Du grain, des images faussement patinées par le temps, de la danse, partout, tout le temps, du disco se vautrant dans les paillettes et des vinyles à foison : bienvenue dans une certaine idée du Bronx, celle de Baz Luhrmann qui signe avec The Get Down la série la plus chère de l’histoire de Netflix.

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Avant même d’être dévoilée par Netflix, la série The Get Down a déjà fait couler beaucoup d’encre dans les colonnes de Variety. Le show de Baz Luhrmann se classe effectivement, grâce aux excès de budget rituels du cinéaste, comme le plus cher de l’histoire du service de vidéo à la demande par abonnement, dépassant largement Marco Polo, avec un total de 120 millions de dollars, contre 90 millions pour la fresque historico-dramatique. Soit, sur 12 épisodes, plus de 7,5 millions par tranche de 50 minutes. Soit. Mais lorsque nous regardons une série, notre obsession n’est pas comptable. Donc nous écartons sans plus tarder ces aspects pour nous concentrer sur l’œuvre elle-même.

Ce point de vue, ce fut aussi celui de Netflix qui a tenu à garder le réalisateur de renom malgré les pressions de Sony qui voulait en changer ;  le cinéaste était trop coûteux pour les aigris de la société, alliée pour l’occasion au service de SVOD américain pour mettre au monde le show.

Néanmoins, la carrière du Lurhmann n’est pas seulement composée de réussites et les extravagances du monsieur ne sont pas toujours du meilleur goût. Netflix tenait entre ses mains un grand nom avec la signature de Luhrmann, mais n’était pas assuré de s’en tirer avec un chef d’œuvre au bout du compte.

C’est par ailleurs un peu le charme de ce pari, très quitte ou double. En fin de compte, le tournage a été jalonné d’épreuves, de déconvenues et de dépenses, pour une raison qui est rapidement mise en lumière par la série elle-même : le mode narratif, l’esthétisme et la mise en scène sont inédites dans ce format encore jeune que l’on appelle modestement série télé.

Le freak c’est chic

Diffusé à travers le monde ce 12 août, nous avons vu seulement les trois premiers épisodes du show. Soyons clairs : rien que le premier épisode de plus de 2 heures est hors norme. Dépassant très largement les 50 minutes imposées par Netflix, le pilote est en réalité un long métrage esthétique, fleuve, extravagant et immanquablement entrecoupé de plans dont la seule utilité est purement visuelle.

Car Lurhmann n’a définitivement pas choisi de faire du petit écran avec sa série, il ambitionne un format encore inexistant, difficile à cerner entre le clip vidéo, la performance, la comédie musicale et la série télé. À ce titre, on lui donnera raison d’avoir voulu expérimenter avec Netflix, dont la liberté des formats a laissé au maître la latitude suffisante pour exposer son talent.

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Mais là où sont les plus grandes qualités du show se situent également ses principales faiblesses. On imagine déjà que la série ne plaira pas unanimement, car dans le fond, peu de films de Luhrmann l’ont fait. Et bien que la présence du cinéaste est tempérée par la présence des scénaristes et d’autres producteurs, The Get Down reste une sorte de manifeste stylistique de Luhrmann. Les deux épisodes qui suivent conservent la patte imposée, le grain, les plans carte postale à n’en plus finir, tout en accélérant le rythme de la fiction, sauvant ainsi le trop ambitieux fantasme du réalisateur.

Car à de nombreuses reprises au fil de ces trois épisodes, le spectateur est laissé pour compte devant ces amoncellement de plans magnifiques, de mises en scènes étourdissantes et de plaisirs, quasi-égoïstes, de Lurhmann qui collectionne, passionné et monomaniaque, les références et les détails d’une époque déchue.

The Get Down

En cela, le show The Get Down doit se regarder pour ce qu’il est : une éblouissante collection de sons et de souvenirs d’un New-York habité par l’âme de la musique, la ville et ses habitants flottant nonchalamment dans une époque trouble et percutée par la crise. Soyons honnêtes quant à la subjectivité de cette critique, votre serviteur a été biberonné à Saturday Night Fever et autres West Side Story, un référentiel que l’on trouve évidemment dans The Get Down.

Passé ce nécessaire disclaimer artistique, l’œuvre se révèle.

