Dimanche, juste après la publication des résultats du premier tour des élections législatives, j’ai fait quelque chose que je n’avais pas fait depuis un bail : j’ai pris mon smartphone pour consulter Twitter/X. Mon geste a vite échoué, car j’ai retiré la majorité des réseaux sociaux de mon téléphone il y a quelques mois. C’est donc sur mon ordinateur que je me suis mise à scroller une bonne partie de la soirée.
Comme beaucoup de journalistes, j’ai longtemps été une fervente twitta. Le rachat de la plateforme par Elon Musk, fin 2022, m’a éloignée petit à petit de la plateforme. Pour des raisons de valeurs politiques et aussi, bêtement, à cause de la dégradation de mon expérience. L’application est pleine de bugs, gangrénée par les bots et les militant·es d’extrême droite, motivant le départ d’une partie des personnes intéressantes que j’y suivais. Je suis restée pour y faire la promotion de mon travail, dans un service minimum pas très satisfaisant. J’ai exploré (et j’utilise toujours) des plateformes alternatives. Mais la stupeur provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale m’a replongée dans mes vieux réflexes.
Des informations, des analyses et ne pas être seule
Dimanche soir, j’avais besoin de trois choses : des informations qui défilent dans le sens antéchronologique, des analyses de médias reconnus ou d’expert·es, et de lire que je n’étais pas seule dans mon effroi.
On peut retrouver un peu tout ça dans d’autres plateformes, rarement la combinaison des trois. Mastodon et Bluesky fonctionnent tous les deux sans fil algorithmique ; pour autant, leur manque de succès auprès des médias et des journalistes les rendent assez frustrants en cas d’évènement important. Instagram et TikTok proposent de nombreux contenus d’actualité ; néanmoins, leur fonctionnement favorise les publications de personnalités ou d’influenceurs et influenceuses, plutôt que celles des médias. J’adore utiliser mon agrégateur de flux RSS ou consulter le live du Monde, mais je ne peux pas vraiment y suivre des personnes individuelles.
Twitter/X est souvent critiqué comme étant un microcosme, qui ne représente rien à l’échelle d’un pays ou du monde. C’est juste. Mais il est aussi naïf d’attendre qu’un réseau social soit le reflet de quoi que ce soit. Ce n’est pas le coin de la rue : c’est une boîte de nuit avec une milice privée à l’entrée. Je repense souvent à cet édito du journaliste américain Charlie Warzel qui affirmait, en 2020, que « Twitter c’est la vraie vie ».
« Évidemment que cette plateforme est un cauchemar. On y simplifie les choses à l’absurde, on s’y bat pour des conneries, c’est le royaume des private jokes et des cliques de personnes populaires seulement parce qu’elles sont bruyantes et malpolies. C’est un endroit bordélique sans solutions simples à ses problèmes », écrivait-il. « Honnêtement, ça ressemble au monde réel. »
Je n’ai pas envie de m’enfermer dans une plateforme avec des jolis diaporamas qui confirment mes propres opinions politiques, likés et partagés par des personnes qui me ressemblent (je rappelle tout de même les nuances nécessaires à apporter au concept de bulles de filtres, qui ne sont ni un mal, ni une fatalité). Je n’ai pas envie de faire des ronds de jambe pour mentionner tel ou tel sujet sensible, c’est-à-dire en rapport avec l’actualité ou la politique, de peur d’être injustement modérée. Je n’ai pas envie de regarder seulement des vidéos.
Dimanche, j’avais envie de lire des posts militants, des analyses pointues, des articles de petits et grands médias, des expressions de rage, de réconfort, des déclarations d’hommes et de femmes politiques de tous bords, de constater la bêtise et la haine, de réfléchir, de comprendre, tout ça sans qu’un algorithme me le pousse sous les yeux.
C’est évidemment mon sentiment très personnel, reflet de ma profession, de mes habitudes et de mes privilèges. Mais il est inspiré d’une idée probablement partagée par d’autres : je n’ai pas renoncé à mon envie d’avoir le choix en ligne. Et c’est justement ce qu’Elon Musk est en train de détruire sciemment, en faisant fuir la majorité de ses utilisateurs et utilisatrices avec sa violence. Elles et eux n’ont plus ce choix. Je suis retournée sur Twitter/X, sûrement pas pour longtemps. Ce n’est pas lui qui me manque, c’est son fantôme.
Cet édito est issu de notre newsletter #Règle30 par Lucie Ronfaut, chaque mercredi matin dans votre boîte aux lettres. Abonnez-vous :
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