Approchant désormais de la centaine d’heures de jeu sur Assassin’s Creed Shadows, il est temps de l’affirmer clairement : oui, il existe une vraie bonne manière de jouer à ce quatorzième épisode principal. On vous explique comment.

Depuis sa naissance en 2007, la série Assassin’s Creed évolue par à-coups, parfois par des bouleversements significatifs (Assassin’s Creed Black Flag ou Assassin’s Creed Origins, notamment), parfois (et surtout) par itération, correction et ajout de fonctionnalités discrètes. Si l’on met de côté le bond en avant technologique réalisé par Assassin’s Creed Shadows avec la nouvelle version de son moteur, le jeu d’Ubisoft Québec a plutôt tendance à entrer dans la seconde catégorie, celle des évolutions discrètes — inhérent à sa nature de quatrième épisode d’une formule désormais bien huilée. Dès lors, il n’est pas toujours évident de se rendre compte à quel point certains changements qu’il opère sont novateurs et à même de transformer notre expérience de jeu. Car notre premier réflexe, c’est de se dire bêtement ‘OK, c’est le même jeu’, et de l’appréhender comme tel sans forcément chercher à voir plus loin.

Source : Capture PS5
S’aventurer dans la nature, c’est très beau. Mais c’est tout. // Capture PS5

Jouer biais en tête

Oui, en tant joueur et joueuse, nous avons de vilains biais. Moi, le premier ! Car testeur de jeu vidéo, c’est vraiment un drôle de métier. On reçoit, certes, les jeux en avance (en l’occurrence, trois semaines), mais face à des mondes ouverts AAA de cet acabit, on a logiquement tendance à foncer au travers de l’histoire principale avec cet absurde objectif d’essayer de finir le jeu le plus vite possible. Le tout pour appuyer ses futurs arguments écrits sur la certitude d’avoir vu l’aventure telle qu’elle était réellement car on a la légitimité de celui qui a vu le générique de fin. Bien sûr, on bifurque par moment (notamment car la nature action-RPG pousse parfois à une certaine forme de grind pour avoir le bon niveau), mais notre trajectoire ressemble peu ou prou à une ligne droite, là où ce genre de jeu devrait nous pousser à zigzaguer continuellement.

Notre premier réflexe, c’est de se dire bêtement ‘OK, c’est le même jeu’

Je mets ça sur le fait d’être testeur, mais je me rends compte que cela ne tient pas qu’à ça. Comme tous les joueurs et joueuses, je confesse être prisonnier d’une FOMO (pour Fear of missing out, soit la peur de passer à côté de quelque chose) qui me pousse à traverser la plupart des jeux avec hâte et nervosité pour rapidement passer au prochain. Emporté dans un tourbillon de jeux de plus en plus nombreux, de plus en plus faciles d’accès (que ce soit par les soldes Steam ou des offres comme le Xbox Game Pass), nous enchaînons avec frénésie tous ces mondes virtuels sans vraiment profiter de tout ce qu’ils ont à offrir.

Et les studios ont aussi alimenté ce terrible mécanisme en anticipant à outrance nos potentielles frustrations à coups de mode de vision magique pour mettre les éléments importants en surbrillance, de traces de peinture jaunes pour nous guider dans des niveaux trop complexes visuellement ou encore par le principe du backseating (faire en sorte que le personnage principal se parle à lui-même ou soit accompagné d’un acolyte pour nous donner naturellement des indices sur ce qu’il faut faire et comment). Résultat : on devient des fainéants pressés.

Source : Capture PS5
Prendre son temps, c’est faire des découvertes étonnantes, comme cet homme entouré de dizaines de chat (inspiré, semble-t-il, de Maxime Claudel). // Capture PS5

Un authentique jeu de rôle

On peut cacher entièrement le HUD

Une option très bienvenue et bizarrement classée dans le menu dans la section Commandes permet d’activer/désactiver l’affichage du HUD en double-cliquant sur R3. Idéal pour profiter pleinement de l’immersion dans ces paysages de rêve quand on voyage.

