Mise à jour du 27 octobre : nous republions ce portrait, initialement publié le 25 novembre 2016 pour le Toulouse Game Show, à l’occasion de la venue de Don Rosa au Comic-Con Paris, du 27 au 29 octobre 2017.
Article original :
« Je ne suis pas un [dessinateur] professionnel, mais un simple fan de comics qui a eu la chance de pouvoir créer ses propres bandes dessinées. » Ce week-end, pendant ses deux journées de présence continue au Toulouse Game Show, c’est donc d’égal à égal que Don Rosa rencontrera ses nombreux fans français.
Du moins, dans son esprit : malgré sa modestie, le dessinateur a marqué des générations entières avec ses œuvres, qu’il s’agisse de sa saga culte, La Jeunesse de Picsou, ou des multiples aventures vécues par le canard le plus riche du monde sous sa plume. Les vingt ans de carrière de Keno Don Rosa lui ont permis de marcher dans les pas de son idole d’enfance, Carl Barks, créateur original du personnage.
Son succès n’a en rien entamé son enthousiasme vis-à-vis des passionnés, comme l’explique Morgann Gicquel, réalisateur du Mystère Picsou, un documentaire en préparation : « Don Rosa est entièrement dédié aux fans. Il a d’ailleurs refusé toutes les interviews de journalistes pour ce week-end afin de se consacrer entièrement à son public du Toulouse Game Show. »
Une fascination d’enfance pour Carl Barks
Don Rosa, né en 1951 dans le Kentucky, dévore dès son plus jeune âge les piles de comics collectionnés par sa sœur, plus âgée de 11 ans. Il découvre ainsi de nombreux univers et styles graphiques différents, des auteurs de Mad Magazine aux aventures de Superman imaginées par Mort Weisinger, qui reviennent sur les origines des personnages.
Le petit garçon ne tarde pas à vouer un véritable culte à Carl Barks, le plus célèbre dessinateur des aventures de Donald Duck parmi tous les auteurs — majoritairement anonymes — qui travaillent pour donner vie aux personnages de Disney.
Don Rosa est particulièrement fasciné par Picsou, l’oncle richissime et aigri de Donald inventé par Barks en 1947. Il relit ces histoires à l’infini, jusqu’à en connaître par cœur les moindres détails et les personnages emblématiques : Riri, Fifi et Loulou, Miss Tick, les Rapetou, Gontran, Gripsou, Géo Trouvetou…
Il trouve, dans ces aventures empreintes d’humour, une échappatoire à son avenir tout tracé : une fois adulte, il devra reprendre le flambeau de l’entreprise de bâtiment familiale. Mais, tout au long de sa scolarité, les comics restent son obsession. Don Rosa consacre d’ailleurs tout l’argent durement gagné sur les chantiers estivaux à agrandir sa collection de plus en plus conséquente.
En parallèle, le dessinateur amateur affine sa plume en réalisant les illustrations des journaux amateur du collège et du lycée. À l’université, Don Rosa crée même une série de comics en noir et blanc, les Pertwillaby Papers, en plus de 100 épisodes. Une fois devenu ingénieur, dans les années 1970, il reprend comme prévu l’entreprise familiale mais continue d’assouvir sa passion en dessinant des comics publiés dans différents fanzines de l’époque.
« Je suis né pour dessiner des comics de Picsou »
À l’époque, les bandes dessinées Disney ont bien du mal à se remettre de la retraite de Cark Barks, qui a raccroché après plus de 20 ans passés à raconter les aventures de Donald et de ses proches à un rythme effréné. Le public américain se désintéresse progressivement de ces publications dominées par les rééditions d’anciennes histoires.
