Ryan Murphy n’apprend visiblement jamais de ses erreurs. Le showrunner, connu pour son travail sur Glee ou American Horror Story, officie également sur l’une des séries les plus populaires du moment : l’anthologie Monstres, consacrée à de véritables affaires criminelles, et disponible sur Netflix. Après une première saison autour du tueur en série Jeffrey Dahmer, à l’ambiance malsaine déjà entourée de nombreuses polémiques, Ryan Murphy revient, deux ans plus tard, avec de nouveaux épisodes, toujours aussi controversés. Pour cette saison 2, le créateur s’intéresse cette fois à l’histoire vraie des frères Menéndez, qui ont assassiné leurs parents à la fin des années 1980.
Défendant d’abord leur innocence, les deux frères ont ensuite plaidé coupable, invoquant la légitime défense face à l’inceste dont ils étaient victimes. Pour traiter de ce sujet difficile dans la saison 2 de Monstres, Ryan Murphy n’a pas choisi la distance ou l’empathie nécessaires, non. Il n’a même pas pris la peine d’obtenir l’accord ou de recueillir la parole des principaux concernés, toujours vivants. Il a plutôt choisi de sexualiser Erik et Lyle Menéndez dès les premières images promotionnelles de la série, suggérant même une relation incestueuse entre les deux criminels. Un parti pris franchement problématique à de nombreux égards, qu’il est important de questionner.
Des premières images déjà érotisées
Tout commence avec quelques secondes d’une vidéo, censée promouvoir les épisodes à venir de Monstres : L’Histoire de Lyle et Erik Menéndez, sur Netflix. On y aperçoit Nicholas Chavez ainsi que Cooper Koch, les interprètes respectifs des deux frères, s’enlacer, torses nus.
Un bruit strident installe alors une ambiance sonore désagréable, avant qu’une détonation ne se fasse entendre, et que l’image ne révèle du sang, sur le visage des personnages. Dès la diffusion de ces premières images promotionnelles, teintées d’érotisme malsain, on savait déjà que la saison 2 de Monstres serait problématique.
Des criminels transformés en sex-symbols
La sexualisation de ces personnages, criminels, rappelons-le, pose deux problèmes majeurs. D’abord, la série prend le parti de glorifier le physique de ces deux protagonistes, condamnés par la loi américaine à la perpétuité, et qui ont provoqué la mort de deux personnes. Pendant l’intégralité des 9 épisodes de Monstres, les corps de Lyle et Erik Menéndez sont donc mis en avant.
Dans l’épisode 2, leurs torses bronzés, sculptés et recouverts d’huile sont ainsi exhibés à plusieurs reprises, tandis qu’une scène de musculation s’autorise un gros plan sur les fesses d’Erik. Dans l’épisode suivant, ce dernier se trouve même au centre d’une scène de nu frontale, dans les douches d’une prison. Une exhibition franchement dérangeante, qui participe à la glorification générale des criminels et tueurs en série, en les érigeant en sex-symbols.
Il faut dire que le choix de Nicholas Chavez et Cooper Koch pour incarner les deux frères, allait déjà dans ce sens. Si ces acteurs étaient plutôt inconnus du grand public jusque-là, leur jeunesse et leur plastique pile dans les canons de beauté encouragent déjà les spectateurs vers un a priori positif.
Patricia Tourancheau, créatrice de la série documentaire Insoupçonnable, qui vient de sortir sur France TV, autour de l’affaire du Grêlé, met en garde contre « l’esthétisation à outrance des fictions sur de véritables affaires criminelles. Il ne faut pas que cela glorifie les tueurs. Et s’ils sont incarnés par des acteurs plutôt sympathiques, avec une aura phénoménale, forcément, cela biaise le regard que l’on a sur eux. Il faut mettre des limites sur le sujet ».
Une mise en scène provocatrice
Dans le cas de la saison 2 de Monstres, la sexualisation ne pose pas seulement des problèmes esthétiques. Elle met également en avant une intrigue douteuse et ambigüe, sur laquelle se concentrent la plupart des polémiques autour de la série Netflix : la suggestion d’un faux inceste, supposément consenti, entre les deux frères Menéndez.
Dans l’épisode 2, on voit en effet Lyle et Erik se caresser les cheveux, s’embrasser sur la bouche, puis danser ensemble de façon sensuelle. L’épisode 7, lui, montre carrément une scène de douche partagée entre les deux personnages.
Suite à la mise en ligne de la saison, en septembre, la polémique a donc progressivement enflé autour de cette mise en scène volontairement provocatrice et sans aucun fondement réel. Cette représentation est d’autant plus problématique que les vrais frères Menéndez ont eux-mêmes subi de l’inceste, de la part de leurs deux parents, depuis leur enfance.
