Chaque année, au 1er janvier, le domaine public accueille de nouvelles œuvres. En 2012, les romans de Maurice Leblanc, le créateur du célèbre gentleman cambrioleur Arsène Lupin, les tableaux de Robert Delaunay et les essais du philosophe Henri Bergson sont ainsi retournés dans le domaine public. Un retour qui n’est toutefois pas simple, au regard de l’évolution de la durée de protection des œuvres à travers le temps.
Louer un orchestre pour enregistrer de la musique libre
Face à l’affaiblissement du domaine public, certaines initiatives ont vu le jour ces dernières années afin d’y remédier. C’est le cas de MusOpen, un site web qui propose tout simplement aux amateurs de musique classique de financer en partie l’enregistrement d’œuvres entrées dans le domaine public, pour ensuite les proposer gratuitement et librement à tous.
En l’état actuel du droit d’auteur, une œuvre musicale passe dans le domaine public 70 ans après la mort de son auteur. Or, les musiciens et les éditeurs des enregistrements sonores bénéficient également de droits, pour une durée de 50 ans (et bientôt 70 ans), dits « droits voisins ». Ainsi, il est fréquent que des enregistrements de morceaux anciens de musique classique soient toujours couverts par des droits exclusifs, au titre des droits voisins.
Au regard des sommes récoltées, le projet a séduit de nombreux internautes. Selon la page Kickstarter dédiée à la levée de fonds, pas moins de 68 359 dollars (un peu moins de 53 000 euros) ont été récoltés grâce à la générosité de 1276 donateurs. C’est plus de six fois la somme espérée par les promoteurs de MusOpen, qui avait placé la barre à 11 000 dollars.
Renoncer à la perception des droits voisins
Ce petit pactole va permettre à MusOpen de louer les services d’un orchestre symphonique qui jouera une sélection de morceaux de musique classique issus du domaine public. Une condition toutefois. Les artistes-interprètes impliqués dans ce projet devront signer un contrat à travers lequel ils renoncent à la perception de leurs droits voisins. Ils seront payés pour la séance d’enregistrement, mais ne percevront pas de droits pour les reproductions futures ou leur diffusion publique.
D’après le site Free Software Magazine, les enregistrements vont avoir lieu ce mois-ci. C’est l’orchestre symphonique de Prague qui a été sélectionné, dans la mesure où ses exigences financières sont moindres que d’autres formations musicales, comme l’orchestre philharmonique de Londres. Pour autant, l’orchestre sélectionné est loin d’être d’un faible niveau puisqu’il s’est produit en Europe, aux États-Unis et au Japon.
Bien évidemment, l’impact médiatique sera beaucoup moins important avec l’orchestre symphonique de Prague que si MusOpen avait choisi l’orchestre philharmonique de Londres. Mais si la visibilité sera moins importante, l’objectif du projet est ailleurs. Il est dans la mise à disposition libre de symphonies créées par Beethoven, Brahms, Sibelius ou Tchaïkovski.
Une initiative qui fait débat en France
Reste que si l’initiative sera saluée par les partisans des licences de libre diffusion, elle suscite interrogations et critiques chez d’autres. C’est notamment le cas du secrétaire général de l’Hadopi, Eric Walter, qui considère que l’abandon des droits voisins n’est pas nécessairement une avancée, craignant un « dumping » social de la part d’orchestres moins coûteux que d’autres.
Un avis partagé par Benjamin Sauzay, responsable de la stratégie institutionnelle de l’Adami, en charge de la gestion des droits des artistes-interprètes français. Il affirme que les sommes en question ne suffisent pas pour vivre, même si le montant de 68 000 dollars peut sembler conséquent, ajoutant par ailleurs qu’une exploitation commerciale mérite rémunération.
De son côté, le président de Wikimédia France, Rémi Mathis, note que pour faire entrer de la musique dans le domaine du libre et par conséquent permettre d’une part la diffusion légale des titres concernés et autoriser l’intégration de tout ou partie de la musique dans une œuvre composite, il n’existe manifestement aucun autre moyen. D’autant qu’il s’agit d’un financement du public pour le public, fait-il remarquer.
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