La donne change au milieu des années 1980 quand l’éditeur Gladstone obtient l’accord du géant du divertissement pour créer de nouvelles aventures. Don Rosa saute sur l’occasion : « J’ai immédiatement appelé l’éditeur pour lui dire que j’étais né pour écrire et dessiner des comics de Picsou ! Heureusement, il connaissait tout ce que j’avais fait pendant des années pour des fanzines… Et il a dit oui ! »
Don Rosa réalise ainsi son premier comics professionnel, Le Fils du Soleil, qui raconte la course entre Balthazar Picsou et son meilleur rival, Archibald Gripsou, pour mettre la main sur un légendaire trésor Inca. Tous les éléments du style Don Rosa sont déjà présents dans ces 26 pages : un dessin dynamique, des cases qui fourmillent de gags et de détails au second plan, de multiples références à Carl Barks, des scènes d’action épiques qui rappellent les exploits d’Indiana Jones…
L’auteur modernise surtout les codes classiques des récits enfantins de Disney pour s’adresser à un public bien plus large : « J’ai toujours écrit pour un public adulte. Si les enfants apprécient ce que j’ai fait, tant mieux, mais je n’ai jamais cherché à écrire pour eux spécifiquement. Les parents et les éditeurs voudraient qu’ils lisent des histoires simplettes avec des couleurs vives. La vérité est que les enfants aiment les récits complexes et qu’on s’adresse à eux comme à des êtres intelligents. »
Le succès du Fils du Soleil — nommé pour le prix Harvey de la meilleure histoire — amène Don Rosa à liquider l’entreprise familiale pour se consacrer à plein temps à l’activité de ses rêves : perpétuer l’univers de Carl Barks par sa propre plume.
Plus célèbre en Europe qu’aux États-Unis
Don Rosa passe les années suivantes à dessiner de nombreuses histoires de canards, entre les braquages ratés des Rapetou dans le coffre-fort du milliardaire, les malheurs et les crises de colère de Donald, les excursions des Castors Junior… En 1989, il claque la porte de Gladstone après un désaccord financier.
Il rejoint ensuite l’éditeur danois Egmont, qui s’est déjà constitué un public de fidèles lecteurs de ses œuvres, régulièrement rééditées dans son catalogue. Ironiquement, tout au long de sa carrière, Don Rosa sera d’ailleurs bien plus connu de ses fans européens que du lectorat américain.
Chez Egmont, Don Rosa se lance dans son oeuvre la plus ambitieuse : La Jeunesse de Picsou. Ou comment raconter, sur 215 pages réparties en douze épisodes, le parcours atypique du canard le plus riche du monde. Comment Picsou a-t-il amassé son immense fortune ? Où a-t-il trouvé son fameux sou fétiche ? Pourquoi est-il devenu aigri au point de vivre seul dans son immense manoir ?
Don Rosa invente toute une vie au canard en se basant sur sa Bible : les histoires de Carl Barks. Mais, contrairement à lui, son prédécesseur n’a jamais accordé beaucoup d’importance aux origines de son personnage : « En fait, Carl Barks n’a jamais vraiment parlé de la vie de Picsou avant qu’il ne devienne milliardaire, mais il y fait de nombreuses allusions. J’ai relu toutes ses BD, j’ai pris des notes, j’ai tout remis dans l’ordre, j’ai fait beaucoup de recherches historiques… et voilà ! »
Une mythologie née de simples détails
À partir de simple détails mentionnés dans les histoires de Barks — une réplique, un objet, un souvenir –, Don Rosa invente, pendant deux ans et demi, des récits complets qui construisent toute une mythologie autour du personnage. Cette épopée voit Balthazar Picsou, l’héritier d’une prestigieuse lignée désormais sans le sou, quitter son Écosse natale en 1877, alors qu’il est encore enfant, pour faire fortune aux États-Unis. Tour à tour marin, cowboy ou encore chercheur d’or, Picsou multiplie les expéditions aux quatre coins du globe pour s’enrichir.
On découvre ainsi directement comment ses échecs, ses réussites et ses rencontres l’ont mené jusqu’à sa première rencontre avec Donald et ses neveux, en 1947. Le trait chaleureux de Don Rosa et son talent humoristique lui permettent d’aborder des thématiques cruciales — la mort, la vieillesse, l’amour ou encore les dérives provoquées par la richesse — qui détonnent avec l’univers enfantin de Disney.
Dans ce même esprit, Don Rosa se réapproprie le personnage de Goldie, apparue brièvement dans une unique histoire de Carl Barks, pour en faire la tenancière de saloon qui peut se targuer d’être la seule à avoir jamais fait chavirer le cœur du canard célibataire. L’auteur entretient savamment le mystère autour du degré d’intimité entretenu entre Goldie et Picsou pendant leur brève cohabitation d’un mois dans la vallée du Klondike… pour la plus grande frustration des fans.
