Depuis une semaine, la communauté Commander, le format le plus populaire du jeu de cartes à collectionner Magic, est sous tension. On vous explique pourquoi.

Tout commence le 23 septembre 2024, très précisément. En effet, c’est à cette date que le « Commander Rules Committee » annonce le bannissement à effet immédiat de quatre cartes.

Rapidement, cette annonce fait l’effet d’une bombe au sein de la communauté. Les prix des cartes s’effondrent, des voix s’élèvent, d’un côté comme de l’autre, des menaces de mort sont même perpétrées…

Mais au fait, c’est quoi le format Commander ? Quel est le rôle du Rules Committee ? Et pourquoi cette annonce provoque-t-elle tant de réactions ? On vous explique tout.

C’est quoi, le format Commander ?

Magic n’est pas un jeu à proprement parler. Pour faire simple, disons qu’il s’agit plutôt d’un ensemble de règles qui sont partagées par différentes variantes d’un même jeu. Chacune de ces variantes est un « format », avec ses caractéristiques propres.

Le Commander est l’un de ces formats, avec plusieurs particularités bien à lui : il se joue à plusieurs, et plus seulement en duel comme la plupart des autres formats, et autorise presque toutes les cartes imprimées depuis la naissance du jeu, il y a plus de 30 ans (soit plusieurs dizaines de milliers de cartes différentes).

C’est aussi, et surtout, le format le plus populaire de Magic, en grande partie parce qu’il est plutôt accès sur l’aspect social que sur la compétition. C’est le format préféré des joueurs de « kitchen table », ces joueurs qui jouent entre potes, à la maison, pour se marrer plutôt que pour gagner des tournois.

Si vous voulez avoir une idée de ce à quoi ressemble une partie de Commander, on vous invite à regarder SolRing, l’excellente émission dédiée au sujet.

C’est quoi, le Commander Rules Committee ?

Comme tous les formats de Magic, le Commander a vu certaines cartes être bannies au fil du temps. Par leur trop grande puissance, parce qu’elles rendent le jeu injouable, parce qu’elles sont racistes… Les causes sont diverses et variées. Il peut même arriver qu’une carte soit à nouveau autorisée après quelque temps.

C’est tout le rôle du Commander Rules Committee : décider des cartes à bannir du format Commander — une tâche ardue s’il en est, eu égard au nombre de cartes dont il faut tenir compte. D’autant plus que ce comité n’est composé que d’une poignée de bénévoles, et que c’est le seul format officiel à ne pas être directement régi par Wizards of the Coast, l’éditeur du jeu.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le comité a été plutôt mesuré jusqu’ici, avec moins d’une cinquantaine de cartes bannies en une vingtaine d’années.

Ce 23 septembre donc, quatre cartes ont été bannies d’un coup. La première (Nadu, sagesse ailée), tout le monde s’y attendait, l’espérait même, tant elle rend les parties terriblement ennuyeuses. Elle n’existe pourtant que depuis quelques mois.

Mais ce sont les trois autres, présentes depuis bien plus longtemps, qui font polémique. On se demande même si leur bannissement n’est pas lié à celui de Nadu (pourquoi maintenant ?)… Il s’agit de Crypte de mana, Lotus Joailler et Extorqueur des quais :

Trois des cartes bannies. // Source : Wizards of the Coast
Trois des cartes bannies. // Source : Wizards of the Coast

Les trois ont un point commun : elles permettent de tricher sur les ressources. Dans une partie « normale » de Magic, on pose un terrain au premier tour, pour jouer une carte coûtant une ressource. Puis on pose un deuxième terrain au tour suivant, pour jouer une carte nécessitant deux ressources, etc. La montée en puissance est progressive.

Le problème vient surtout des deux premières cartes (Crypte de mana et Lotus joailler) : elles sont gratuites à jouer et fournissent tout de suite respectivement deux et trois ressources. Disposer ou pas d’une de ces cartes dans sa main de départ a une énorme influence sur le reste de la partie.

