Blonde, le dernier album de Frank Ocean, a été longtemps attendu puis unanimement célébré pour sa qualité et sa puissance. Mais derrière une réussite artistique se cache également une petite révolution dans l’industrie.

Après trois semaines d’exclusivité très médiatisées sur Apple Music, l’album le plus attendu de l’été a rejoint vendredi dernier le catalogue de Spotify. Le leader du streaming musical a enfin eu droit à Blonde, mettant ainsi fin à l’exclusivité d’un album pour lequel il n’existait pas d’alternative à l’écoute sur Music ou à l’achat sur iTunes, aucune version physique n’ayant été mise à la vente.

Pour le moment, l’album n’est donc disponible que sur Spotify et reste à l’écoute sur Apple Music : aucune confirmation n’a été donnée concernant une disponibilité future pour d’autres plateformes. C’est en tout cas, pour les abonnés Spotify qui résistent à la pression des exclusivités, l’occasion d’entendre (légalement) l’album qui a tant fait parler (et tweeter).

Cette sortie Spotify marque la fin d’une exclusivité qu’on pourrait qualifier d’historique. Car elle a créé un cas d’école sans précédent dans l’industrie musicale, qui changera certainement la manière dont les disques sont faits et financés dans les prochaines années.

Sans label, Ocean perçoit 5 à 7 dollars par album vendu

De Def Jam à Apple Music, l’itinéraire de Frank Ocean

Un peu moins de quinze jours après la sortie de Blonde, Forbes dressait un premier compte des gains de l’artiste avec son album et prétendait que Frank Ocean avait gagné pas moins d’un million de dollars grâce aux ventes iTunes.

Et si l’artiste pouvait prétendre à de telles sommes, ce n’était pas seulement parce que l’album était numéro un à travers le monde mais bien parce que c’était en tant qu’indépendant que Frank avait réalisé son œuvre. Or sur chaque vente iTunes (Blonde est vendu à 9,99 $ et 9,99 €), au lieu de toucher entre 1,50 et 2 $ s’il avait gardé son label, Ocean perçoit directement entre 5 et 7 $ par unité.

frankocean

En effet, si le chanteur avait signé en 2009 dans l’iconique label Def Jam, possédé par Universal (Kanye West, Jay-Z, Rihanna etc.) pour deux albums, l’artiste a sorti Blonde en indépendant. Bien que Frank devait sortir son second album studio avec le label d’Universal, il a réussi à mettre fin à son contrat en sortant Endless quelques jours avant Blonde, un album visuel dont on a largement parlé. Chez Def Jam. Et ainsi, en remplissant son contrat avec le label et le major (sortir deux albums), il s’en détachait et pouvait réaliser Blonde en tant qu’artiste indépendant.

Ocean évoque pour justifier son abandon brutal du label un désintérêt manifeste pour sa carrière de la part de Def Jam, au delà des raisons financières. Ainsi, dans The Fader , Tricky Stewart, l’homme qui a signé Frank sur le label explique lui-même comment Def Jam a sous-estimé le chanteur et l’a poussé par mauvais traitement vers la sortie : « Frank venait avec les meilleures intentions pour devenir un grand artiste du label. Il regardait [Def Jam] avec un esprit positif. Mais l’emmener chez Def Jam a été un désastre. C’était probablement une grave erreur de ma part. » 

Car le label le considère alors trop « old r’n’b » pour le marché et ne lui accorde que peu d’attention, se désintéressant totalement de son travail en dehors de ses collaborations.

Endles+Frank+Ocean

C’est en 2011, que Frank publie sur le web son premier EP Nostalgia, ULTRA. Le label ne découvre la sortie de son travail studio qu’après le succès critique de l’enregistrement : Chritopher Breaux a alors changé de nom pour devenir Frank Ocean et son label ne s’en est même pas rendu compte.

En fin de compte, Dej Jam a édité un single de cet EP, Novacane. De plus le label aurait également écarté Frank de certaines parties de la production de Channel Orange ne remplissant pas le contrat signé avec l’artiste. En somme, Def Jam avait clairement sous-estimé Frank Ocean et cette mauvaise gestion du côté du label a progressivement construit les velléités d’indépendance de l’artiste.

https://www.youtube.com/watch?v=TMfPJT4XjAI

Mais le cas Blonde pourrait bien créer un précédent dans l’industrie. En effet, après la sortie de l’album, Universal demandait à toutes ses filiales que leurs artistes n’aient plus le droit de créer des exclusivités sur des plateformes de streaming. En tant que principal major de l’industrie, si Universal parvient à faire respecter son souhait, cela pourrait avoir des conséquences très concrètes.

Que ce soit le départ des artistes vers des productions indépendantes pour ceux qui le peuvent grâce à leur public, ou, pour les nouveaux venus, la fin des exclusivités avec ce qu’elles peuvent apporter en matière de visibilité… et de rémunération.

Cupertino, nouveau mécène ?

Dans le même temps, Universal veut poursuivre Frank Ocean en justice, car la major affirme avoir financé à hauteur de 2 millions de dollars la production de Blonde. Une somme que l’artiste prétend n’avoir pas touché, ayant financé sa production sur fonds propres, et certainement avec le contrat qui le liait à Apple Music — à l’instar de l’artiste Chance The Rapper qui a financé sa production grâce au deal avec la firme de Cupertino. Ocean aurait donc remboursé Universal.

Apple_Music-2015-Logo

L’industrie prend ainsi deux vitesses, avec d’un côté les artistes confirmés qu’Apple ou Tidal vont tenter de séduire avec des exclusivités et des contrats qui leur permettent de financer leur production sans label, et de l’autre, des majors exsangues, qui en plus d’avoir perdu en quinze ans l’essentiel de leur revenus, sont également en train de perdre leur rôle et leur influence.

Dès lors qu’Apple va financer un album par un contrat, une exclusivité musicale, l’action financière de Cupertino ne se limite plus seulement à la diffusion, mais se prolonge indirectement par la production. Et bien que la firme ne le déclare pas, pouvons-nous imaginer que Cupertino signe des contrats dont les sommes sont à l’évidence très importantes en pensant que ces fonds ne serviront pas à la production des futurs albums ?

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