Last night a DJ saved my life

La série foisonne de personnages, dont les destins se mêlent, entre gangs, église, voyous à col blanc et petites gens du Bronx, et l’on pourrait s’y perdre. Mais l’écriture reprend si souvent son souffle, que le rythme et la narration s’éclairent au fur et à mesure de l’avancée du show. Et les très bonnes idées qui ont compliqué la production donnent à cette narration son originalité. Sinon, l’intrigue initiale repose sur un amour presque impossible — Roméo et Juliette hante vraiment Luhrmann — mais surtout sur une fresque que les Français qualifieraient de naturaliste, par son sens des réalités sociales, ethniques et culturelles.

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C’est ce qui sauve la série de ses penchants esthétisants, puisqu’elle se transforme peu à peu en formidable épopée sur la naissance du son. Mais là où Empire (Fox) et d’autres séries musicales récentes s’en tiennent à filmer la naissance providentielle et inexpliquée de la magie musicale, The Get Down plonge la tête la première dans les circonstances qui font musique.

Lorsque l’on s’attache à parler d’une époque où la musique n’est pas une distraction mais le prix de la liberté, c’était selon nous, l’écueil à éviter absolument. Or le show, savant et documenté, pose des mots et des fictions sur la naissance du son. Le disco n’est pas qu’un fond sonore, c’est cette musique ultra-sexuelle qui réconcilie les blancs et les noirs. Le rap n’est pas non plus un prétexte, c’est la voix de ceux qui meurent dans l’obscurité.

Brighter side of darkness

La série se fait dès lors très politique, et son propos est étayé par ses modes narratifs, particulièrement bavards, parfois jusqu’à l’écœurement. En somme, Luhrmann voudrait tout montrer, tout souligner et tout expliquer ; l’implicite n’existe pas pour lui, et cette mauvaise habitude se sent dans son show. Mais si on lui pardonne au profit des qualités documentaires de la série, The Get Down devient une œuvre à part, singulière, précieuse et fascinante, sur laquelle on pourrait disserter des heures durant, malgré ses maladresses.

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L’ensemble porté par une foule d’acteurs percutants et vifs finit par être solaire et se détache peu à peu de ses lourdeurs pour s’envoler, le temps de quelques scènes, vers une grâce certaine, comme les séries en proposent rarement. Une élégance inattendue qui s’échappe des séquences trop chorégraphiées et des plans improbables, et qui, en substance, nous rappelle que rien n’est plus sauvage que l’œuvre d’un perfectionniste.

The Get Down est luxuriante, détaillée, poétique et surtout, empreinte d’une authenticité presque stéréotypée, comme muséfiée

On finira par mentionner bande-originale, costumes et décors dans un même ensemble. C’est évidemment les très grandes qualités de ce show mené par des passionnés. L’univers The Get Down est luxuriant, détaillé, poétique et surtout, empreint d’une authenticité presque stéréotypée, comme muséfiée. Un honneur que la musique noire des années 1970 aura attendu longtemps.  

Le verdict

THE GET DOWN
8/10

The Get Down

La formule Luhrmann fonctionnera sur vous, ou pas. Car la série est bien à l'image de ce qu'a donné au cinéma le réalisateur dans son Gatsby par exemple. Souvent extravagant, parfois maladroit, le cinéaste n'en reste pas moins incroyablement talentueux quand il s'agit de de dresser des tableaux spectaculaires.

De plus, la série n'est pas exclusivement écrite par le maître, qui laisse d'autres mains se mêler à son oeuvre. Bénéficiant toujours de la patte et des obsessions de Lurhmann, le scénario gagne en intérêt lorsqu'il se mêle à la musique et à la fresque historico-sociale dépeinte. Portée par des acteurs, tantôt débutants, tantôt confirmés, le show qu'il serait difficile de qualifier de série télé tant il en dépasse les formats, est pour nous un incontournable Netflix, voir un incontournable tout court, la suite nous le dira. 

Ailleurs dans la presse

  • Le Monde : « Baz Luhrmann filme Ezekiel et Mylene comme il filmait Leonardo DiCaprio et Claire Danes dans Roméo + Juliette. »
  • Les Inrocks : « Pleine de foutoir, spectaculaire et vibrante, [la série] se place constamment du côté des poètes et des orphelins, surpasse ses faiblesses pour créer un monde vivable dans lequel tout glisse. »
  • Télérama : « Des boîtes disco aux bureaux des hommes politiques locaux, des squats où s’exercent les DJ aux bancs des églises, la série peint un monde fantas­que, haut en couleur. »
Source : Montage Numerama

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