Tokyo, Ikebukuro. Le Sunshine City est un peu plus qu’un centre commercial. C’est un mini-monde vertical de soixante étages où se pressent trente millions de personnes chaque année. Ici, la consommation est un spectacle. On pourrait presque venir tous les jours pendant une semaine sans jamais entrer dans une boutique, tant les attractions sont nombreuses. Et au cœur de cet étrange labyrinthe se trouve la Fountain Plaza, sorte de place du village où les flux humains convergent et où, depuis les balcons, on scrute l’agitation permanente.

En ce jour de décembre, la place comme les étages vibrent aux sons des “Ganbare !” de centaines de personnes venues observer une compétition de toupies Beyblade. Tous les regards sont braqués sur un petit garçon de douze ans, Sousuke, qui gambade, sourire jusqu’aux oreilles, sa coupe serrée contre la poitrine. « Je suis vraiment reconnaissant envers chaque personne venue m’encourager« , nous explique-t-il bien modestement. Le jeune champion vient tout juste de remporter devant son public les Asian Championship de Beyblade (catégorie régulière), un championnat réunissant des représentants de neuf pays et ouvert, pour la première fois, aux adultes.
La compétition a été organisée par Takara Tomy, l’entreprise japonaise propriétaire de Beyblade, pour fêter les 25 ans de ses toupies en 2024. À cette occasion, l’entreprise a lancé une série d’événements partout dans le monde, visant à réveiller la nostalgie des trentenaires tout en attirant de nouvelles générations. Objectif des années à venir : faire de Beyblade un véritable sport pour lui rendre son succès au-delà de l’archipel.
Hypervitesse à la récré
Qui se souvient des toupies Beyblade ? C’est la question que se posait l’INA, il y a deux ans à peine, en partageant sur YouTube un reportage de 2003 qui sent bon les goûters entre copains et la cour de récréation. On y voit deux petites têtes blondes expliquer à la journaliste que, bien évidemment, ils crient « 1, 2, 3… hypervitesse ! » avant de lancer leur toupie parce qu’ils sont fans de l’anime éponyme.
Beyblade, ce sont des toupies personnalisables. On les collectionne, on les échange et surtout, on les propulse dans une arène miniature à l’aide d’un lanceur pour les faire combattre. Celle qui fait sortir l’autre de l’arène ou arrête sa course gagne des points — et on recommence jusqu’à la fin du match. « Le principe de Beyblade est fondé sur les jouets traditionnels Beigoma, dont l’origine remonte à plusieurs siècles et qui ont toujours eu du succès au Japon. Nous avons pris l’essence de ces toupies pour les faire évoluer avec leur temps« , explique Takaoka Hisato, responsable du développement commercial des produits Beyblade.
Au Japon, Beyblade est lancé en 1999 et est suivi la même année d’un manga, puis d’un anime et d’un jeux vidéo dans les deux années suivantes. Comme Nintendo avec Pokémon, le succès vient grâce au mélange des médiums qui captent l’attention des enfants pour transformer de simples jouets en phénomènes de cours de récré.

Chez nous, c’est en 2003 que la série débarque, devenant rapidement la poule aux œufs d’or de la matinale enfant de France 3 pour une génération post-Club Dorothée folle de production japonaise. Portés par le succès de l’anime, les toupies se vendent comme des petits pains et Hasbro, qui a racheté les droits d’exploitation en Europe et aux États-Unis, en écoule plusieurs centaines de milliers en un trimestre seulement — entre 500 000 et 2 millions, selon les sources de l’époque. Gigantesque.
Dans les cinq premières années de la décennie, le combo Hasbro-Takara Tomy a écoulé pas moins de 100 millions de toupies à travers le monde. Mais après ce pic de popularité, chez nous, Beyblade semble avoir disparu des radars.
Le nouvel âge d’or de Beyblade
Est-ce parce que nous avons vieilli ? Sans doute un peu. En réalité, Beyblade a conservé au fil des ans un fandom conséquent, aussi bien en ligne qu’à l’occasion de tournois physiques et les ventes sont restées élevées même en dehors du Japon. Les toupies ont simplement quitté la scène des jeux mainstream, à l’instar d’un Digimon. Pourquoi ? Difficile d’en expliquer les causes de façon exhaustive : essoufflement naturel d’une tendance, une pause de quatre ans entre la fin du premier cycle des anime et le second, ou peut-être une différence d’investissement marketing entre Hasbro, parfois critiqué par la communauté, et Takara Tomy au Japon.
Mais comme Sousuke, notre champion du jour, peut en témoigner, Beyblade n’est pas mort. Depuis 2015 et le lancement de sa série Burst, troisième génération de toupies, la stratégie de Takara Tomy a fortement évolué, avec un focus de plus en plus centré sur les combats eux-mêmes et la vitesse des toupies. « Sur les premières et deuxièmes générations de Beyblade, l’anime servait avant tout à introduire l’univers. Aujourd’hui, c’est en jouant à Beyblade que les enfants découvrent l’anime et tout l’univers qui l’entoure« , explique Takaoka Hisato à Numerama.

