Le cinéma de Dolan est devenu immanquable en quelques années. Depuis l’inoubliable et radical J’ai tué ma mère, le cinéaste a enchaîné les succès et Mommy a fini par démocratiser son cinéma trop vite qualifié de films pour hipsters. Que penser du mouvement exercé par le réalisateur dans son dernier film, Juste la fin du monde ?

Les cinéphiles ont l’habitude de pester contre les bandes annonces qui sur-vendent leur œuvre, ou bien en révèlent les rares bons moments. Celle qui préfigurait le film de Xavier Dolan Juste la fin du monde n’est pas plus honnête que celle d’un gros nanard : présentant un film survolté et frappant, le trailer laissait penser que nous allions voir un Dolan dans sa pure tradition de costumes nineties et chansons pop, où l’on pleure de chaudes larmes devant des prestations d’acteurs électriques façon Laurence Anyways, monuments quasi manifeste du style Dolan des jeunes âges.

Mais voilà, comme les peintres ont leur période bleue, les cinéastes ont leurs âges, et la période Dalida-fluo-teen semble révolue dans l’œuvre incroyablement cohérente du réalisateur canadien. On ne s’en plaindra pas, bien qu’on ait inégalement aimé ses films — parfois jusqu’à la folie — nous grandissons et le cinéma aussi.

La transition, la révolution stylistique exécutée par le réalisateur n’est pas sans douleur. Abrupte et sans concession, Dolan s’enferme avec un casting renommé dans un huis-clos où le silence compte plus que les dialogues. Porté par une œuvre qui lui est chère, la pièce du même titre de Jean-Luc Lagarce, le film tente une adaptation d’un texte qui est difficilement adaptable. La parole est chez Lagarce une expérience de temporalité et est moins performative qu’elle n’y paraît. Le dramaturge se dépeint lui-même comme un grand silencieux.

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Or le film de Dolan souffre parfois d’une admiration pour l’écrivain que l’on ressent comme déterminante chez le réalisateur. Et faire cinéma de la pièce semble être un combat aussi physique qu’esthétique qui requiert de son artisan un effort constant et visiblement épuisant.

Une bataille permanente contre son esthétique propre et sa langue maternelle, qui a longtemps puisé dans un cinéma volubile où le dialogue définit l’action et non l’inverse. Ici, le réalisateur marche dans les pas de l’implicite et d’un expressionnisme discret. Les mots que l’on s’échange comptent moins que les bouches qui les assènent.

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À ce titre, bien qu’ayant heurté notre réalisateur fétiche, la critique du Hollywood Reporter a selon nous beaucoup de sens. Les personnages ne se donnent pas, leur profondeur non-plus, elle s’arrache difficilement, dans le code cryptique que pratique et dissémine Dolan.

Certains fonctionnent moins que d’autres : Léa Seydoux nous étonne ainsi dans un rôle pris à bras le corps, et Ulliel, sans beaucoup de mots, incarne dans la matière et ses sueurs une peur de la mort qui ne se prononce qu’une seule fois, en off.

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Le temps comme définition et aboutissement de la finitude résonne dans chaque seconde d’un film où il ne semble pourtant pas passer — qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli –, les tic-tac d’un coucou rythment l’angoisse et la solitude du narrateur et rappellent qu’il y a dans la parole une résistance insensée à l’indicible. Une absurdité qui se fait humour et drame en même temps. Et le jeu du langage est terminé avant d’être commencé, l’homme perd et la mort emportera, sans que l’on puisse jamais prononcer sa réalité. C’est là le drame du film, du narrateur, et l’air de rien, de Dolan.

A-t-on jamais vu d’artiste aussi pressé par la montre d’être et de rentrer dans une postérité qu’il en devient malade jusqu’à expulser, film après film, une peur de la mort qui ne s’estompe pas ? Terrifié par sa propre finitude, Dolan en devient un artiste acharné, complet et parfois pétrifié dans un mouvement contre le temps qui semble aussi impossible que magnifique. Et les mots délivrés par une carrière éclaire mais sublime, ne retiennent rien de cette indicible angoisse.

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Ils sont nombreux à critiquer un film que le réalisateur juge le plus beau de sa carrière, mais comment ne pas saisir que le sujet de Dolan n’est pas là le SIDA qui rongea Lagarce et son personnage, mais bien l’indicible ? Il ne cesse pourtant de le répéter. Comme Proust établissait son propre diagnostic sur les faiblesses de l’art à retenir le temps à travers Elstir et Vinteuil, Dolan touche du doigt l’impossible ambition de son cinéma.

Et au-delà d’une révolution stylistique, Juste la fin du monde est une grande épreuve de maturité. Imparfaite et difficile, elle ne convaincra certainement pas les nouveaux venus au dolanisme qui ont rejoint l’aventure, invités par le haut en couleurs Mommy et son style clippesque de kids de la MTV. Il trouvera une résonance pour les plus patients, ceux qui jouent contre le temps et s’excusent d’exister.

Le verdict

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6/10

Juste la fin du monde

Déstabilisante rupture dans la langue et le style de Xavier Dolan. Juste la fin du monde a, malgré son casting prestigieux, quelques faiblesses dans des personnages qui se livrent difficilement, ou trop peu. Mais dans ce silence, encore difficilement maîtrisé par le réalisateur, grandit une nouvelle maturité.

Un diagnostic sur la création qui hèle l'infini sans jamais l'atteindre. Pas un grand Dolan peut-être, mais un Dolan déterminant, certainement. 

Ailleurs dans la presse

  • The Hollywood Reporter : « While the melodrama in the filmmaker’s other work felt bracing and alive, the histrionics in It’s Only the End of the World ring hollow. »
  • Télérama  : « Peut-être la fin d’un cycle dans une œuvre déjà riche, d’une cohérence saisissante. »
  • Le Monde : « En un mot chacun, y compris la victime de cette triste histoire, est ici seul avec sa souffrance en même temps qu’il ne peut se passer des siens pour l’éprouver. »
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