Disponible pour sa saison 1 sur Netflix en France mais déjà en attente d’une troisième saison commandée, Rick and Morty est une série animée de science-fiction dans laquelle on suit la vie de la famille Smith. Pour celle-ci, on peut remercier deux créateurs : d’un côté Justin Roiland, dont les talents de doubleur ont pu être entendus auparavant dans les versions anglophones d’Adventure Time et de Gravity Falls ; de l’autre, Dan Harmon, à qui on doit l’existence de l’excellente série Community et 5 de ses 6 saisons.
Si on peut de prime abord, et à grand tort, penser qu’une série animée d’Adult Swim n’est pas une priorité, Rick and Morty s’avère être au contraire un immanquable pour tout sériephile, poussant régulièrement les limites de ce que la télévision peut faire de meilleur – et de plus sombre. Pourtant, le pilote ne laissait en rien présager de la qualité de ce qui allait suivre.
Ce n’est pas une série sur les extra-terrestres
Quand commence la série, Rick, père de Beth, vient tout juste de revenir vivre chez sa fille, maintenant mère de famille et chirurgienne pour chevaux, après avoir disparu pendant des années pour parcourir l’Univers à grand renfort de pistolet créateur de portail spatio-temporel et de vaisseau spatial.
Regagner le nid familial n’a néanmoins pas découragé cette version accro à la boisson et vulgaire du Dr Brown de Retour Vers Le Futur de poursuivre ses explorations et expérimentations scientifiques, dans lesquelles il entraîne maintenant son petit-fils : Morty, un garçon de 14 ans. À ce joli tableau, on ajoute la grande-sœur de Morty, Summer, une jeune fille de 17 ans résultat d’une grossesse non-désirée. Sans oublier Jerry, le mari de Beth, un gentil idiot très amoureux de sa femme mais également bourré d’insécurité quant à sa relation avec elle.
Une famille parfaite, en somme.
Malgré une galerie de personnages qui pourrait faire redouter une atmosphère trop glauque, la série sait au contraire jongler avec brio entre une esthétique à la fois enfantine et vulgaire, bourrée de gags visuels – à dessein plus ou moins bien dissimulés – et des propos parfois très durs. En effet, l’une des premières forces de R&M est son humour surréaliste, à l’œuvre par exemple lorsque Rick améliore la télévision familiale pour qu’elle puisse recevoir des émissions de toutes les réalités existantes. S’en suivent alors des scènes rapides nous montrant un monde où les gens sont des épis de maïs, une publicité pour le magasin d’un homme avec des fourmis dans les yeux, et foule d’autres idées plus farfelues les unes que les autres.
Et c’est là une qualité non-négligeable de R&M : son ton bien souvent improvisé – les hésitations dans les répliques des personnages sont légion et on entend à leurs intonations que les acteurs eux-mêmes s’étonnent parfois de ce qu’ils viennent de dire – qui permet au spectateur d’avoir l’impression de jeter un coup d’œil dans le processus créatif derrière la série. Un naturel qui n’est jamais suffisamment poussé pour que la suspension consentie d’incrédulité en souffre.
L’équilibre est parfait et on est au contraire contaminé par la bonne humeur et par l’absurdité à l’œuvre devant nous, comme lorsque Rick et Morty se lancent dans une parodie d’Inception, s’incrustant dans le subconscient du professeur de mathématiques de Morty pour lui souffler de donner une bonne note à celui-ci. On se retrouve alors sans transition dans un rêve érotique impliquant la grande sœur de Morty en porte-jaretelles. Le tout, n’étant, bien sûr, que le début de ce voyage improbable.
Venez pour l’humour, restez pour l’humanité
Toutefois, si ces aventures galactiques et surréalistes sont on ne peut plus savoureuses, et suffiraient à rendre la série délectable, elles ne sont que la surface de ce que Rick and Morty veut nous raconter, et si la série brille tant c’est surtout pour toute l’humanité de ses personnages, pour leurs défauts et pour leurs faiblesses. On est là en présence d’une série animée à suivre du début à la fin, puisque rien n’y est superflu. Le charme opère rapidement, et on s’attache comme rarement à la télévision à chaque personnage qu’on nous introduit, ces êtres dessinés dépassant leur simple statut de dessins animés pour prendre une chair et une âme.
