Depuis les débuts du mouvement #MeToo, notamment dans l’industrie du divertissement, une phrase en particulier circule fréquemment dans les milieux militants : « Brûlez vos idoles ». Le cas de l’influent Neil Gaiman relance désormais ce débat, régulièrement mis sur la table. L’auteur de Sandman, Good Omens, Coraline ou encore American Gods est ainsi visé, depuis l’été 2024, par des accusations d’agressions sexuelles, d’abord révélées par le média britannique Tortoise Media.
Dans un podcast en six épisodes, Master: the allegations against Neil Gaiman, cinq victimes racontaient ainsi le calvaire qu’elles avaient vécu à cause de cette figure majeure de la littérature et de la fantasy. Le 13 janvier 2025, Vulture a dévoilé, à son tour, une immense enquête sur ses agissements, avec le témoignage de huit femmes.
Voici donc ce que l’on sait des accusations qui visent Neil Gaiman, et des dernières révélations de Vulture.
Attention : même si nous avons choisi de ne pas les décrire dans le détail, la suite de cet article contient des récits de violences sexistes et sexuelles, qui peuvent être difficiles à lire.
Qui est Neil Gaiman ?
Neil Gaiman détient un statut d’auteur intouchable, en particulier en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Ses romans, notamment graphiques, ont participé à étendre la popularité des comics et ont maintes fois été adaptés à l’écran. On pense par exemple à des films comme Coraline, sorti au cinéma en 2009, ou aux séries à succès Sandman sur Netflix et Good Omens sur Prime Video, dont il était également le showrunner.
Il est aussi à l’origine du personnage de Lucifer, transposé en série dès 2016, ou de l’univers de Dead Boy Detectives, dont la saison 2 a finalement été annulée par Netflix, en 2024.
Neil Gaiman, qui avait aussi participé à l’écriture de deux épisodes de Doctor Who, pour les saisons 6 et 7, était un auteur reconnu par ses pairs, par la critique et par ses fans. Il était notamment très actif sur les réseaux sociaux, répondant activement aux messages qu’il pouvait recevoir et encourageant même ses lecteurs à poursuivre des projets créatifs.
L’artiste, très éloquent, était également engagé politiquement, se présentant comme un allié féministe et défendant régulièrement les victimes de violences sexistes et sexuelles. Pourtant, comme le souligne Vulture dans son enquête, les oeuvres de Neil Gaiman regorgent de figures masculines qui n’hésitent pas à violer, torturer, agresser ou tuer des femmes pour réussir, comme le personnage de Madoc dans Sandman.
En 2017, il a aussi été nommé Ambassadeur de bonne volonté par l’Agence des Nations Unies, pour son implication dans la crise des réfugiés. De plus, en 2023, l’auteur de comics, de fantasy et de livres pour enfants était cité par le Time Magazine, dans sa liste des 100 personnes les plus influentes au monde.
Des premières accusations datant de juillet 2024
En juillet 2024, le média britannique Tortoise Media dénonce pour la première fois les agissements de Neil Gaiman auprès de deux femmes, pour des faits ayant eu lieu entre 2002 et 2022. Elles relatent notamment des pénétrations sexuelles violentes et dégradantes, mais aussi des comportements déplacés de façon générale.
Tortoise recueille ensuite le témoignage de cinq victimes anonymes dans un podcast nommé Master: the allegations against Neil Gaiman. Une sixième femme s’est ensuite manifestée pour raconter son histoire.
Elles décrivaient toutes un mode opératoire similaire, glaçant, mais malheureusement bien connu : celui d’un auteur à succès, qui a profité de son influence pour abuser de femmes, avant de proposer une compensation financière pour étouffer l’affaire. L’auteur a alors fermement contesté ces accusations.
Ces accusations auraient dû faire l’effet d’un coup de tonnerre dans le petit milieu de la littérature et du divertissement, qui a mis Neil Gaiman sur un piédestal pendant plusieurs décennies. Malheureusement, si le podcast de Tortoise a fait l’objet de nombreuses écoutes, peu de grands médias ont relayé ces informations majeures.