Un retour en arrière concernant le traitement de l’inceste
Le 20 septembre 2024, Erik Menéndez s’exprimait d’ailleurs à ce sujet, estimant que la série propageait une vision malhonnête de leur relation et incarnait un retour en arrière sur le traitement des victimes de violences sexuelles à l’écran. Si la production Netflix aborde tout de même la question de l’inceste, notamment dans un épisode 5 bouleversant, entièrement dédié au témoignage d’Erik sur le sujet, grâce à un plan-séquence, cette mise en lumière arrive bien trop tard dans la série.
Cette parole importante s’insère surtout dans un portrait général peu flatteur des frères, qui sont montrés comme des menteurs pendant les trois premiers épisodes. Alors que l’ambiguïté est peu permise dans le traitement de ces thématiques de société cruciales, la direction floue prise par la série Monstres décrédibilise les témoignages de victimes de violence, en considérant ces faits comme de simples théories, parmi tant d’autres, mais aussi en activant à nouveau les mécanismes du traumatisme, avec un traitement sensationnaliste inapproprié.
« Nous ne faisons pas un documentaire »
Face aux nombreuses réactions négatives provoquées par la série, notamment au sein de la famille des Ménendez, le créateur Ryan Murphy ainsi que les différents membres du casting ont progressivement dû s’exprimer sur la question. Un argument revient régulièrement dans leurs différentes interviews : le fait que la série prenne le point de vue subjectif d’un personnage en particulier, en l’occurrence le journaliste Dominick Dunne, pour la fameuse scène de la douche.
Auprès du média américain The Wrap, Cooper Koch, qui incarne Erik, a ainsi considéré que la série ne suggère pas vraiment une relation incestueuse, mais expose une simple théorie : « Il s’agit de la perspective de Dominick Dunne. Je pense que les gens prennent cette scène hors contexte. […] La mise en scène montre que cette théorie n’est pas vraiment ce qui s’est déroulé dans la réalité. Cela fait partie de la dramatisation, nous ne faisons pas un documentaire ». L’acteur a tout de même affirmé à Variety qu’il ne « croyait absolument pas » à cette théorie incestueuse entre les deux criminels.
Ryan Murphy, toujours plus provocateur
Ryan Murphy, de son côté, a confié à Variety que, selon lui, « Monstres est la meilleure chose qu’il soit arrivé aux frères Menéndez, durant ces 30 dernières années. Ils sont désormais au cœur des conversations de millions de personnes à travers le monde. […] Cela leur donne une nouvelle chance d’avoir un procès auprès de l’opinion publique. »
Il a même déclaré à The Hollywood Reporter que les deux frères devraient lui « envoyer des fleurs » pour l’attention qu’ils reçoivent actuellement et qu’ils « jouent la carte de la victimisation ». Pour autant, le showunner a confirmé n’avoir « aucun intérêt » à discuter avec les vrais Lyle et Erik Menéndez.
Une position loin d’être étonnante le concernant, puisque le créateur de la série a déjà été épinglé lors de la saison 1 de Monstres, pour ne pas avoir consulté les familles des victimes de Dahmer, en amont.
Le journaliste Paul Sanfourche, co-réalisateur du documentaire Serial killer : autopsie d’une fascination, diffusé sur France TV en janvier 2024, analyse la réaction de Ryan Murphy comme une « manière d’éviter de se pencher sur sa propre responsabilité, sur ses propres failles en tant que créateur. »
« Un tour de manège violent, sanglant et sexy »
Le documentariste estime que, de façon générale, la saison 2 de Monstres fait appel à « l’inconscient de chacun, aux tourments les plus profonds : le mal, la violence et le sexe. Cela est logique puisque le but de celles et ceux qui produisent ce genre de séries, c’est d’activer tous nos sens pour nous amener à les regarder. On veut en faire un objet sulfureux, trash, glamour, qui ne sera pas censuré. L’objectif est clair : nous proposer un tour de manège violent, sanglant et sexy, pour que l’on en prenne plein les yeux. »
Pour Paul Sanfourche, les thématiques comme celles de l’inceste méritent pourtant « le plus grand sérieux, la plus grande retenue, lorsqu’on sait le fléau de société que cela représente. Je pense que certains réalisateurs, comme Ryan Murphy, utilisent des histoires vraies, sordides, qui ont fait souffrir beaucoup de gens, sans faire attention à la manière de les raconter. Or, je pense qu’une façon de veiller à cela, c’est d’en parler directement avec les personnes concernées. Mais en tant que spectateurs, nous avons également une responsabilité : celle de ne pas regarder ce type de contenus, peu respectueux des victimes. »
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