En 2007, Jacques Mandelbaum posait en français les règles strictes, inhérentes et invariables de ce qu’on appelle depuis Lelouch un film choral à l’occasion de la critique d’un insipide film, Fragile(s) : « Étymologiquement, c’est un genre qui emprunte sa définition à la forme musicale du chœur. Cinématographiquement, c’est une œuvre qui se distingue par deux caractéristiques majeures : la transformation de la plupart des protagonistes en personnages principaux, la nécessité de faire se croiser leurs destins selon un plan préétabli. Il s’ensuit qu’il faut une habileté de grand orfèvre pour éviter les deux écueils qui plombent le genre : la caricature des caractères, trop nombreux pour être approfondis, et le déterminisme cousu de fil blanc d’un scénario qui se déguise en hasard. »
Raté, le film préfigurait les dangers de cette méthode qui fait de belles bandes-annonces, des castings prestigieux et des scénarios absurdes. Il a fallu définir au début du millénaire ce genre à part du cinéma qui collectionne les personnages comme on mélange les voix et qui oscille entre génial s’il est réussi à arnaque culturelle quand il échoue.
Savait-on à l’époque que le film choral serait une issue pour un Hollywood en panne de public et de mythes ? On pouvait s’en douter, car la principale qualité du film choral est sa rentabilité mécanique dès lors qu’il aligne casting exceptionnel et s’ouvre à de nombreux publics.
Glee
Pour prolonger la métaphore musicale, Suicide Squad, puisque c’est de lui dont il s’agit est un film choral. Vous l’avez deviné. Or, si Suicide Squad est une chorale, elle est composée de voix très divergentes qui n’ont clairement pas envie de chanter la même chanson. Le résultat n’est pas un canon, mais un désolant bordel dans lequel ni le baryton (Will Smith) ni la soprano (Margot Robbie) n’ont l’occasion de pousser quelques notes.
Le reste de la chorale ? Un triste boys-band dont on retient moins que le refrain. Pour clore la métaphore, Ayer semble avoir eu la lourde tâche de former une chorale scolaire en moins de deux semaines dans l’unique but de ramasser des billets verts pour financer un camp d’été.
Rien ne fonctionne dans Suicide Squad. C’est dommage et c’est devenu commun de le dire mais le problème est inévitable, le film ne tient pas debout. Il s’agit d’une très longue — 2h10 — bande-annonce pour une bonne dizaine de films. Les problèmes du long-métrage sont évidents du début à sa fin, et le sentiment que tout aurait pu être différent gâche particulièrement le visionnage de cet amoncellement de scènes hautes en couleurs et bien souvent superflues.
Les dialogues sont bien pauvres, l’impertinence longtemps vendue par Warner n’est perceptible à aucun moment, et enfin l’ingéniosité du twist originel de Suicide Squad est assassiné par la médiocrité de ses personnages et de leurs répliques : « Nous sommes les méchants, nous faisons les mauvaises choses. » nous assène Margot Robbie, en nous suppliant de rire ou de croire que son personnage a quelconque profondeur.
Les acteurs nous supplient de rigoler
N’est pas Marvel qui veut
Le film, vu en projection publique, a fait rire la salle à une petite dizaine de reprises. Ça pourrait paraître rassurant, mais non : l’humour de Suicide Squad n’est ni sincère, ni bien senti, les répliques qui sont censées détendre le spectateur tombent entre deux plans, sont cruellement peu inspirées, et, pire que tout, les acteurs et la mise en scène nous supplient à genoux de rigoler. Car Suicide Squad c’est drôle, jeune et impertinent. Alors que non. C’est désagréable et on culpabilise presque d’être peine à jouir. Mais rassurez-vous c’est normal de ne pas rire, ce n’est pas drôle.
On voit bien là la véritable cornerisation artistique du DC Universe que Warner Bros. tente de rentabiliser en réponse au MCU. Commencé avec Man of Steel ce DC Universe enchaîne les infortunes et le médiocre Batman v Superman en donnait le ton. Le projet de la Warner est une caricature de ce que Hollywood peut faire de pire depuis les années 2000 : des films bâclés, confiés à des réalisateurs inexpérimentés et peu volontaires. Les pellicules collectionnent les arguments marketing plutôt que les morceaux de bravoure et l’industrialisation de la production de ces produits pour fanboys en a définitivement retiré la grâce et la magie.
Suicide Squad illustre très bien cet échec. Le long métrage n’a rien d’un film, c’est une sorte d’enchaînement de plans dans lequel se succèdent des cadeaux et easter eggs à des fanboys qui n’ont d’autre utilité que de rentabiliser les millions dépensés. Et pour les faire venir, coûte que coûte, les affiches s’allongent et les références à tout (et surtout n’importe quoi) s’accumulent.
Faites un test intéressant : allez voir Suicide Squad comme si c’était le premier film d’un univers que vous ne connaissez pas, vous n’aurez certainement aucune envie d’en voir d’autres. Principalement car vous ne vous êtes attaché à personne et que le film est juste bancal. Il y a, dans cette méthode de production adressée à une niche, quelque chose qui tue lentement mais sûrement le cinéma.
Mention spéciale de la déception à Jared Leto, qui incarne pendant une petite trentaine de minutes un Joker gangsta-isé, qui a des faux-airs de Ziggy Stardust sous crack. Superflue, sa présence exprime tout le problème du film : premièrement, son personnage est moins épais que du papier bible. Deuxièmement, qu’est-ce qu’il fout là ? Aucune idée.
Le cinéma-easter-eggs tue le cinéma
Enfin, on retire une certaine stupéfaction devant la bande originale du film, dont la cohérence échappe à chacun et qui dans le fond, résume l’échec de Suicide Squad de collectionner, mélanger et additionner des scénarios et des univers différents. Un album en a été tiré, mais ce qui choque vraiment, c’est de voir des tubes bateaux des trente dernières années appliqués aléatoirement sur des scènes sans motif particulier.
Vous pensez qu’il est impossible d’entendre encore Seven Nation Army en dehors d’un stade de foot alcoolisé ? Rendez-vous dans les salles avec l’épuisant produit de Warner.
Le verdict
Suicide Squad
On a aimé
- Les costumes sont originaux
- Le plot initial est prometteur
- Will Smith et Viola Davis
On a moins aimé
- 2h10, c'est long pour une bande-annonce
- Les personnages ? Qui sont-ils ?
- Les CGI font passer la Fox sur X-Men pour de l'élégance
Il est bien dur de tirer sur une ambulance. Et pourtant, on a beau chercher, Suicide Squad n'a que très peu d'arguments en sa faveur. Principalement car on est très loin de ce qu'est un film construit et abouti.
Néanmoins, puisqu'il faut rentabiliser les dépenses de la Warner pour qu'elle puisse, comme pour Batman v Superman, prétendre à une réussite, courez le voir, afin que l'on puisse financer jusqu'au bout un système de production qui, à terme, va causer sa propre perte.
Ailleurs dans la presse
- Télérama : « On trouve tout dans Suicide Squad, et c’est pour ça qu’on n’y trouve rien de consistant. »
- Le Figaro : « Suicide Squad aurait pu s’en tenir qu’à un court-métrage de deux minutes, soit juste une bande-annonce. »
- Première : « Le film enchaîne alors les clichés scénaristiques les plus patauds et s’abîme dans une scène finale consternante, aux confins du nanar. »
- The Hollywood Reporter : « All flash, no fun. »
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