Comme l’analysait le média Arrêt sur images en septembre 2024, ce silence peut notamment s’expliquer par un timing peu favorable, avec une enquête révélée durant l’été, par la stratégie médiatique de Neil Gaiman, qui réfute les accusations en bloc en refusant de donner d’amples détails, mais aussi par l’aura de cette figure majeure de la littérature.
Que révèle l’article de Vulture sur Neil Gaiman ?
Le 13 janvier 2025, l’affaire connaît de nouveaux rebondissements. Le média Vulture, lié au New York Magazine, vient ainsi de publier une enquête accablante écrite par la journaliste Lila Shapiro. Cette dernière a pu réunir les témoignages de huit victimes d’agressions sexuelles, dont quatre d’entre elles avaient déjà pu témoigner dans le podcast de Tortoise. Cette fois, certaines femmes, plutôt jeunes au moment des faits, ont décidé de s’exprimer à visage découvert, pour raconter leurs histoires.
Scarlett Pavlovich révèle ainsi qu’elle avait seulement 22 ans lorsqu’elle a rencontré Amanda Palmer, l’ancienne femme de Neil Gaiman, en Nouvelle-Zélande. Après avoir noué une amitié, cette dernière lui propose alors de devenir la baby-sitter de leur enfant de 5 ans.
La première fois que Scarlett Pavlovich rencontre le célèbre auteur, en février 2022, il lui propose de prendre un bain, seule, dans son jardin. Il l’aurait ensuite rejoint, entièrement nu, en lui demandant de s’asseoir sur ses genoux, avant de l’agresser sexuellement.
Par la suite, Neil Gaiman a continué à lui imposer des rapports sexuels non consentis, notamment anaux sans lubrification préalable, en exigeant qu’elle l’appelle comme son « maître », la désignant en retour comme une « bonne petite fille » ou même comme son « esclave ». La jeune femme raconte également qu’il l’aurait sexuellement agressée devant son propre fils, tout en continuant à s’adresser à lui directement.
Quelques mois plus tard, Scarlett Pavlovich a accepté de signer une clause de confidentialité pour taire ces événements, contre une compensation financière de 9 200 dollars. En janvier 2023, elle a tenté de porter plainte contre Neil Gaiman pour agression sexuelle, mais l’affaire a été classée sans suite.
Caroline, une seconde victime, avait aussi été embauchée chez les Gaiman, en tant que babysitter. Elle a entamé une relation consentie avec Neil Gaiman en 2017. Elle raconte notamment que ce dernier n’aurait pas hésité à l’agresser sexuellement, alors qu’elle s’était endormie dans son lit, après avoir lu une histoire à son fils. Neil Gaiman aurait alors attrapé la main de Caroline pour la poser sur son pénis, avec son enfant assoupi entre eux deux. En décembre 2021, le manager de Gaiman lui a offert de signer une clause pour quitter la propriété. Elle a finalement accepté en négociant le montant, à 300 000 dollars.
Kendra Stout, qui avait 18 ans lorsqu’elle a rencontré Neil Gaiman en 2003, a également porté plainte en octobre 2024, pour un viol ayant eu lieu en 2007. Katherine Kendall, de son côté, accuse l’auteur d’avoir tenté de l’agresser sexuellement, après avoir explicitement refusé ses avances.
Il lui aurait alors répondu qu’il était « un homme très riche » et qu’il avait « l’habitude d’obtenir » ce qu’il voulait. Des années plus tard, Neil Gaiman lui a offert 60 000 dollars afin qu’elle puisse entamer une thérapie. Dans un appel enregistré par la victime, il déclare vouloir « se faire pardonner pour les dégâts » qu’il a pu causer.
