Ce 14 décembre, les fans français seront parmi les premiers dans le monde à découvrir Rogue One : A Star Wars Story, premier spin-off de la franchise initiée en 1977 par George Lucas. Pour la première fois, un film va raconter une histoire inédite située entre les deux premières trilogies de la saga, celle d’une escouade de rebelles chargée de dérober les plans de l’Étoile Noire. La suite, on la connait.
Mais on connait moins Gareth Edwards, le réalisateur choisi pour porter à l’écran ce chaînon manquant de l’histoire. Il faut dire que ce cinéaste britannique de 41 ans est aussi discret que sa filmographie tient sur un post-it. Mais attention, cela n’enlève rien au prestige de ses réalisations, et témoigne surtout d’un succès fulgurant dans la fosse aux lions hollywoodienne.
L’ombre de Star Wars
Sa carrière, Gareth Edwards la commence au début des années 2000, après des études de cinéma, principalement dans le secteur du docu-fiction. Les premiers faits d’armes du cinéaste dans le monde professionnel se trouvent dans la création d’effets spéciaux. C’est en 2008 que son travail commence à être remarqué, grâce au segment consacré à Attila le Hun de la série de la BBC Heroes and Villains. C’est également cette même année qu’Edwards réalise un court-métrage remarqué, nommé Factory Farmed.
Et le résultat est d’autant plus intéressant que le réalisateur a écrit, filmé et monté son film en seulement deux jours, dans le cadre du festival SCI-FI-LONDON 48hr Film Challenge de 2008. Le concours impliquait d’intégrer certains accessoires dans le film, ainsi qu’une ligne spécifique de dialogue. Factory Farmed a remporté le premier prix cette année-là.
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Avec un budget minimaliste et peu de temps, Gareth Edwards était déjà parvenu à distiller une ambiance particulière dans son court-métrage. Une atmosphère qui se retrouvera, en 2010, dans son premier long, Monsters, un film indépendant qu’il a réussi à financer en grande partie grâce à l’intérêt suscité par son court.
Mais il est également intéressant de souligner que, déjà à l’époque, Star Wars semblait être l’une des influences d’Edwards : un décor minimaliste faisant penser aux plaines de Tatooine, un personnage dont le costume rappelle celui de Luke et Han Solo sur Hoth dans L’Empire contre-attaque… pour enfoncer le clou, l’équipe formée par Edwards lors du concours avait pour nom « Rebel Alliance » . Ça ne s’invente pas.
Gareth Edwards prend confiance en lui à la suite de cette expérience. « Ça m’a fait prendre conscience qu’on peut réaliser un film avec peu de moyens, et que malgré ça il peut avoir de l’envergure cinématographique et raconter une histoire de science-fiction » expliquait-il en 2010 à la sortie de Monsters. « On peut faire des films britanniques qui ne sont pas des drames sociaux ou des histoires historiques. »
L’art de la suggestion
Car après un démarrage de carrière à travailler sur des documentaires historiques, il s’avère plutôt évident que Gareth Edwards a plutôt le regard tourné vers un autre genre. « J’avais toujours voulu faire un film de monstres » explique-t-il. « J’avais le sentiment d’avoir perdu les 10 dernières années de ma vie à concevoir des effets spéciaux pour vivre, et j’éprouvais le réel besoin d’utiliser mes compétences pour réaliser mon propre film. Mais quand vous réalisez des images de synthèse sans arrêt, il est difficile de s’arrêter, même lors de vos rares congés. »
Il saute le pas en 2010 avec Monsters, un film de science-fiction indépendant, à la mise en scène contemplative et intimiste. Réalisateur, mais également scénariste, responsable de la photographie et superviseur des effets visuels, Gareth Edwards a dû revoir les ambitions de son film en raison d’un budget ridicule, limité à 500 000 dollars. Ainsi, ce qui devait être un film choral s’est transformé en une sorte de road-movie où le suggestif a laissé place à des effets spéciaux grandiloquents, et où l’intrigue se focalise sur une histoire d’amour plus que sur des scènes d’action.
