https://www.youtube.com/watch?v=bzRjfA_9Akw
À l’inverse des séries dont les épisodes fleuves tracent la destinée de personnages, pris dans l’ampleur d’une narration infinie, Easy est une anthologie comme on aimerait en voir plus. La série ne tient pas son spectateur captif dans ses méandres scénaristiques, elle retient son attention seulement trente minutes pour lui présenter, sans fioriture, les paradoxes de nos vies modernes.
Chaque épisode contient sa propre boucle et aucun ne nécessite de cliffhanger pour exister, un peu comme des nouvelles façon Risibles Amour de Kundera. La narration s’attarde à saisir une situation unique, dont les ressorts ne sont que dans le paradoxe qu’elle illustre : les conclusions sont ouvertes, et la caméra ne juge jamais.
Cette modestie du format anthologique et court prend un sens particulier pour nous, grands binge-watchers qui emmêlons les épisodes et les trames à force de donner de la tête dans tous les shows possibles et imaginables. En cela, Easy s’adresse à nous par son format. Mais pas seulement.
Son réalisateur, Joe Swanberg, nous force à comparer sa première série gros budget à son apport dans la culture mumblecore. Or, si sa série se détache des codes du genre dont il est un des ambassadeurs, on retrouve, hors de sa zone de confort, ses capacités évidentes à s’approcher sans détour de la réalité qu’il écrit et filme.
Dirigeant tantôt Orlando Bloom ou Emily Ratajkowski avec beaucoup de maîtrise, le réalisateur montre l’étendu de l’apprentissage que lui a donnée l’école mumblecore. Chacun de ses acteurs paraît doté d’une aura naturelle, sans désinvolture. Ils rentrent tous dans un rôle réaliste et modeste, sans drame ni pleurs. Ils donnent finalement chacun à Easy ses principales qualités et son intensité discrète, presque éphémère.
Néanmoins, en tant qu’anthologie, si l’on s’attarde sur l’écriture, Easy est une œuvre inégale. Avec des épisodes proches de la perfection et d’autres qui laissent une plus grande place à la banalité. Mais si l’on pourrait se plaindre du manque de conclusion de tous les épisodes, nous y voyons plutôt là une réelle modernité dans une saisie du réel à la volée, qui ne cherche ni à juger, ni à finir des histoires qui par leur nature, n’ont pas de fin.
Dès le premier épisode, Swanberg nous parle des érections qui ne sont plus celles d’il y a vingt ans. Et il n’offre aucune porte de sortie à un couple qui manifestement s’aime mais s’épuise. L’épisode se termine et aucune solution miracle n’est donnée. Au contraire, les propositions qui jalonnent l’épisode sont superflues et rien ne réparera la passion perdue.
Mais si le problème est posé, la réponse n’est pas nécessaire, car c’est dans ses explorations qu’Easy intéresse : un couple de personnes éduquées et progressistes en vient à s’interroger sur la représentation de la virilité comme moteur de la libido. Les questions sont posées, les solutions ne sont jamais trouvées : il n’y en a surement pas et c’est pour cela que les situations mises en scène par la série sont vraisemblables. Elles sont toutes des petites complexités, des blessures qui jonchent nos vies affectives.
Ainsi, Easy écrit-elle aussi le mimétisme d’un couple qui se forme, par rapport au sujet du véganisme, ou encore les frustration d’un homme qui attend son premier enfant et qui ne peut s’empêcher de ne plus aimer sa vie, sans vraiment vouloir la quitter.
La sexualité, qui a un rôle central à la fois conflictuel et narratif dans la série, est filmée avec une grande vraisemblance. Elle est tantôt l’outil de reproduction qui conduit à la famille, tantôt l’échappatoire d’un ennui, et parfois enfin, le désir accompli. Mais elle est toujours sous les traits de Swanberg réaliste et sincèrement tendre.
Et si la série offre peu de conclusions aux problèmes qu’elle pose, elle sauve sans cesse son humanité par une tendresse évidente. Bien qu’elle exprime la tristesse d’être ce que l’on ne voudrait pas, celle de faire des compromis intenables et de s’anéantir doucement pour l’autre, Easy invite à continuer, pour un peu de tendresse, juste encore un peu. Malgré les épreuves.
Ce n’est ni brillant, ni terrible, on ne vous sauvera pas d’une dépression avec cela, mais en fin de compte, quoi de plus réaliste que la tendre frustration qui — attention spoiler — va rythmer vos vies ?
Le verdict
Easy
On a aimé
- Format idéal et bien mené
- Belle bande son
- Casting éclectique
On a moins aimé
- Facilité des concepts
- Épisodes inégaux
- Peu de prise de risque
Sans envergure, Easy doit être prise ainsi. Une série modeste et intelligente sans être un traité de philosophie moderne. Et ainsi la série convainc sincèrement par ses comédiens assez détonnant dans leur vraisemblance et son ton intimiste et réaliste.
Swanberg ne juge pas, il observe et donne à voir, sans turpitude, des petits défauts qui deviennent des grandes frustrations. Bien qu'en fin de compte, devant les solitudes qui se croisent, ces complexités sont des épreuves gentillettes d'un monde qui ne satisfera jamais nos désirs. Et la série prend sens.
Ailleurs dans la presse
- Variety : « The naturalism of mumblecore has found its way into “Easy,” too, with conversations and, perhaps more notably, sex scenes that feel raw, unmediated, and authentic. »
- Télérama : « Easy a l’intelligence de laisser ses personnages exister, elle leur permet des débats « sans enjeux », d’autant plus francs qu’ils sont en partie improvisés par les comédiens. »
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