Au cours de ses expéditions, Picsou rencontre des personnages bien réels comme Theodore Roosevelt
Ces récits sont aussi truffés de références à de nombreux films cultes, comme Citizen Kane, de gags que Don Rosa est parfois le seul à saisir, et de dédicaces à Carl Barks (sous la forme de l’acronyme D.U.C.K., régulièrement caché dans ses planches). Le passionné d’histoire s’amuse enfin à faire rencontrer des personnages bien réels à son héros, comme les frères Jesse et Frank James ou le futur président américain Theodore Roosevelt.
La Jeunesse de Picsou, acclamée par le public, remporte le prix Will Eisner de la meilleure série en 1995, l’équivalent des Oscars de la bande dessinée. Un succès qui amènera par la suite Don Rosa — qui se considère comme un bien meilleur scénariste que dessinateur — à réaliser des épisodes « bis » qui viennent se greffer à l’intrigue principale.
À la veille de l’an 2000, Don Rosa profite de son unique rencontre avec Carl Barks, alors âgé de 98 ans, pour lui exprimer toute son admiration. Il découvre à cette occasion que son idole est lui aussi un collectionneur invétéré, même s’il préfère les revues National Geographic aux bandes dessinées que Don Rosa entrepose soigneusement dans une salle entière, à l’instar de Picsou qui conserve ses sous dans un coffre-fort.
Don Rosa poursuit sa carrière à succès jusqu’au milieu des années 2000 mais la publication de ses nouvelles histoires s’espace progressivement jusqu’à sa retraite officielle, en 2008.
L’auteur achève sa carrière en apothéose avec deux récits marquants. D’abord, en 2004, avec Une lettre de la maison, un épilogue très émouvant à La Jeunesse de Picsou, qui permet à son personnage de définitivement faire la paix avec son passé (et ses regrets). Puis, deux ans plus tard, avec La Prisonnière de la vallée de l’Agonie Blanche, le récit attendu de longue date par les fans, qui lève enfin le voile sur le mois de cohabitation entre Picsou et Goldie dans le Klondike.
Dépression, décollement de rétine et désillusion
Il faudra attendre 2013 et la publication, sur Internet, d’un long texte qui devait initialement paraître dans l’anthologie de son œuvre avant d’être censuré par Disney, pour découvrir les raisons qui l’ont poussé à s’arrêter 5 ans plus tôt.
Si ses graves problèmes de vue — le décollement de la rétine de son œil gauche — et sa dépression figurent en bonne position, Don Rosa évoque surtout le dégoût que lui a inspiré le système de publication Disney, unique au monde : « Les comics Disney n’ont jamais été réalisés par Disney mais par des artistes en freelance ou sous contrat avec des éditeurs indépendants, comme Carl Barks avec Dell Comics et moi-même avec Egmont. […] Nous sommes payés par notre éditeur selon un tarif forfaitaire à la page. »
Il poursuit : « Après ça, peu importe le nombre de rééditions de cette histoire dans des albums, compilations, ou autre de par le monde, et peu importe son nombre de ventes : nous ne recevrons jamais un autre centime pour notre travail. Le système dans lequel travaillait Carl Barks est encore en vigueur aujourd’hui. »
Dans les années 2000, l’auteur bataille ainsi longuement pour obtenir un semblant de contrôle sur ses œuvres, re-publiées en permanence, partout dans le monde, dans des versions souvent grossières : colorisation bâclée, découpage incohérent, mauvaise traduction… Le dessinateur, qui a depuis longtemps abandonné tout espoir d’être rémunéré à juste titre pour son travail, veut au moins s’assurer qu’on respecte ses créations lorsque son nom apparaît en évidence sur la couverture.
