À chaque nouvelle série à succès, c’est la même rengaine : les tueurs en série et les criminels nous fascinent inexplicablement, au point de parfois devenir des tendances TikTok, comme dans le cas de la saison 1 de Monstres, avec Jeffrey Dahmer. Après ces premiers épisodes franchement dérangeants, le créateur Ryan Murphy vient de rempiler pour une saison 2, cette fois nommée L’Histoire de Lyle et Erik Menendez. Ces deux frères américains, qui ont assassiné leurs parents à la fin des années 1980, sont ainsi au cœur du récit.
Mais seulement quelques jours après sa sortie sur Netflix, le 19 septembre 2024, les polémiques commençaient déjà à pointer le bout de leur nez. Le véritable Erik Menendez a ainsi qualifié la série de « malhonnête », tandis que la sexualisation outrancière des deux personnages principaux a immédiatement provoqué le malaise, d’autant que l’affaire traite également du sujet délicat de l’inceste. Alors pourquoi, malgré tous ces signaux d’alarmes, sommes-nous tout de même captivés par la série Monstres, au point que celle-ci squatte toujours le top 1 de Netflix, à l’heure où nous écrivons ces lignes ?
Une fascination enfantine pour le mal et la peur
Pour Patricia Tourancheau, créatrice de la série documentaire Insoupçonnable, disponible sur France TV, autour de l’affaire du Grêlé, cette fascination s’exerce puisque les tueurs en série « sont des êtres hors du commun, qui dépassent toute imagination. Mais on s’identifie toujours à quelqu’un, dans ces histoires : à une victime, une mère, un père, un frère… Les faits divers touchent tout le monde et peuvent arriver partout. »
Une analyse partagée par Paul Sanfourche, coréalisateur du documentaire Serial killer : autopsie d’une fascination, diffusé sur France TV en janvier 2024. De son côté, il estime que « cela remonte à l’enfance, cette fascination pour le mal et la peur. Les tueurs en série, c’est une sorte de réinvention du grand méchant que l’on peut voir dans les contes par exemple. C’est le même imaginaire et la même envie de se faire peur, dans un cadre contrôlé. Cela donne une forme de plaisir, de frissons. »
« Ce sont des gens comme nous »
La série Monstres joue justement sur cet attrait pour l’extraordinaire et l’angoisse, dès la simple mention de son titre. Un qualificatif erroné pour Paul Sanfourche : « Cette étiquette renvoie à nouveau au conte, à la fiction. Mais là, dans le cas de la série, ce sont des affaires qui ont réellement eu lieu. Cela leur retire donc leur caractère réel, qui s’ancre dans une complexité sociale, judiciaire et policière, pour en faire un simple ressort de divertissement. Cela nous empêche de réfléchir au côté systémique du crime ou d’insister sur le fait que tous ces assassins sont des hommes et que ce n’est pas tout à fait un hasard. »
Patricia Tourancheau, de son côté, estime également que « les monstres n’existent pas. Ce qui est troublant, c’est que Le Grêlé, Guy Georges, Jeffrey Dahmer ou les Frères Menendez, ce sont des gens comme nous. Donc on se demande forcément comme ils ont pu tourner de cette façon. Mais c’est trop facile de les rejeter dans la catégorie des monstres : même s’ils ont commis des faits absolument odieux, ils appartiennent à la part sombre de notre humanité. Il est donc important d’en parler, mais pas n’importe comment. »
Trouver un équilibre pour méditer sur le mal
Du côté des spectateurs, le succès est toujours assuré pour les fictions inspirées de faits réels criminels. En revanche, pour les victimes, ou pour leurs proches, ce type de productions peut ressembler à un véritable calvaire. Lors de la diffusion de la saison 1 de Monstres, consacrée au tueur en série Jeffrey Dahmer, les familles de victimes avaient ainsi dénoncé l’attitude de la série à leur égard, puisqu’elles n’avaient pas été consultées en amont. Pour la saison 2, c’est Erik Menendez lui-même qui a dû s’exprimer sur le sujet, regrettant le traitement injuste de son histoire dans la production Netflix. Alors, ces débats sont-ils inévitables ?