Des cartes très fortes, donc énormément jouées, éditées dans la plus haute rareté du jeu, et assez peu réimprimées par l’éditeur. Voilà le cocktail gagnant qui fait grimper le prix d’une carte.

Pourquoi cette polémique ?

Du jour au lendemain, le prix de ces cartes sur le marché secondaire s’est effondré. Différentes éditions de Crypte de mana sont par exemple passées de 200 $ à 50 $, de 270 $ à 115 $, voire de 950 $ à 500 $ pour la version la plus rare. La version de base de Lotus joailler est passée de 100 $ à 50 $. La version brillante et texturée est passée de 500 $ à 300 $. Rapportée au nombre de ces cartes en circulation, la perte est estimée à plusieurs millions de dollars. Un véritable lundi noir ! Le fil Reddit r/mtgfinance s’est hissé dans la liste des plus actifs du site sur la semaine. On est loin du phénomène de niche.

Ne nous leurrons toutefois pas : s’il s’agissait de cartes communes, ne valant que quelques centimes, la polémique aurait été à coup sûr bien moindre. Mais au-delà de cet aspect économique, la décision divise même au sein des joueurs.

Une moitié d’entre eux s’en réjouit, et abonde dans le sens du comité. Ils prônent une expérience sociale, où tout le monde a le temps de s’installer, de prendre plaisir à jouer, sans se faire rouler dessus par un adversaire déroulant trop rapidement ses cartes à cause d’une telle accélération.

L’autre camp, au contraire, prône la liberté de jouer comme on le souhaite, le Commander étant un format fun, il faut autoriser un maximum de possibilités. Aux différents groupes de joueurs de se réguler entre eux, selon leurs préférences et leur façon de jouer.

Les deux voix peuvent s’entendre, mais l’une d’elles s’est exprimée plus fortement, plus violemment que l’autre. Le comité, qui ne tire aucun gain financier de ses choix, et qui a toujours eu à cœur d’œuvrer pour le bien du format, s’est fait harceler sur les réseaux sociaux par ses opposants. Ses membres ont été victimes de doxing, et ont même été menacés de mort.

La coupe est pleine pour les cinq membres du comité. Ils décident alors de jeter l’éponge, en raison des menaces qui pèsent sur eux. L’un d’eux explique sur X : « […] mon incapacité à me protéger et à protéger les personnes qui me sont chères jette un éclairage différent sur la situation […] ».

On peut difficilement leur en vouloir. Pour aller plus loin, on pourrait même imaginer que les membres du comité ont « profité » de cet incident pour se délester d’une tâche bien trop titanesque pour leurs épaules : réguler, bénévolement, sur leur temps libre, le format phare d’une licence ayant généré plus d’un milliard de dollars en 2023.

Wizards of the Coast reprend le flambeau

Sentant la polémique enfler, l’éditeur du jeu décide de reprendre les choses en main. Le format Commander, géré communautairement et bénévolement depuis une vingtaine d’années, passe sous son aile, avec l’appui du comité, depuis ce lundi 30 septembre.

Là encore, les réactions ne se sont pas fait attendre. Et pour cause. À de très rares exceptions, l’éditeur fait un très bon travail de game design, d’équilibrage et gère parfaitement la liste des cartes bannies dans les différents formats. Mais de nombreux joueurs craignent que ses futures décisions concernant leur format fétiche, le plus populaire de Magic (donc celui qui fait vendre le plus de cartes, et rapporte le plus d’argent), soient plus fondées sur des perspectives financières que ludiques. Car n’oublions pas que l’éditeur appartient au géant du jouet Hasbro, en difficultés économiques depuis plusieurs années, et qui ne doit son salut qu’à deux licences : Magic et Dungeons & Dragons — toutes deux sous la tutelle de Wizards of the Coast.

En attendant que les choses se calment et s’éclaircissent, certains opportunistes profitent des baisses de prix pour vider les stocks des vendeurs… en espérant empocher le pactole si les rumeurs d’annulation des bannissements se révèlent exactes. Le malheur des uns pourrait faire le bonheur des autres.

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