Si je vous dis « open world Ubisoft », il y a des chances que vous commenciez à imaginer une carte immense bardée d’icônes, des tours à escalader (ou à pirater) pour la dévoiler, de l’infiltration à tout-va, du RPG pour personnaliser votre héros dans un gigantesque arbre de compétences (et via une avalanche de loot), et une aventure principale interminable à coup de missions s’autorisant un peu trop de redites (pour ne pas dire copier/coller).
Dans le sillage des Assassin’s Creed (tout particulièrement la récente trilogie au format action-RPG), les séries Far Cry, Watch Dogs, Ghost Recon ou encore tout récemment le titre Avatar : Frontiers of Pandora ont filé vers cet archétype de jeu en l’adaptant plus ou moins à leur besoin. Et au-delà d’Ubisoft, ce modèle a fait des émules en s’exportant chez les jeux Horizon, Ghost of Tsushima ou encore les derniers Spider-Man, pour ne citer qu’eux.
Star Wars Outlaws révolutionne-t-il l’open world ?
De prime abord, c’est exactement ce que semble faire Star Wars Outlaws. Mais en y regardant de plus près, le titre de Massive remet radicalement en cause ce modèle de plus en plus décrié ces dernières années. Son premier changement est de taille, littéralement, puisque son aventure principale peut être bouclée en moins de vingt heures. Contrairement à des Assassin’s Creed Odyssey et Assassin’s Creed Valhalla s’étalant sur des dizaines et dizaines d’heures, Star Wars Outlaws fait le pari d’une histoire très condensée. Elle lui permet de ne pas diluer ses enjeux scénaristiques et de penser un tronçon central dont les missions variées font découvrir toutes les facettes du jeu sans tomber systématiquement dans des redites (même si, en l’occurrence, le jeu répète un petit schéma narratif de manière un peu trop redondante).
Bien sûr, Massive ne pouvait pas s’arrêter là. Si les AAA, notamment les open worlds, ont enflé de façon si radicale ces dernières années, c’est pour servir cet impératif de rétention des joueurs et joueuses. Au-delà de la notion d’en avoir pour son argent, les éditeurs se sont convaincus que plus ils gardaient le public attaché à leur jeu, plus ils maximisaient les chances de les voir craquer pour d’éventuelles microtransactions et rester assez longtemps jusqu’à la sortie d’un DLC susceptible de relancer leur intérêt, puis un autre et encore un autre, jusqu’à la sortie d’une suite. Une logique directement importée des jeux-service massivement jouables en ligne. Star Wars Outlaws a donc dans sa besace tout ce qu’il faut de contenu secondaire pour doubler voire tripler sa durée de vie et honorer cette attente (qui est aussi devenue celle des fans désormais). Sauf qu’il le propose d’une façon très maligne.
Syndicalisez-vous !
Puisque l’histoire du jeu met en scène une jeune mercenaire qui évoque bien sûr le Han Solo de l’Épisode IV, Star Wars Outlaws développe tout une aventure parallèle, facultative et secondaire, autour de factions. Il y a quatre syndicats du crime, dont les fameux Hutts de la grosse limace baveuse Jabba, qui se font plus ou moins la guerre et ont la mainmise sur différentes zones du jeu. Cette dernière remarque a peut-être déclenché une réminiscence douloureuse : des groupes qui contrôlent certaines régions et contre lesquels on peut entrer en conflit, c’était l’un des gimmicks préférés d’Ubisoft il y a quelques années avec ce schéma très rigide et répétitif qui cloisonnait l’aventure grâce à des régions ou quartiers à libérer — comme dans Far Cry 5 ou Assassin’s Creed Syndicate.
Star Wars Outlaws explose complètement ce modèle barbant en le rendant dynamique et logique. Key peut bel et bien récolter une palanquée de quêtes et missions de contrebande, de livraison ou d’infiltration pour le compte de ces différents groupes criminels et voir ainsi évoluer sa réputation auprès d’eux. Cela crée un mécanisme intéressant qui peut nous valoir d’être pris pour cible et poursuivi par les uns et, à l’inverse, récompensé par les autres (nos choix ont toujours une contrepartie). Des pans entiers de l’open world peuvent donc devenir plus ou moins dangereux pour nous, sans compter l’accès à certains accessoires rares, conditionnés à notre accointance avec tel ou tel syndicat du crime. Dès lors, le jeu nous pousse à agir dans notre propre intérêt, quitte à trahir et se mettre en danger. En somme, à jouer un véritable rôle de mercenaire.
Il y a ainsi une concordance parfaite entre cette héroïne que l’on incarne et la manière dont le système de jeu propose de découvrir son contenu. Ce travail cohérent est prolongé pour le reste de l’aventure, livré de manière naturelle, organique. Bien sûr dans des open worlds aussi vastes et complexes, on a toujours une boussole où clignotent des points d’interrogation çà et là, mais Star Wars Outlaws sait jouer de petits coups de bluff en créant de fausses découvertes fortuites. Une discussion que l’on épie dans la cantina, un message chipé dans un recoin de bastion, un PNJ qui nous interpelle au détour d’une ruelle… Le jeu dévoile ses emplacements de missions et de trésors avec un naturel factice qui marche très bien et nourrit ce côté roleplay d’une mercenaire qui va logiquement chercher des contrats dans le bouge du coin ou quelques quartiers malfamés d’un spatioport. Toute la réalisation du jeu (sonore et visuelle) favorise déjà notre immersion dans l’univers de Star Wars comme jamais, son game design œuvre exactement avec la même ardeur.
