https://www.youtube.com/watch?v=TstzfHDApoU
Lorsque les comics Marvel font naître le personnage de Luke Cage, nous sommes en 1972, le Watergate débute seulement, la guerre du Vietnam s’éternise, le cinéma a connu Blacula de William Crain et Curtis Mayfield a signé la bande-originale brillante de Superfly.
Du côté de la maison d’édition de comics Marvel, les écrivains rentrent dans la vague de la blaxploitation qui marque la pop-culture américaine au tournant des années 1970 : ce courant artistique vise à donner une visibilité à la communauté afro-américaine dans la culture mainstream.
Et ainsi Luke Cage est né et devenu certainement l’un des modèles les plus marquants pour des milliers de jeunes afro-américains qui peuvent s’identifier à un personnage super-héroïque n’étant pas aussi implacablement blanc que Captain America, énième petit wasp dopé aux hormones.
Inner City Blues (Make Me Wanna Holler)
Lorsque Netflix décide pour son troisième Marvel de produire l’histoire de Luke Cage, la firme commence par l’intégrer dans Jessica Jones, une série déjà captivante par sa capacité à mêler critique de la culture du viol et héroïsme moderne. La série propre au personnage est alors déjà prévue pour le 30 septembre 2016.
C’est cette même semaine du 30 septembre que, tragique hasard, la ville de Charlotte se réveille difficilement dans un contexte de violences policières toujours plus grave, et cruellement absurde. À ce titre, Luke Cage est un symbole, le héro dont l’Amérique a besoin. Car Luke est un homme noir imperméable aux balles. Dans le contexte américain actuel, la fiction donne sur le réel un regard presque ironique.
« Je n’ai pas besoin de revolver, j’en suis un » dit notre héros, une arme symbolique et incroyablement destructrice, qui s’érige dans Harlem comme le modèle d’un renouveau, l’allumette qui déclenche le feu pour reprendre le contrôle sur un quartier délaissé par les Blancs et contrôlé par ses mafias.
La double lecture qu’offre Luke Cage est alors inévitable : la série met en abyme le rôle du super-héros en posant des réflexions stylistiques sur celui-ci — notre Luke ne porte ni masque, ni costume, il avance à visage découvert — et érige dans un contexte politique un symbole de révolution, de rupture avec le laisser-faire et le mépris que la communauté afro-américaine subit. La blaxploitation reprend son souffle et se montre toujours aussi nécessaire une quarantaine d’années après ses débuts.
Si la série de Netflix, à l’instar des précédentes, n’est pas boostée aux super effets spéciaux et aux méchants incroyables des franchises portées sur grand écran, elle s’affranchit encore plus du style Marvel. Ni Jessica Jones, ni Daredevil n’étaient parvenus à un tel recul à la fois dans le style et l’écriture sur les standards du topos super-héroïque.
Ici, le héros a effectivement un adversaire, un grand méchant, Cottonmouth, interprété impeccablement par un Mahershala Ali aussi séduisant que vénéneux. Mais, il ne faut que peu de temps pour que la série s’ouvre sur les origines du mal que souhaite combattre Luke Cage. Ce vilain est finalement doublé d’une cousine au visage et aux promesses angéliques, une politicienne qui maintient sa communauté sur le qui-vive, pactisant avec le crime pour tenter de sauver un Harlem moribond.
Enfin, le show montre sans que l’on ne s’y attende, avec justesse et style, la vie de la rue, les systèmes qui s’érigent comme unique alternative à des communauté afro-américaines souffrant de la précarité et du racisme.
Et à la manière d’un Gaye qui ne peut que crier sa souffrance et sa douleur face aux prisons sociales qui se dressent devant les espoirs de sa communauté, Luke Cage décide de cesser de vivre dans l’anonymat d’un super pouvoir qu’il voudrait refouler, et décide de combattre, non pas tant pour s’en prendre à ces ennemis que pour écrire dans le marbre un modèle d’espoir pour sa communauté.
Le show joue là sur des anecdotes symboliques très politiques, rappelant pèle-mêle la résistance de Rosa Parks, les influences de Malcolm X et les Black Panthers, en donnant de fait un écho très contemporain au rassemblement #BlackLivesMatter.
En garde, I’ll let you try my Wu-Tang style
La photographie sublime de la série, son élégance de réalisation et ses références culturelles et politiques ne peuvent malgré tout occulter une réalité : en tant que série de super-héros Luke Cage manque de rythme.
Répétitive et attendue, la narration se complaît dans un format qui traverse tous les Marvel réalisés par Netflix
Répétitive et attendue, la narration se complaît dans un format qui traverse tous les Marvel réalisés par Netflix, et qui commence à être de plus en plus visible au fur et à mesure des show. Déjà la deuxième saison de Daredevil montrait une fatigue certaine. Et ce Luke Cage n’échappe pas à quelques longueurs et des personnages caricaturaux, des passages boursouflés de dialogues bien bavards et on semble parfois vraiment tourner en rond.
En fin de compte, les vrais motifs du plaisir que l’on tire de la série sont dans ses excellentes idées, son humour malin, et son groove propre qui donne au show une vraie singularité qui pousse à binge-watcher la suite à son rythme.
Avec de la baston sur Bring Da Ruckus du Wu-Tang et des invités prestigieux qui donnent des concerts fictifs qui se lient parfaitement à l’intrigue, la bande son est une petite prouesse. Des choix mûris qui donnent à la réalisation sa couleur locale, sa légitimité et en approfondit l’excellence esthétique. Ainsi Charles Bradley est un brillant intervenant dans le show et lance à la caméra des regards suaves avant que l’épisode ne se continue sur une grosse bagarre. Même traitement qui excelle pour Raphael Saadiq qui livre son bien connu Good Man alors que la caméra s’attarde sur le grand méchant.
Pour les critiques, Netflix a traditionnellement dévoilé les sept premiers épisodes de la série, qui comprennent leur propre boucle narrative. Or, même si cette dernière est lente, elle est bien accomplie et le show gagne une nouvelle vitesse vers la fin, ce qui laisse présager une deuxième partie plus prometteuse peut-être.
Le risque pour Luke Cage est d’inverser son manque d’équilibre observé en première partie et en somme de redevenir une banale série de super-héros alors que son incipit proposait de manière chaleureuse et élégante, une redéfinition des standards visuels. L’équation reste bien sûr difficile, notamment parce que Luke Cage parvient à garder une empreinte très seventies qui le rapproche des comics et en fait, par conséquent, une adaptation plus qu’une série originale.
Ailleurs dans la presse
- The Hollywood Reporter : « TV’s most topical comic book adaptation. »
- Variety : « Nothing is cooler than watching bullets bounce off Luke Cage as he brings the ruckus and schools all the fools. »
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