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« S’amuser c’est marrant mais qui en a besoin ? »
On a pour commencer, au-delà de l’explosion multicolore des mondes et des créatures improbables qui peuplent les univers et planètes qu’on nous fait visiter, l’histoire de cette famille dysfonctionnelle à tous les étages. Beth a grandi sans son alcoolique de père et est terrifiée à l’idée que celui-ci puisse à nouveau la quitter. Ainsi, elle lui pardonne absolument tout, peinant à s’affirmer. Du côté du grand-père Rick, on retrouve un personnage nihiliste qui noie ses problèmes existentiels dans l’alcool et toutes les drogues qu’il peut trouver dans les différents systèmes planétaires qu’il visite. Vous l’aurez deviné, on est bien loin d’un dessin animé pour enfants.
La toile de fond de ces aventures s’explique quand on s’intéresse aux créateurs derrière la série. Si les fans de Community connaissent le tempérament enflammé de Dan Harmon, c’est surtout Justin Roiland qui donne à Rick and Morty sa voix, sans mauvais jeu de mots.
Lorsqu’on lui demandait son âge lors de sa première apparition dans Harmontown, un podcast créé par Dan Harmon, Justin Roiland répondait d’une seule traite, panique dans la voix : « J »ai 33 ans — et chaque année je me rapproche de la mort inévitable à laquelle on va tous faire face et putain je veux que chacun d’entre vous pense à ça ce soir quand vous irez vous coucher — on va tous mourir, il n’y a rien qu’on puisse faire à ce propos, et putain qu’est-ce qui vient après ? » (Harmontown épisode 80 – enregistré le 18 novembre 2013).
Je veux que chacun d’entre vous pense à la mort ce soir
Comme un écho à cette interrogation, dans un épisode où Rick transfère son esprit dans un clone adolescent de son corps afin de débarrasser l’école de Morty et Summer d’un vampire qui y a fait plusieurs victimes, on voit ce corps adolescent se rebeller et tout faire pour détruire le vieux Rick et garder sa place, afin de continuer à faire la fête et à ne plus avoir à être confronté à sa propre vieillesse.
Le dénommé Tiny Rick ne peut néanmoins pas empêcher Old Rick de s’exprimer au travers de performances artistiques, comme des dessins ou des chansons où il appelle à l’aide ses petits enfants pour qu’ils le libèrent. Lorsqu’elle le remarque, Summer lui assène : « Papy, je pense que quand tu as mis ton esprit dans le cerveau de ce corps jeune il a fait ce que les cerveaux jeunes font. Il a enterré les mauvaises pensées au plus profond et a construit un mur autour d’elles. Mais ces pensées sont le vrai Rick. Le fait que tu sois vieux, le fait qu’on va tous mourir un jour, le fait que l’univers est si grand que rien de ce qui s’y passe ne compte — ces faits sont qui tu es. Alors tu es prisonnier là dedans, et tu ne peux sortir que sous la forme des angoisses adolescentes de Tiny Rick ».
Malgré les protestations de Tiny Rick et de Morty, l’épisode se termine sur Summer trouvant une solution pour ramener la conscience de Rick à la surface : lui faire écouter Between the Bars, d’Elliott Smith. Celui-ci s’exclame alors : « Oh Seigneur, qu’est-ce que la vie, comment quelqu’un d’aussi talentueux a-t-il pu mourir aussi jeune ? Qu’est-ce qu’être jeune ? Je ne suis pas jeune, je suis vieux. Je vais… je vais mourir. Mon corps n’est pas réel. »
https://www.youtube.com/watch?v=0NGKlMnhZY0
Même si ce n’est pas du Kierkegaard, les interrogations existentielles vont plus loin. Lors de l’une de leurs aventures, Rick et son grand père détruisent notre monde, transformant en monstre cronenbergien chacun de ses habitants – sauf ceux partageant l’ADN des deux héros. Ils abandonnent ainsi leur famille derrière eux dans un monde ravagé, et se téléportent dans une réalité alternative où un accident les a tous deux tués juste après qu’ils aient réussi à résoudre une crise similaire à celle de l’univers parallèle qu’ils viennent de fuir.
S’ensuit une longue séquence où on voit le vieillard, blasé, et l’adolescent, yeux écarquillés, enterrer leurs corps dans le jardin familial, creusant littéralement leurs propres tombes – avant de prendre la place de leurs cadavres dans cet univers, forcés de prétendre que rien ne s’est produit. Mais cet évènement a grandi et durci Morty, et on s’en rend compte quelques épisodes plus tard lorsqu’il explique à sa sœur que rien n’a réellement d’importance ; « Personne n’existe volontairement, personne n’appartient à un endroit, tout le monde va mourir. Viens regarder la TV. » Eh oui, Morty lui-même n’est après tout qu’une version de lui appartenant à une autre dimension dans laquelle le monde a connu une fin horrible.