Avec Assassin’s Creed Shadows, ça n’a pas manqué : j’ai rushé comme un abruti jusqu’au dénouement de l’aventure principale. J’étais dans un tel empressement que j’ai même joué pendant un temps en mode guidé, avec de stupides icônes qui balisaient mon parcours parce que j’étais aveuglé par l’envie de le finir. Quand ce fut le cas, il me restait une multitude de quêtes auxquelles je n’avais pas touchées et, surtout, la moitié, voire deux tiers de la carte du jeu n’était pas dévoilée. C’est à ce moment-là que j’ai eu un déclic et que j’ai totalement changé ma manière de jouer. Elle m’étonne et me comble tellement aujourd’hui que je suis à deux doigts de relancer une partie depuis le début ainsi pour en profiter pleinement (mais bon, après 100h de jeu…). Si je devais en résumer le principe : être 100 % roleplay.

Ce n’est pas tout de décréter cela. Encore faut-il que le jeu nous en donne vraiment les moyens. À l’origine, Patrice Désilets, directeur créatif des deux premiers épisodes, envisageait Assassin’s Creed sans le moindre HUD. Il avait en tête un jeu propice au roleplay, au sens strict du terme : incarner un rôle. Mais ce jusqu’au-boutisme ne passa pas et lui et ses équipes durent imaginer une surcouche visuelle pour informer et guider le joueur (une contrainte qui donna naissance au principe de l’Animus). Toutefois, quelque part dans l’ADN de la série, la volonté de favoriser l’immersion du joueur était là, cachée, pendant longtemps, enterrée sous des couches et des couches d’icônes, d’interface invasive et de tutoriels incessants. En 2017, la sortie de The Legend of Zelda : Breath of the Wild vint prodigieusement montrer qu’une autre voie était possible et qu’elle comblait même une véritable attente du public.

« Au nord de Kyoto, près du troisième cerisier à gauche de la rivière qui va vers l’est »

Dès l’année suivante, Assassin’s Creed Odyssey en prit bonne note en imaginant son mode Exploration au HUD épuré et, déjà, avec des PNJ donnant des indications géographiques sur les lieux des missions. Assassin’s Creed Valhalla tenta de raffiner un peu le système, mais la superficie de son open world et son interminable campagne diluèrent ces efforts. Assassin’s Creed Shadows, lui, réussit enfin à en livrer une vision convaincante, mais pour s’en rendre compte, il ne faut surtout pas utiliser une des nouvelles fonctionnalités du jeu : les éclaireurs. Précisément, ils gâchent tout le principe de la recherche de sa cible. Ce qui m’a frappé, c’est que le jeu est pensé pour être fait sans eux. À la recherche d’un salopard accusé de bloquer l’arrivée de marchandises dans une région, j’en ai déduit qu’il était peut-être dans l’un des grands ports du coin. En arrivant à proximité, j’entends par hasard deux badauds se plaindre du manque de riz depuis que des pirates ont pris le contrôle des lieux comme si le monde lui-même voulait me faire comprendre que j’étais sur la bonne piste.

Source : Capture PS5
Les tori-i sont clairement des invitations à quitter le chemin principal. // Capture PS5

C’est en réalité l’expression d’une autre subtilité d’Assassin’s Creed Shadows : Ubisoft Québec a anticipé le fait que l’on emprunterait ses routes et chemins. La topographie de la carte est particulièrement escarpée et les zones souvent séparées par d’épaisses forêts, si bien que l’on est violemment poussé à rester sur les tracés balisés. C’est a priori contre-intuitif, voire antinomique dans le cadre d’un Assassin’s Creed (et parfois un brin frustrant). Mais cette manière de canaliser les joueurs et joueuses a permis au studio de parsemer l’abord de ces routes de tout son contenu. Tous les points d’intérêt sont accessibles ainsi ou, a minima, sont indiqués par la présence de tori-i. Même les événements secondaires, petites interactions avec des PNJ qui pourraient mener à des indices sur d’autres lieux à visiter, par exemple, sont savamment disposés de cette manière.