L’enquête de Vulture met ainsi en lumière de graves agissements de la part de Neil Gaiman, tout en mettant également en cause l’implication d’Amanda Palmer, son ancienne épouse de 2011 à 2020, avec qui il formait un couple libre. Celle-ci a notamment encouragé Rachel, l’une de ses fans, à avoir des relations sexuelles avec son mari.
Auprès de Vulture, Rachel raconte que le consentement n’a jamais été « rompu de façon flagrante », mais que Neil Gaiman l’encourageait toujours à faire des choses qui lui faisaient mal ou peur. Avec le recul, elle a le sentiment qu’Amanda Palmer l’a offerte à son époux « comme un jouet ».
En 2022, Scarlett Pavlovich s’est également confiée à Amanda Palmer concernant les agressions sexuelles que Neil Gaiman lui avait fait subir. Son ex-femme n’a pas semblé surprise et lui a même répondu que 14 femmes lui avaient déjà révélé des faits similaires. Par la suite, lorsque Scarlett Pavlovich a porté plainte, au début de l’année 2023, Amanda Palmer a refusé de témoigner en sa faveur.
Que répond Neil Gaiman à ces accusations ?
L’auteur s’est muré dans le silence, depuis les premières accusations, datant de l’été 2024. Ses représentants, en revanche, nient tout en bloc, assurant que toutes ces relations étaient consenties. Ils avaient déjà exprimé auprès de Tortoise Media que « les dégradations sexuelles, le bondage, la domination, le sadisme et le masochisme ne sont peut-être pas du goût de tout le monde, mais si cela a lieu entre des adultes consentants, la pratique du BDSM est légale ». Vulture souligne tout de même que le BDSM repose justement majoritairement sur le consentement, libre et éclairé, de toutes les parties impliquées, pour chaque acte pratiqué.
Amanda Palmer, elle, ne s’est pas encore exprimée sur le sujet.
Dans l’article de Vulture, plusieurs victimes, elles, reconnaissent qu’elles ont effectivement désigné Neil Gaiman comme leur « maître » de façon consentie, mais que cela n’empêche pas que plusieurs pratiques sexuelles leur avaient été imposées, sans aucune discussion préalable.
L’affaire de Neil Gaiman soulève à nouveau la question cruciale du consentement, et met en lumière le cas des agressions sexuelles, perpétuées dans des relations par ailleurs consenties.
Quel avenir pour les séries Good Omens et Sandman, sans Neil Gaiman ?
En parallèle de sa vie littéraire, très prolifique, Neil Gaiman s’était également beaucoup investi dans les adaptations de ses propres œuvres, notamment à la télévision.
Les fans attendaient ainsi une saison 3 inespérée pour Good Omens, roman qu’il a co-écrit avec Terry Pratchett en 1990. Les préparatifs avaient déjà débuté en Ecosse, avec toujours Michael Sheen (Masters of Sex) et David Tennant (Doctor Who) dans les rôles principaux. Mais à l’été 2024, suite aux révélations de Tortoise Media, la production de la série de Prime Video a finalement été mise en pause, pour une durée indéterminée.
A priori, la saison 3 devrait être finalement transformée en un seul épisode final, de 90 minutes, sans la présence de Neil Gaiman aux manettes, d’après Deadline.
Du côté de Sandman, sur Netflix, la saison 2 tant attendue devrait être dévoilée en 2025. Cependant, la plateforme de streaming garde le silence sur ce projet, depuis déjà plusieurs mois. On ignore si Neil Gaiman est toujours impliqué dans son développement et aucune date de sortie officielle n’a été annoncée, pour le moment.
Enfin, après les révélations de l’été 2024, Disney a également mis en pause un projet de longue date : le développement de The Graveyard Book, une autre adaptation d’un roman de Neil Gaiman.
Les abonnés Numerama+ offrent les ressources nécessaires à la production d’une information de qualité et permettent à Numerama de rester gratuit.
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l’I.A, contenus exclusifs et plus encore. Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous gratuitement à Artificielles, notre newsletter sur l’IA, conçue par des IA, vérifiée par Numerama !