Profiter du voyage sans chercher à lui donner un sens
Si on accepte tout ça, si on accepte qu’aucune de nos actions ne présente d’intérêt capital, et qu’on n’est au final qu’un amas aléatoire de cellules, que nous reste-t-il pour justifier notre existence ? Devant l’absurdité de l’expérience humaine, la meilleure solution serait-elle de simplement profiter du voyage sans chercher à lui donner un sens ?
Pas seulement. Car si on a effectivement une partie de l’équation dans cette supplication à ne pas trop s’attarder sur notre place dans l’univers, celle-ci étant trop fugace, la seconde saison de la série semble vouloir y apporter une autre réponse, plus optimiste que celle qui la précède, en nous invitant à nous concentrer sur un autre type de cellule : la famille.
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« Peut-être que ça fait juste partie du fait de vieillir. »
Le premier épisode de la saison 2 marque un changement important dans le comportement de Rick vis-à-vis de Morty : pour la première fois, il semble prêt à se sacrifier pour sauver son petit-fils et rester auprès des siens. Et toute la saison vient enrichir le rapport que les membres de cette famille ont les uns aux autres.
Tout cela pour nous montrer, en fait, qu’une famille n’est pas nécessairement un cocon de bonheur garanti, mais qu’elle peut être un cocon d’amour inconditionnel néanmoins, l’important étant d’être capable d’apprécier des êtres imparfaits pour ce qu’ils sont. Car c’est cette imperfection, ces différences et ces failles qui font de chaque personne qu’on aime ce qu’elles sont.
Dans un épisode de cette seconde saison, des parasites tentent d’envahir la Terre en se multipliant par la création chez Rick et les siens de faux souvenirs idylliques les incluant, faisant croire qu’ils ont toujours été dans leurs vies. Tous plus parfaits les uns que les autres, ils prennent réalité en se montrant si plaisants que les héros veulent y croire.
Ainsi parviennent-ils à se reproduire, néanmoins pris en huis clos dans la maison familiale que Rick a réussi à mettre en quarantaine. Et c’est là que Rick and Morty, généreux, nous donne la clé de l’amour inconditionnel, ou peut-être même plus largement du bonheur : « Les parasites ne peuvent créer que des bons souvenirs. Je sais que tu es réel parce que j’ai une tonne de mauvais souvenirs avec toi. » (2×04)
Ils doivent tuer tous ceux dont ils ne peuvent se rappeler que de manière heureuse. Ces gens, ces images idéales, ne sont pas réelles. On ne peut avoir la réalité sans avoir toutes les terribles imperfections qui l’accompagnent, aussi dures soient-elles. Ce qui fait qu’on peut aimer sincèrement, qu’on peut être heureux entièrement, c’est peut-être bel et bien cette conscience que les instants parfaits sont rares. Et notre capacité à aimer ceux qui ne le sont pas. D’ailleurs, lorsque Rick doit porter un toast, il conclut celui-ci par un superbe : « À mon plus grand accomplissement à ce jour : m’ouvrir aux autres. » (2×10). La solution à l’absurdité de l’existence serait-elle contenue dans cette phrase ? La simple capacité qu’on aurait à s’ouvrir aux autres ?
À mon plus grand accomplissement à ce jour : m’ouvrir aux autres
Là où la saison 1 était parfois inégale, la saison 2 nous apporte épisode après épisode des leçons de vie enrobées dans des rires, mais aussi un rappel que la tristesse fait partie intégrante de l’existence, et qu’elle peut en faire, parfois, sa beauté. C’est le cas notamment lorsque Rick et son petit-fils se rendent dans une salle d’arcade et y découvrent le jeu-vidéo « Roy », un jeu où l’on incarne… le fameux Roy, et où l’on vit sa vie, ses échecs, ses peines, en ayant réellement l’impression d’être cet homme.
À l’image de ce jeu, Rick and Morty ne cesse de nous questionner sur l’existence, comme dans cette réalité du season premiere qu’on retrouve morcelée en milliers de parties parce que les deux petits enfants sont trop hésitants. Dans l’univers de la série, chaque indécision entraîne le dédoublement de cette réalité.
Et si notre univers bien réel est fait de choix, le vôtre devrait être de regarder Rick and Morty.
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