Quand j’ai compris tout cela, j’ai instauré ma seconde règle d’or : éviter au maximum la téléportation. J’ai même un principe implicite : si mon objectif est à moins de deux kilomètres, j’y vais à cheval. Si c’est plus, cela dépendra de si ma route passera ou non par des zones déjà visitées. Je me suis alors mis à utiliser la carte du jeu et la boussole comme jamais dans un Assassin’s Creed. C’est d’ailleurs dans cette configuration que la superficie de l’aire de jeu révèle son intérêt puisque la longueur des voyages crée naturellement cette sensation d’explorer et de s’aventurer vers l’inconnu, et compense ainsi le renoncement à sortir des sentiers battus.

Source : Capture PS5
C’est le moment de profiter de la vue, pas de dévoiler bêtement tous les points d’intérêt ! // Capture PS5

Mais pour aller au bout de cette logique, il reste une dernière règle à respecter : arrêter d’utiliser les points d’observation. Sur le papier, c’est un crime de lèse-majesté pour la licence. Mais, là encore, Assassin’s Creed Shadows est prévu pour ! Avec l’arrivée du mode Observation (pression de la gâchette gauche pour zoomer la caméra et révéler les éléments intéressants par un jeu d’indicateurs lumineux), le déblocage des points d’intérêt sur la carte n’est plus automatique. Grimper en haut d’un temple ou d’un pic montagneux continue de déclencher ces moments saisissants de contemplation, où la caméra se déporte au loin pour tournoyer autour de nous, mais sans révéler systématiquement tout ce qu’il y a à découvrir. Il suffit donc de s’interdire d’utiliser le mode Observation pour ne pas gâcher le plaisir de l’exploration et conserver intacts ces moments de surprise quand on découvre un temple, un tombeau ou une zone de Parkour dans la nature de manière spontanée. En jouant ainsi, à l’aveugle, il m’est même arrivé d’enclencher des arcs narratifs secondaires sans même en avoir conscience — une sensation inégalable.

Pour vous convaincre une bonne fois pour toutes de jouer de cette manière, un dernier détail : le jeu a totalement prévu les découvertes fortuites. En s’éloignant des quêtes principales et des activités enchaînées sans réfléchir, il ne sera pas rare de fouiller des endroits normalement liés à une future mission, voire de tuer des cibles secondaires sans que leur quête n’ait encore été révélée. Auparavant, cela aurait conduit à des redites ou des incohérences (un PNJ qui vous renvoie vers un lieu déjà visité ou un bastion soudainement rempli à nouveau de toute la menace qu’il faut avec, cette fois, la cible en question). Là, il y a des lignes de dialogues spécifiques prévues, du type : « Oui, je suis déjà venu là » ou bien « J’ai déjà eu affaire à ce groupe de méchants ». Discrètement, Assassin’s Creed Shadows a bouleversé les règles de la série pour dévoiler son contenu et, surtout, donner les clés aux joueurs et joueuses pour enfin en profiter pleinement sans se reposer sur des artifices trop invasifs. Il y a encore un peu de travail pour que la sérendipité soit totale, mais ce nouvel Assassin’s Creed est déjà singulièrement captivant en l’état.

En résumé, voici mon propre Credo pour découvrir Assassin’s Creed Shadows dans les meilleures conditions :

  • Chercher soi-même les objectifs plutôt que de recourir aux éclaireurs ;
  • Éviter au maximum les téléportations pour privilégier les voyages sur les routes ;
  • Ne pas utiliser le mode observation sur les points de synchonisation pour que les points d’intérêt se révèlent naturellement pendant l’exploration.
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