20 ans de travail, 0 centime de royalties
Don Rosa dépose ainsi une marque sur le seul élément qui n’appartient pas à Disney : son propre nom, ce qui lui donne un droit de regard éditorial sur les histoires publiées sous cet intitulé. Cela lui permet notamment de travailler avec Glénat sur l’anthologie de son œuvre, publiée en France de 2012 à 2016. Mais le mal est fait : « Le comportement de ces éditeurs [irrespectueux], et la nature de ce système n’ont cessé de renforcer ma dépression. J’ai réalisé que je leur avais offert 20 ans de travail qu’ils pouvaient imprimer, ré-imprimer et ré-ré-imprimer pendant un siècle sans jamais m’offrir un centime de royalties. »
Au total, Don Rosa aura dessiné près de 90 histoires depuis ses débuts, en 1987. L’auteur, qui est le premier à répéter à quel point il dessine lentement, sait bien qu’il n’aurait jamais pu égaler la productivité de Carl Barks : « Il [m’aurait fallu] 75 ans pour réaliser ce que Barks à fait en 25 ans ! Je [dessinais] environ 75 pages par an, parfois 100 alors que Barks avait une moyenne 250 pages ! »
D’autant qu’il aura consacré un temps fou, tout au long de sa carrière, à répondre à tous les courriers envoyés par ses fans. Jusqu’à ce que l’arrivée d’Internet change la donne : « Je passais 2 ou 3 heures sur mon ordinateur, chaque matin, une heure à midi, et quelques heures supplémentaires le soir, pour répondre aux emails de fans. Même un hurluberlu comme moi voyait bien que ça devait cesser ! Alors j’ai fini par arrêter de répondre à tous les emails, le seul moyen, à mes yeux, d’être équitable avec tout le monde. »
Un documentaire prévu pour les 70 ans du canard
S’il a bien fait ses adieux à sa table à dessin en 2008, Don Rosa continue de parcourir les festivals de bande dessinée du monde entier pour rencontrer ses fans, qui l’accueillent toujours avec la même ferveur. En France, l’auteur a multiplié les apparitions ces dernières années, notamment au Festival d’Angoulême.
Bien que son décollement de rétine l’empêche désormais de dessiner le détail, Don Rosa peut poursuivre ses dédicaces grâce à l’aspect physique de ses personnages, dont les têtes volumineuses s’avèrent bien pratiques pour éviter cette gêne.
Il dessine sans compter son temps, à une condition : « Don Rosa accepte toute demande tant que le fan justifie précisément pourquoi il veut tel personnage ou telle tête spécifique. Plus la demande est complexe ou unique, plus il est content et s’y consacre à fond », explique Morgann Gicquel.
Cet admirateur de longue date s’est fait remarquer par l’auteur après avoir réalisé un reportage sur son passage dans l’Hexagone de 2013, où l’on voit justement Don Rosa — à partir de 2:50 — discuter précisément avec une lectrice du dessin qu’elle souhaite le voir réaliser.
http://www.dailymotion.com/video/xxfq9w_don-rosa-in-france-2013-reportage_creation
Don Rosa lui propose même de venir le filmer chez lui, dans sa maison du Kentucky, mais Morgann Gicquel refuse, car il ne voit pas l’intérêt de tourner un « film de vacances chez Don Rosa ».
À la place, il décide de réaliser un documentaire sur l’immense — et étonnante — influence exercée par Picsou et Don Rosa dans le monde : « D’un producteur de cinéma hollywoodien au compositeur de Nightwish, qui a sorti un album inspiré de La Jeunesse de Picsou devenu disque d’or en quelques semaines, en passant par un développeur d’Angry Birds, le champ est assez large ! »
Le Mystère Picsou, dont le titre rend hommage au Mystère Picasso, le documentaire réalisé par Henri-Georges Clouzot en 1955, est aussi un moyen de prouver que Picsou est bien plus qu’un simple héros pour enfants. Le réalisateur, encore à la recherche de financements, a bénéficié d’un soutien encourageant l’été dernier, en remportant 10 000 dollars grâce au vote du public aux Audience Awards.
Si quelqu’un débarque en lui demandant un dessin de Mickey, il est sûr de se faire jeter et de ne jamais pouvoir revenir
Morgann Gicquel espère pouvoir sortir ce documentaire en décembre 2017, pour fêter le 70e anniversaire du canard. En attendant, le cinéaste et sa caméra seront aux côtés de Don Rosa pendant le Toulouse Game Show : « Il m’étonne toujours en convention. Si quelqu’un débarque en lui demandant un dessin de Mickey, il est sûr de se faire jeter et de ne jamais pouvoir revenir ! C’est son côté grand-père ronchon, mais, à l’inverse, il se consacre sans compter aux véritables fans. »
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