Chaque génération de toupies apporte son lot de nouveautés. Avec Burst, l’innovation phare était le système d’éclatement des composants, qui ajoutait un effet spectaculaire aux affrontements. En 2023, la sortie de Beyblade X, quatrième génération, a misé sur un autre aspect clé : la vitesse. Chaque année ou presque, de nouveaux systèmes sont introduits pour offrir aux toupies de nouvelles caractéristiques et apporter une variété de configurations phénoménales – des centaines sur les dernières générations – pour optimiser les stratégies. Un casse-tête pour les non-initiés et un régal pour les passionnés.
In fine, ces évolutions ont permis de dynamiser les ventes : Beyblade X s’est écoulé à 5 millions d’unités au Japon le mois de son lancement, surpassant les performances de Burst, qui aura généré 250 millions de yens de bénéfices (environ 1,5 million d’euros) durant ses huit ans d’existence. La marque, elle, reste dépendante de ses relances périodiques pour maintenir l’intérêt des joueurs.
D’autant plus que selon les règles officielles, on ne peut pas faire combattre des générations différentes : il faut donc repasser à chaque fois à la caisse. Et les toupies Beyblade ne sont pas données, évidemment. Takara Tomy a donc commencé à multiplier sa présence digitale, avec 13 chaînes YouTubes ciblant des régions différentes, selon le journal Nikkei Asia. L’entreprise enchaîne aussi les collaborations, comme avec le jeu vidéo Roblox ou très récemment le FC Barcelone, qui a eu droit à ses propres toupies.
Beyblade, un véritable sport en 2025 ?
Mais Beyblade, c’est surtout une scène compétitive qui ne cesse de se développer. Avec le concours de Takara Tomy, qui s’efforce de positionner les combats de toupies comme une discipline reconnue, avec des règles standardisées et des arbitres formés.

Avec la volonté d’en faire un véritable sport – un terme usité en permanence par les employés de l’entreprise. « Nous utilisons le mot sport parce qu’il n’y a pas seulement les joueurs, mais un public pour regarder les batailles. C’est vraiment important pour nous. Avec cette perspective, nous essayons désormais de nous concentrer sur les livestreams pour élargir cette audience. Nous voulons multiplier les événements, tant pour les enfants que pour les adultes”, continue Takaoka Hisato.
Et cela passe aussi par le succès auprès d’un public plus adulte : en 2023, deux centres d’entraînement expérimentaux, à Tokyo et Osaka, lancés en partenariat avec l’équipementier Mizuno, ont été ouverts en 2023 sous le forme de pop-up stores. En 2024, c’est un Beyblade Bar éphémère et destiné aux adultes qui a été ouvert à quelques pas du Sunshine City. Dans le même temps, le marketing de Beyblade évolue : au Japon, la tagline de Beyblade X, la nouvelle génération, est par exemple « Ce n’est plus seulement un jeu » (« もう遊びじゃない »).
La scène compétitive de Beyblade existe évidemment depuis de nombreuses années. Avec d’un côté la World Beyblade Battling Association, chapeautée par Takara Tomy, et d’un autre la World Beyblade Organization, une organisation de fans sans but lucratif et indépendante qui organise principalement des tournois outre-Atlantique. Les deux ont leur propre tournois, règles et ligues et forment un ensemble relativement peu lisible qui, cependant, reflète bien l’engouement mondial pour les combats de toupie.
Notre petit Sousuke a par exemple été le grand champion d’un tournoi qui réunissait, au départ, pas moins de 3 299 Bladers qui se sont affrontés dans des tournois locaux, dans dix régions d’Asie, pour se qualifier au championnat continental. Le garçon, qui a découvert Beyblade grâce à son grand-frère, a commencé à jouer il y a quatre ans. « Maintenant, je m’entraîne tous les jours. C’est vraiment difficile de dépasser ses limites et devenir meilleur, donc j’essaie de tester différentes manières de m’entraîner pour devenir petit à petit meilleur. L’an prochain je veux aussi gagner des compétitions et surtout les championnats du monde !« , explique-t-il. On lui souhaite bonne chance.
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