L’amorce créative de toute l’histoire d’Assassin’s Creed tient dans l’Animus qui est, peu ou prou, un ordinateur encore plus puissant qu’une PS5 Pro. Il est capable d’extirper, de l’ADN d’un individu, les souvenirs de ses ancêtres qui y seraient enfouis et de les lui faire revivre en réalité virtuelle. Dans la trilogie originale, on incarnait donc un certain Desmond, un jeune homme de 25 ans collé de force dans cette machine pour révéler successivement des bouts de vie de trois de ses ancêtres : Altaïr (Assassin’s Creed), Ezio Auditore (Assassin’s Creed 2, Brotherhood et Revelations) et enfin Connor (Assassin’s Creed 3). Bien sûr, Desmond n’est plus du tout évoqué dans Assassin’s Creed Shadows, le dernier et excellent opus en date.
Ce principe d’Animus avait pour mérite d’être une explication diégétique élégante et pratique pour justifier la présence d’un HUD (simili barre de vie, mini-map, etc.), d’ellipses temporelles dans le jeu (pour passer d’un souvenir intéressant à un autre) et même de murs invisibles pour cadrer les actions du joueur dans les mondes ouverts (puisque l’on revit un souvenir, on reste cantonné à un lieu donné). Mais il manquait au jeu un moteur scénaristique, une raison. Pourquoi donc emmenait-on le joueur et la joueuse dans le passé ? Pourquoi Desmond ? Pourquoi Altaïr ? Cette raison fut trouvée au hasard d’un brainstorming pendant le développement du premier Assassin’s Creed : la Pomme d’Eden. Et si le mythique fruit défendu avait réellement existé ? Cette question on-ne-peut-plus blasphématoire, lâchée presque par hasard, est un peu la genèse narrative d’une histoire qui va pouvoir s’étirer en tous sens.

C’était eux avant
C’est en effet de là que va naître la seconde couche narrative du grand récit d’Assassin’s Creed : la Première Civilisation, alias les Précurseurs, alias Ceux qui étaient là avant, alias les Isu (à vous de voir, les dénominations ont changé avec le temps). Il y a des milliers d’années (environ 80 000 ans), une civilisation à la technologie ultra-perfectionnée régnait déjà sur la Terre. Pour arrêter de s’embêter avec les basses besognes (agriculture, guerre, travaux en tout genre…), les Isu créèrent une race de primates esclaves : les êtres humains. Et afin de s’assurer de leur docilité, ceux-ci furent génétiquement programmés pour obéir grâce à des petites boules dorées bourrées de technologie : les Pommes d’Eden.
Tout se passait pour le mieux pour eux, sauf qu’au fil des siècles (et de quelques écarts intimes), de petits bébés hybrides virent le jour. Or, ces humains possédant des bouts d’ADN Isu n’étaient plus vraiment sensibles aux pommes d’Eden, à tel point que deux d’entre eux, Adam et Ève, en chipèrent une, ce qui eux pour effet de libérer totalement leur libre arbitre. S’ensuivit une guerre violente entre des Isu très puissants, mais légèrement dépassés par le nombre de leurs esclaves. En 77 000 avant notre ère, c’est un cataclysme planétaire qui mit tout le monde d’accord : la catastrophe de Toba, une puissante tempête solaire qui détruisit toute la civilisation Isu et ne laissa que quelques survivants de cette race qui s’éteignit malgré tout au bout de quelques années. En revanche, les humains (dont une poignée d’hybrides) s’en sortirent un peu mieux. Une dizaine de milliers de rescapés se répartit ainsi sur Terre, chacun développant sa petite civilisation de son côté, oubliant toutes ces histoires d’Isu en les réduisant à des récits mythologiques qui se déformeront peu à peu avec le temps.

