. Le titre Be Alright résume assez bien l’univers artistique d’Ariana, une voix étincelante et sensuelle portée par des arrangements bien vintage, mais rigoureux. Le résultat est implacable : Be Alright semble tout droit sorti d’un miteux studio de Chicago dans lequel seraient nés les premiers hymnes de la house. Les plus attentifs entendront d’ailleurs le léger sifflement d’un vinyle que l’on pose sous le diamant pendant l’intro, kitsch mais efficace.
Le titre éponyme, Dangerous Woman est lui aussi un tube, mais subtil et construit avec une attention évidente aux arrangements, et c’est toute l’élégance que recèle un album dont la vocation mainstream est claire mais qui n’en est pas pour autant un imbitable ramassis d’effets dance music contrairement au reste des prétendantes pop des années 2010.
La voix d’Ariana s’avère être autant un avantage qu’une contrainte, car il faut de fait construire les hymnes pop de manière à soutenir et non étouffer sa maîtrise vocale, et sur l’ensemble de l’album Max Martin a plutôt bien relevé le défi. Toutefois l’album a ses défauts. Par exemple, ses featuring ne sont pas tous d’une franche réussite. Lil Wayne met autant de cœur à réaliser son couplet qu’il en mettrait à ramasser un billet de cinq dollars, Nicki Minaj livre un rap assez peu inspiré malgré son flow et le plus décevant des duos est celui avec Future, le rappeur se contentant de faire ce qu’il fait depuis toujours, à savoir s’autotuner pour rapper en boucle everyday, everyday, everyday.
Malheureux sans être désastreux, ces featurings sont rattrapés par le duo aussi réussi qu’inattendu avec Macy Gray, Leave Me Lonely, certainement la meilleure piste de l’album. Les deux voix singulières se complètent, se cherchent et s’appellent sur des arrangements perfectionnistes, un délice R’n’B comme on en voit rarement en 2016. Enfin, finissons tout de même par parler de l’insupportablement cool Greedy, extravagant, obsédant et superficiel : le titre est parfait.
Mais le principal problème de Dangerous Woman reste l’absence totale d’Ariana dans ses compositions. La chanteuse confiait à Complex il y a un an ces mots : « Je ne me considère pas comme sexy, et je ne suis pas à l’aise avec le fait d’être sexy et de m’habiller sensuellement. Je ne me vois pas devenir un sex-symbol. » Se doutait-elle du projet artistique de ses producteurs ? Certainement pas et c’est bien le problème, Ariana Grande est très bien entourée, a une voix incroyable et un public nombreux, mais désormais, il va falloir trouver une direction artistique stricte et ambitieuse pour poursuivre carrière.
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