Le cinéaste explique qu’avoir tout fait lui-même lui a permis de trouver un juste milieu entre le message qu’il voulait faire passer, le budget serré et l’intérêt commercial du film. Finalement, Monsters, qui a été réalisé en tout et pour tout par une équipe technique de 5 personnes et avec « un budget qui couvrirait à peine les frais de cantine d’une journée de tournage d’une production hollywoodienne moyenne » selon son producteur Allan Niblo, a été acheté par de nombreux distributeurs internationaux, y compris en France, et a rapporté plus de 4 millions de dollars au box-office.
Le style Edwards
Un budget très restreint et des conditions de tournage compliquées en Amérique Centrale ont obligé Edwards à tout filmer lui-même, avec énormément de plans réalisés caméra à l’épaule. Un style que le réalisateur a apporté avec lui sur le tournage de Godzilla, remake américain de la franchise japonaise de la Toho, ici produit par Legendary Pictures.
La maison de production américaine contacte Gareth Edwards une semaine seulement après la sortie de Monsters dans les salles britanniques, fin 2010. Le réalisateur de 35 ans se voit alors offrir une proposition qu’il avait attendue toute sa vie : réaliser un film à grand spectacle, avec pas mal de liberté. On lui confie un budget de 160 millions de dollars, et l’objectif de faire oublier le précédent film américain réalisé par Roland Emmerich et sorti en 1998. Impossible pour le réalisateur de dire non, mais il savait que le projet allait être complexe à monter, et qu’il serait attendu au tournant.
Passer du cinéma indépendant au blockbuster hollywoodien n’est pas chose aisée
Car passer du cinéma indépendant au blockbuster hollywoodien n’est pas chose aisée : d’autres réalisateurs aux débuts talentueux se sont cassés les dents sur de tels projets. Legendary souhaite revenir aux sources de la franchise, et les scénaristes commencent à se succéder. En 2011, la catastrophe nucléaire de Fukushima freine la pré-production. À ce moment-là, Edwards, qui n’est pas habitué à la lenteur des projets hollywoodiens, commence à douter : « Beaucoup de films de ce genre perdent tout simplement de l’élan. Et pendant une longue période de temps, j’ai cru que c’est ce qui allait se passer avec le nôtre », avouait-il après coup au Telegraph.
Paradoxalement, c’est durant ce passage à vide que la créativité de Gareth Edwards va reprendre le dessus, et faire avancer le projet. En traînant sur YouTube, il découvre la série parodique japonaise Always Sunset on Third Street, dans laquelle apparaît Godzilla.
La scène en question a beau être humoristique, elle interpelle le réalisateur qui déclare à son équipe « C’est bien, mais nous pourrions faire mieux ». Et alors que la préparation de Godzilla tourne au ralenti, Thomas Tull, le patron de Legendary, décide de donner un os à ronger à Edwards, et débloque un petit budget pour lui permettre de tourner un court-métrage.
Gareth Edwards réalise alors un peu plus d’une minute de plans d’une ville détruite, et la séquence s’achève par le hurlement et la vision de Godzilla dans un nuage de poussière. Une vision qui séduit tellement Thomas Tull qu’il décide que cette vidéo sera le teaser du film, projeté durant le San Diego Comic Con 2012. À partir de là, le projet va redémarrer sur les chapeaux de roue : en quelques semaines, le casting est rassemblé, le calendrier de tournage établi, et le nouveau scénario validé, avec une vision sombre et poussiéreuse qui s’inspire de Fukushima sans pourtant citer les événements. « Ce court-métrage d’une minute a clairement donné le feu vert du film » résume Gareth Edwards, dont l’habitude d’impressionner à peu de frais avait encore surpris.
Rogue One, l’erreur qui n’en était pas une
Initialement destiné à sortir en 2012, Godzilla arrive finalement sur les écrans du monde entier en 2014. Gareth Edwards est désormais un réalisateur hollywoodien et le film à peine sorti, on parle déjà de deux autres volets pour en faire une trilogie. Le réalisateur ? Edwards, évidemment, qui se voit adoubé par Thomas Tull pour réaliser les deux suites. Et dans la foulée, le cinéaste britannique est également officialisé pour s’occuper de Rogue One, le premier spin-off cinématographique de la franchise Star Wars.