Tout cela se fait de manière discrète et pourtant évidente. Sans y arriver totalement, Massive cherche en fait à cacher toutes ces grosses ficelles très « jeu vidéo » derrière un voile diégétique. Autre symbole de cette vision créative : dans les options, on peut choisir de désactiver la plupart des aides visuelles pour l’exploration. Vous savez ? Ces tissus bleus, ces traits de peinture blanche et autre tuyaux jaunes fluo qui mettent en évidence les éléments interactifs du décor, quitte à les défigurer par moment ou, tout du moins, de montrer trop ostensiblement que nous ne sommes que dans un jeu vidéo et que le chemin est « Ici, là ! Regarde ! ». Un clic et tout cela disparaît. Ubisoft poursuit cette démarche de proposer une voie plus libre, dans la lignée d’Odyssey, Valhalla et Avatar et leur mode d’affichage dits « Explorateur » estompant une grande partie des indicateurs à l’écran pour les remplacer par de simples consignes. Faire confiance à la curiosité des joueurs et joueuses, l’idée fait de plus en plus son chemin.
RIP le RPG
Il y a un second point sur lequel Star Wars Outlaws est audacieux, téméraire même, tant c’est devenu un ressort récurrent pour tout AAA qui se respecte : il rabote toute la facette RPG. Aujourd’hui pourtant, tout le monde y passe. Lara Croft, Kratos, Spider-Man… tout le monde ! Des points d’XP au moindre ennemi tué, des arbres de compétences qui n’en finissent pas… Une immense majorité des AAA d’action-aventure cherche à attraper l’attention du joueur par ces mécanismes très efficaces qui assurent des micro-récompenses non-stop et donnent l’impression de jouer pour « quelque chose » — car, apparemment, « jouer » ne suffit plus.
Star Wars Outlaws, lui, casse cette dérive et tente de faire progresser son héroïne d’une manière plus originale. Je dis « tente » car le résultat n’est pas encore optimal, mais l’intention, elle, est bien là. Lors de son aventure, Kay Vess peut ainsi chercher à rencontrer huit PNJ, des Experts, à l’issue de petits arcs narratifs pas toujours liés à l’aventure principale (et dont certains sont totalement facultatif, encore une fois). Pirate, pro du tir, mercenaire, mécano… Ils ont chacun leur spécialité et six compétences à proposer dans un menu dédié où l’on retrouve une série de challenges à accomplir. Utiliser X armes différentes, recourir de différentes manières à Nix, réussir des headshots…
Ces petites actions à réaliser permettent de débloquer in fine une compétence spécifique. C’est en fait une lecture différente du principe intrinsèque du RPG : en répétant plusieurs fois une même action, je vais finir par la maîtriser et donc gagner en efficacité. La traduction ici est un peu trop proche d’une simple to-do list ressemblant aux Trophées/Succès qui ont émergé lors de l’ère Xbox 360/PS3, mais assurément il y a là une piste à creuser, une manière moins mathématique et systématique de gagner de nouvelles capacités. D’autant que l’idée d’aller chercher ces fameux Experts est un bon moyen pour pousser à explorer les zones ouvertes du jeu. Ainsi, je n’aurais probablement jamais interagi avec des Jawas et plongé dans la gueule béante d’un sarlacc sans ce système…
Pour offrir quand même des récompenses aux explorateurs et disposer de belles surprises à cacher dans des coffres, Star Wars Outlaws joue la carte de l’amélioration de son équipement pour renforcer la puissance de Kay. Massive fait toutefois un choix radical en ne lui confiant qu’une seule arme pour toute l’aventure : son blaster. Elle peut le pimper de différentes manières, notamment en équipant deux nouveaux types de tir, explosif et électrique, mais c’est tout. Elle peut en revanche emprunter temporairement des armes lâchées par des ennemis ou posées dans des recoins de décors — leur usage reste limité par la quantité de munition. Elle les lâche même à la moindre action (monter à une échelle, filer sur son speeder, etc.).
L’idée est particulièrement osée, mais encore une fois, on-ne-peut-plus cohérente : on incarne une mercenaire, une jeune voleuse qui ne se résout à l’usage de la violence qu’en ultime recours. Si elle emportait tout un arsenal dans son sac-à-dos comme Lara Croft, elle deviendrait une one-woman-army dévastatrice qui, non seulement, bazarderait tout le gameplay mais, en plus, lui ferait contredire tout l’esprit du jeu. Encore un bel exemple d’un choix consistant et harmonieux, dicté non pas par un impératif de fun ou la reprise à tout prix d’un gimmick qui a fait ses preuves, mais par la volonté d’imaginer une expérience de jeu totalement immersive. C’est en ce sens que Star Wars Outlaws dénote, surprend, et peut être vu comme une étape fondamentale dans ce lent mouvement vers la création de mondes virtuels encore plus crédibles, riches et organiques. Espérons qu’il saura faire jurisprudence, particulièrement chez Ubisoft.
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