Saitama est un héros si fort qu’il écrase tous ses adversaires en un seul coup. Mais cette puissance est pour lui plus une souffrance qu’un atout puisque la rapidité avec laquelle il expédie ses combats annihile toute l’adrénaline qu’il devrait normalement ressentir dans ces affrontements. Blasé, il lutte désespérément contre l’ennui qui s’est emparé de lui.
Voilà le pitch de One Punch Man, l’un des plus gros phénomènes manga de l’année 2016 en France. Sans surprise, l’œuvre a été adaptée en anime. Celui-ci est déjà disponible légalement en VOSTFR mais une version doublée en français est prévue pour la rentrée. Et pour assurer la voix française du personnage principal, l’éditeur Kazé a fait un choix plutôt inattendu. C’est ainsi que le rappeur Orelsan est devenu Saitama.
Cette décision est relativement atypique puisqu’Orelsan n’a aucune expérience dans le doublage de dessin animé. Elle n’est pour autant pas dénuée de logique car le rappeur, depuis toujours, clame haut et fort son amour pour le manga et l’animation japonaise. Un amour qui ne se limite pas seulement au suffixe « san » — marque de respect au pays du Soleil Levant — dans son nom de scène. Décontracté, nonchalant et sa casquette sur la tête, il a répondu à nos questions.
« C’est une passion que j’ai depuis longtemps », affirme-t-il. Voilà plusieurs années qu’il lit assidûment un grand nombre de séries. « Je me sens attaché aux personnages », ajoute-t-il. Quand on lui demande ce qu’il aime dans le manga, la réponse d’Orelsan est un peu fourre-tout. Mais il évoque avant tout la scénarisation, le découpage et, plus globalement, la manière dont une histoire est racontée dans une bande dessinée nippone.
« Ce format me parle plus. Par exemple, j’adore les mangas qui abordent un milieu en particulier. À la fin de Slam Dunk, j’avais l’impression de tout savoir sur le basket. Pareil avec Bakuman, tu sais tout sur la production d’un manga ». Orelsan précise que la bande dessinée nippone n’est pas le seul format culturel à parler des coulisses d’un univers particulier — une série comme House of Cards révèle par exemple la face cachée du monde politique — mais « ce n’est pas la même chose », estime le rappeur.
Ainsi, quand Kazé lui a proposé de doubler Saitama, il n’a pas caché sa joie : « J’étais trop content et j’ai accepté. Mais, en tant que fan, je sais à quel point on peut être con dans ce genre de situation et se précipiter. Alors j’ai demandé à faire des essais, pour voir si ça marchait bien », raconte le rappeur. Mais les premiers tests sont une réussite. La voix et l’attitude d’Orelsan se prêtent effectivement bien à la personnalité de Saitama, toujours blasé et placide.
« Ensuite, le Japon a validé et à partir de là j’ai su que je méritais ma place, que j’étais légitime », explique Orelsan. Pour lui, les Japonais ont dit ; « il est pas mal votre gars » et c’était tout ce qu’il lui fallait. D’autant plus que le rappeur a beaucoup d’estime pour la rigueur professionnelle que s’imposent les Nippons. Selon lui, « comme c’est super populaire là-bas les maisons d’édition ne laissent rien passer. C’est toujours hyper pointu ». Autrement dit, Orelsan n’a pas volé sa place et correspondait aux standards exigeants du milieu.
Le manga fait partie de moi
Car oui, malgré son look volontairement décousu — maillot et short de sport — et qu’il soit à moitié affalé sur le canapé à ce stade de l’interview, Orelsan n’arrête jamais de parler de travail, de son travail. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le manga y occupe une place très importante. C’est même une source d’inspiration. « Je puise plein de fois des idées pour mes clips ou mon film [Comment c’est loin, ndlr ] dans les mangas. Je prends plein de photos sur mon téléphone et je me dis ‘oh ça c’est cool !’, et j’essaie de m’en inspirer pour mon travail. Et, puis, de toute manière le manga fait partie de moi ».
Et Orelsan distille des preuves de cette affirmation tout au long de ses œuvres, notamment dans celles du groupe Casseurs Flowters qu’il forme avec Gringe. Ce seront souvent de petits clins d’œil relativement discrets, comme dans le clip de Fais les backs dans lequel on peut voir des cookies à l’effigie des deux rappeurs. « Cette idée, je l’ai vu dans Kimengumi et j’ai trouvé ça cool », explique Orelsan.
Le rappeur aime beaucoup les « shonens épiques » dans lesquels les héros se relèvent toujours malgré les obstacles. C’est un peu cet état d’esprit que l’on retrouve dans le morceau Inachevés où les deux chanteurs se redressent, déterminés, face à l’adversité et malgré les aléas de la vie. Et comment ne pas mentionner l’hommage, pur et simple de la chanson Ils sont cools pour laquelle Orelsan et Gringe sont grimés en Chevaliers du Zodiaque ?
Tous ces ressorts sont autant de moyens qu’utilise le rappeur pour transmettre son amour du manga et de la culture pop du Japon à ses fans. « Malgré moi, ça va toujours m’influencer. Par exemple, j’ai fait une chanson récemment — que je ne vais pas garder parce qu’elle n’est pas terrible — où le refrain est en vocaloid, comme dans pas mal de groupe japonais ». Il avoue trouver cela un peu kitsch, mais tant pis, il aime bien et c’est tout.
Même dans ses vannes, Orelsan puise dans la bande dessinée japonaise. « Comme dans les mangas, j’aime bien construire un truc pour le casser après, je suis friand de cette forme d’humour absurde ». C’est notamment ce qui lui plait dans One Punch Man qui reprend de nombreux clichés du manga pour les démonter.
Mais comme on le disait, le rappeur n’arrête jamais de parler de son travail et de ses projets. Il devait d’ailleurs partir au Japon pour travailler avec des artistes locaux. Ce voyage a dû être reporté en raison de sa tournée avec les Casseurs Flowters puis la réalisation de son film qui lui ont pris du temps. Mais ce n’est que partie remise. Orelsan affirme avoir plein d’idées en lien avec le Japon pour son prochain album. « Mais mon but ce n’est pas juste d’aller faire un clip à Tokyo parce que c’est joli. Je veux vraiment travailler comme les Japonais bossent, avec la même rigueur ».
Voilà bien longtemps qu’il a cette idée en tête. Mais ce n’est pas la seule. « Ce qui est sûr, c’est qu’un jour je vais écrire une BD. Ce sera peut-être dans dix ans, mais c’est sûr ».
Et on se doute bien que cette bande dessinée sera très certainement d’inspiration manga.
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