L’IFPI s’émeut d’une montée en puissance du stream ripping, une pratique qui consiste à enregistrer des contenus diffusés sur des services de streaming. Mais des dispositions légales autorisent en partie les utilisateurs à faire ces téléchargements.

Depuis la démocratisation d’Internet, on ne peut pas dire que l’industrie du disque ait beaucoup apprécié l’apparition chez le grand public de nouvelles modalités d’accès — pas toujours très légales — à la musique. En particulier, l’IFPI (le lobby international des maisons de disques) s’est beaucoup mobilisé contre le piratage se déroulant sur les réseaux en peer-to-peer (P2P).

Aujourd’hui, les pratiques ont évolué. Si des internautes continuent toujours de visiter BitTorrent, eMule et compagnie, une bonne partie a choisi de se tourner vers des solutions plus directes, comme le téléchargement sur des services à la MegaUpload. D’autres encore ont choisi de privilégier des plateformes d’écoute en streaming, de façon à pouvoir écouter sans attendre un morceau.

Casque musique

Les usages sont divers.

En la matière, les internautes ont un comportement hybride qui mêle consommation licite et piratage. Ils peuvent tout à fait allumer tantôt Deezer, Spotify ou Apple Music, puis continuer sur YouTube tout en échangeant des titres avec amis, sans bien faire la distinction de ce qui est légal ou non. Ils peuvent aussi mixer les approches, comme écouter un titre en streaming puis l’enregistrer sur le PC.

Cette pratique, qui s’appelle « stream ripping », ne plaît pas beaucoup à l’IFPI. Dans une étude relayée en particulier par le Wall Street Journal et Torrentfreak, le lobby pointe le succès de cette méthode pour récupérer de la musique gratuitement, notamment chez les jeunes. 49 % des sondés âgés de 16 à 24 ans ont déjà utilisé l’un de ces sites de stream ripping, selon une enquête qui a duré six mois et qui s’est achevée en avril.

Stream ripping

Une pratique qui progresse. L’an dernier à la même période, il n’y avait que quatre jeunes sur dix (41 %) qui s’adonnaient au stream ripping, c’est-à-dire passer par un site ou un logiciel spécialisé en vue de récupérer un morceau pour l’écouter sur son ordinateur. Et sur l’ensemble des sondés, la pratique est répandue chez trois internautes sur dix, en hausse de 10 % par rapport à l’an passé.

Le stream ripping est, il faut bien le dire, extrêmement facile à mettre en œuvre et YouTube est pour cela un terrain de jeu idéal. Comme le site accueille la quasi totalité des vidéos du net à destination du grand public, il n’est pas étonnant que des sites comme Keepvid, SaveFrom, TubeOffline, Peggo, TubeNinja ou encore YouTube-MP3, aient fleuri, parfois au grand dam de Google, le propriétaire de YouTube.

Le stream ripping permet de télécharger sur son ordinateur un contenu qui est proposé sur une plateforme de streaming, comme YouTube

En effet, ces sites permettent de récupérer la vidéo telle quelle ou de la convertir dans un autre format au préalable. Or, Google estime qu’il s’agit-là d’une violation de ses conditions générales d’utilisation imposées à tous les membres et des règles spécifiques d’utilisation édictées aux développeurs qui utilisent l’API du site. Cela a donné lieu à quelques frictions entre YouTube et certains services, comme TubeNinja et YouTubeVideoDownloader.

« C’est devenu désormais un problème majeur », assène Jonathan Lamy, le porte-parole de la RIAA (Recording Industry Association of America), un lobby dont la mission est de défendre les intérêts de l’industrie du disque aux USA. Problème que la RIAA attaque en essayant de faire disparaître ces sites et en exerçant des pressions sur les annonceurs pour qu’ils ne traitent pas avec eux.

YouTube

YouTube concentre le plus l’attention des sites de stream ripping.

Pour Jonathan Lamy, c’est clair et net : la pratique « détourne des ventes et des streams licites, privant les artistes, les auteurs et les labels des royalties qu’ils méritent et sapent les services d’écoute en ligne ». Mais ce qu’il oublie de dire, c’est que le droit d’auteur n’est pas absolu. Il existe aussi des aménagements à destination du public, de façon à lui permettre de profiter des œuvres comme il l’entend.

C’est typiquement le cas dans le droit français. Le code de la propriété intellectuelle dit de façon limpide que les particuliers ont le droit (ou plus exactement bénéficient d’une exception) de réaliser une copie des œuvres pour leur propre usage (la fameuse copie privée), et que les mesures techniques de protection ne doivent pas priver les utilisateurs de ce droit.

Quid de la copie privée ?

N’importe quel internaute peut, individuellement, exercer ce droit à condition qu’il ne porte pas atteinte de façon injustifiée à l’exploitation normale de l’œuvre. Dans ces conditions, il est probable que Google et YouTube n’aient pas le droit d’interdire par contrat, c’est-à-dire via les conditions d’utilisation, la copie privée que les utilisateurs voudraient appliquer. La loi reste en effet supérieure au contrat.

Attention, toutefois : si le droit d’auteur a une exception avec la copie privée, la copie privée elle-même est limitée. Il y a deux aspects à distinguer : d’abord, les logiciels à installer chez soi qui permettent de copier le contenu sur son disque dur. Là, c’est légal, il n’y a pas de problème. Il est interdit d’interdire la copie privée, qui est le fait de faire une copie pour soi, à usage privé.

Ensuite, les sites de streaming. Eux, ils font une copie à la demande de l’utilisateur et ils la fournissent en téléchargement. Du coup, ça n’est plus le copiste à qui est destiné à la copie et ça n’est plus couvert par la copie privée. Les sites vont sur YouTube et effectuent la copie. Là, les conditions d’utilisation peuvent leur être opposables et vu qu’ils ne peuvent pas prétendre à être protégés par la copie privée (la copie n’est pas pour eux), l’interdiction d’interdire ne s’applique pas.

C’est pour cela qu’a été confirmée en appel l’illégalité des magnétoscopes à distance.

Disque dur

Reste que le stream ripping n’est fondamentalement pas si différent des enregistrements que l’on faisait sur cassette en écoutant la radio ou sur VHS avec le magnétoscope relié au téléviseur. Il s’agit-là aussi de copie privée, dont l’usage échappe aux ayants droit ; une fois l’œuvre enregistrée sur le support d’un particulier, les ayants droit ne peuvent plus espérer la monétiser.

C’est sans doute cet aspect qui gêne l’industrie du disque et qui explique pourquoi elle s’agace de voir le succès croissant des sites de stream ripping : la perspective qu’un certain nombre de vues sur YouTube, qui génère des revenus publicitaires, sorte de son radar du fait que les titres ne sont plus consommés en ligne, avec la publicité, mais hors ligne, sur le PC ou le smartphone de l’utilisateur.

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