« Pour moi, il ne faut pas jouer sur ce sentiment de voyeurisme malsain », estime Patricia Tourancheau. « Il faut garder une certaine distance pour raconter qui sont ces êtres humains qui commettent des actes monstrueux, en prenant garde à chaque pas. Il faut trouver un équilibre pour nous permettre de méditer sur le mal. Tout est une question de dosage, même si c’est très difficile. Pour Insoupçonnable, jusqu’au dernier moment, on a enlevé des plans ou on a changé des mots de la voix-off, puisqu’il ne faut pas se tromper. C’est un travail d’orfèvre, pour ne pas nier ce qui est arrivé aux victimes non plus. Mais beaucoup trop de réalisateurs ne s’embarrassent pas de ce genre de précautions. »
Pour le journaliste Paul Sanfourche, les scènes de meurtres très violentes représentées à l’écran, comme dans la saison 2 de Monstres, posent notamment problème : « On fait du sensationnalisme sur le dos de faits sordides, dont les victimes sont bien réelles. On doit s’interroger sur l’idée de les rendre pop, ce qui donne lieu à des mèmes sur les réseaux sociaux autour du côté cool de Dahmer, ou à une réalisation qui accentue le physique des frères Menendez. C’est vraiment dérangeant. »
Le frisson de transgresser toutes les règles
Mais que dit cette fascination de nous, en tant que société ? Pour le cas des frères Menendez, leur statut de gosses de riches ajoute une donnée non négligeable à l’équation du succès : « Cela permet de renforcer l’aspect décadent qui plaît dans toutes ces histoires », analyse Paul Sanfourche. « Non seulement ce sont des tueurs, mais en plus, ils sont riches, donc ils n’ont vraiment aucune morale et peuvent transgresser toutes les règles. »
Une représentation qui nous pousse, nous aussi, à franchir des limites, comme cela a été le cas lorsque des tendances TikTok spéciales Dahmer ont envahi nos écrans. Ces comportements, plutôt inquiétants, prouvent une « absence totale d’empathie vis-à-vis de la réalité des crimes », d’après Paul Sanfourche :
« Reproduire ce genre de mèmes et les reposter, c’est faire totalement fi de la souffrance engendrée par ces histoires. Sous prétexte d’humour et de volonté de récolter des ‘j’aime’ sur des publications, on partage des propos ou des photos profondément dérangeantes. Cela manque cruellement de discernement : et si une proche de victime tombait sur une vidéo dans laquelle on se filme en train d’exécuter quelqu’un comme Dahmer ? Les gens ne feraient jamais cela dans la vie réelle s’ils prenaient la mesure de leurs actes. »
À l’inverse, le journaliste estime que l’on s’attarde trop souvent sur le phénomène des groupies de criminels, comme on peut le voir dans la saison 2 de Monstres, avec des lettres d’amour reçues par dizaines par les frères Menendez, en prison. Cette attirance malsaine porte un nom : l’hybristophilie. « Je pense que ce sont de petites minorités, c’est l’arbre qui cache la forêt. Cela sert à nous donner bonne conscience, à se dire que nous, au moins, on n’écrirait jamais à un criminel pour lui dire qu’on l’aime. Par contre, cela ne nous empêche pas du tout de regarder toutes les émissions de Faites entrer l’accusé. En se focalisant sur ces fans, on ne questionne jamais notre rapport personnel à toutes ces histoires vraies criminelles. »
Toujours de l’empathie pour les victimes
Finalement, comment parler du sujet sans tomber dans le voyeurisme ou le sensationnalisme ? Si la recette miracle n’existe pas, Patricia Tourancheau recommande tout de même de « s’interdire de reconstituer des scènes de crime ou de viol », par respect pour les victimes.
« On peut faire des évocations, grâce à des archives. Mais rejouer des séquences meurtrières, c’est abominable. On finit par ne plus se rendre compte, mais on parle quand même d’affaires réelles. Les victimes, elles, elles en prennent plein la poire avec ce type de reconstitutions. Il faut un peu de décence et d’empathie pour les victimes, pas seulement pour les meurtriers. »
La journaliste et spécialiste des affaires criminelles estime d’ailleurs que la saison 1 de Monstres, sur Dahmer, tombait dans cet écueil en « ne donnant pas le point de vue des victimes » et en proposant une « héroïsation » du tueur en série : « Il ne faut pas s’étonner ensuite que des fans s’en emparent puisque ce parti pris joue sur les bas instincts des gens. »
Elle regrette également que de nombreux créateurs de fiction « s’emparent d’une affaire réelle en comblant les trous et en inventant ce qui les arrange. » Patricia Tourancheau conseille plutôt aux auteurs et réalisateurs de « faire leur boulot d’invention en faisant marcher leur imaginaire », laissant les histoires vraies aux documentaires, plus appropriés. Espérons que Ryan Murphy, le créateur de Monstres, suive davantage cette recommandation à l’avenir.
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