Mangez des pommes !
Cette métahistoire va vraiment se cristalliser avec Assassin’s Creed II et ses deux déclinaisons directes, où les scénaristes vont prendre un malin plaisir à rationaliser les religions, notamment en expliquant les miracles et grands basculements de l’Histoire grâce aux artefacts Isu (dont les Pommes d’Eden) qui ont pu être retrouvées çà et là au fil du temps. Car, si beaucoup d’humains restent prédisposés génétiquement à réagir à ces objets, des descendants d’hybrides peuvent s’en servir pour manipuler les masses ou en exploiter les différentes capacités (un certain Jésus peut ainsi guérir les gens grâce à un suaire bourré de nanotechnologie). Dès lors, deux factions secrètes vont se disputer au fil des siècles ces précieux accessoires (toute ressemblance avec le concept de Da Vinci Code, à la mode à l’époque du développement d’Assassin’s Creed, n’est absolument pas fortuite) : les Templiers et les Assassins qui porteront, eux aussi, différents noms à travers l’Histoire.
Dès la sortie d’Assassin’s Creed II, Ubisoft mise gros sur sa nouvelle licence et lance des projets transmédia : courts métrages d’animation ou en live action, BD, romans… Le lore d’Assassin’s Creed va s’étendre de manière démesurée en passionnant les fans avides, certes, mais en déroutant quelque peu l’immense majorité des joueurs et joueuses qui vont commencer à avoir du mal à suivre ce fil narratif pourtant audacieusement tissé pour relier tous les titres entre eux. Avec la sortie d’Assassin’s Creed III, l’idée de fusionner avec notre réalité s’installe. Le jeu sort en effet fin 2012, exactement au moment où se déroulent les événements du temps présents. Desmond accomplit alors son destin et se sacrifie pour activer une machine Isu qui doit éviter une seconde catastrophe planétaire, similaire à celle de Toba.

Et dans Assassin’s Creed Shadows alors ?
La série tente alors de briser le quatrième mur en développant une expérience sociale via un site dédié, le projet Initiates, et en racontant dans les jeux une réalité alternative avec un studio de jeu vidéo (inspiré par… Ubisoft). C’est une émanation des Templiers dans leur grand projet de manipuler les masses par tous les moyens possibles, Abstergo Entertainment, développant de vrais faux jeux vidéo. L’Animus devient alors un programme plus perfectionné, capable de puiser des souvenirs dans n’importe quel ADN sans qu’un descendant soit forcément impliqué. Cette technologie permettra de justifier également Assassin’s Creed Unity, Assassin’s Creed Syndicate et désormais également Assassin’s Creed Shadows, via une plateforme générale développée par Abstergo — Animus EGO qui n’est autre que l’Animus Hub, le launcher officiel des jeux Assassin’s Creed modernes.
Assassin’s Creed Shadows reprend donc à son compte le motif du vrai faux jeu vidéo, mais sans expliquer le moins du monde son contexte, ses implications ou même son rôle narratif. Tout est confiné dans une brève vidéo d’introduction franchement incompréhensible pour le quidam, et des bouts de texte à lire dans un menu froid en réalisant quelques missions spécifiques dans le jeu sans la moindre justification narrative. Le message semble clair : la métahistoire ne peut plus être le moteur narratif de la série car elle ferait fuir le grand public.

Il faut dire que la série sort du triptyque Assassin’s Creed Origins, Assassin’s Creed Odyssey et Assassin’s Creed Valhalla, lequel a tenté de faire revenir des bribes de séquences jouables dans le présent via le personnage de Layla Hassan. Mais les scénaristes successifs sont à nouveau tombés dans le piège d’une complexification à outrance des enjeux avec la contradictoire contrainte de ne pas en faire trop pour ne pas rebuter les nouveaux venus dans la licence. Assassin’s Creed est en fait victime de son colossal succès avec, d’un côté, une poignée de fans avides du moindre bout d’un lore devenu tentaculaire et, de l’autre, une écrasante majorité du public qui au mieux s’en contrefiche, au pire, est gavé par ces délires complotistes et mythologiques.
Pourtant, le principe de ces deux factions secrètes dans les coulisses de l’Histoire n’est pas sans intérêt narratif (on le voit dans Assassin’s Creed Shadows qui y trempe un bout d’orteil). De même, le concept de l’Animus pourrait ouvrir de nombreuses voies passionnantes pour imaginer de nouvelles manières de raconter les jeux et de créer des expériences inédites, ce dont la série commence à avoir grandement besoin. Malgré l’indéniable efficacité d’Assassin’s Creed Shadows, Assassin’s Creed a de nouveau besoin de se réinventer pour mieux perdurer. Peut-être que cette fertile assise scénaristique sera son salut, comme à l’époque d’Assassin’s Creed Origins…
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