Pour Gareth Edwards, c’est un rêve de gosse. Et si l’annonce de son arrivée dans la sphère Star Wars s’est accompagnée par des déclarations d’amour à la franchise, il est plus intéressant de remonter le temps pour en savoir plus sur l’intérêt du réalisateur pour la saga. Ainsi, en 2010, il répondait à une question de Collider concernant la genèse de sa vocation de réalisateur : « Vers l’âge de 10 ans, je voulais vraiment devenir un Jedi pour exploser l’Étoile Noire. Et puis j’ai découvert que c’était des mensonges, mes parents m’ont expliqué que c’était impossible et que c’était conçu par quelqu’un qu’on appelle un cinéaste. L’une de mes options était donc devenir un cinéaste pour mentir aux enfants et leurs donner de faux espoirs. C’est toujours lié au fait de mentir aux enfants, vraiment » avait alors expliqué Edwards, non sans humour.
Pour autant, lors de l’arrivée de la proposition de Disney pour Rogue One, le réalisateur n’a pas sauté de joie comme on pourrait l’imaginer. Lorsqu’il a reçu le message du studio, il a même cru que les pontes de la maison de Mickey s’étaient trompés de destinataire. « J’ai cru que c’était une erreur d’envoi et qu’il était destiné à quelqu’un d’autre », a-t-il récemment expliqué. « Je venais de terminer Godzilla, et j’étais épuisé. Je n’avais qu’une seule envie, avoir des vacances, mais au lieu de ça, je suis allé chez LucasFilms pour une audition. J’ai finalement réalisé que l’idée du film était liée à celle d’Un Nouvel Espoir, mon film préféré de tous les temps » ajoute-t-il.
C’est surréaliste de réaliser un Star Wars
« Je me suis dit ‘c’est un sacrilège, je ne peux pas faire ça’, mais au fond de moi je le voulais plus que tout. C’est surréaliste de réaliser un Star Wars. Je n’aurais pas pu m’asseoir dans une salle de cinéma en sachant que j’avais eu la possibilité de réaliser le film, mais que quelqu’un d’autre l’avait fait à ma place. »
Le cinéaste n’a pas mis longtemps à accepter le poste.
Fidèle à lui-même, dans la mesure du possible
À de multiples reprises, Gareth Edwards a souligné qu’il avait bénéficié d’une « certaine liberté » durant le tournage de Rogue One, même s’il est toujours difficile de savoir quelles sont les contraintes – généralement énormes – imposées par les producteurs aux réalisateurs de telles franchises.
Durant le panel consacré à Rogue One lors de la convention Star Wars Celebration Europe 2016, Kathleen Kennedy, la grande patronne de LucasFilms, a raconté une anecdote concernant le réalisateur : « Gareth a pris le parti de faire comme tous ses films précédents, à savoir beaucoup tourner avec la caméra à l’épaule. C’est un style qui n’est présent dans aucun autre film Star Wars. Et à maintes reprises lors de mes visites sur le tournage, je cherchais Gareth, et je finissais par le voir avec cette énorme caméra sur son épaule, au beau milieu du plateau, en train de tourner sous tous les angles, en train de chercher de nouvelles manières de créer de l’immersion. Ça donne à Rogue One quelque chose d’unique. »
Un point de vue que partage Riz Ahmed, qui incarne Bodhi Rook dans le film. « Gareth Edwards a apporté à Rogue One une dimension incroyablement organique, libre, comme des sensations brutes. Quand il parle de Rogue One, il en parle comme d’un film de guerre en le comparant à d’autres réalisations du même type. Il apporte un regard neuf sur un monde pourtant si familier. »
Conscient des enjeux du film entre ses mains, premier spin off mais également premier film à ne pas dépendre d’autres volets, le réalisateur a tenu à assumer que Rogue One ait « un début, un milieu et une fin » et explique donc qu’il a avant tout cherché à raconter une histoire guerrière, inspirée de vrais conflits pour l’atmosphère, notamment celui du Viet-nam.
Et quand les médias et les fans ont commencé à s’inquiéter des « reshoots » de scènes supplémentaires réalisés l’été dernier, Edwards a été l’un des premiers à s’exprimer à leur sujet. Expliquant à Entertainment Weekly qu’il s’agissait surtout de « petits détails ajoutés aux séquences existantes », il a ajouté que « C’était prévu dès le départ » et que la longue durée du tournage de ces ajouts venait surtout des difficultés à rassembler le casting. « On doit réussir à jongler entre les agendas de tous les acteurs et actrices, qui tournent d’autres films à travers le monde. Logistiquement parlant, c’est cauchemardesque. »
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Un retour à l’indépendance
Mais c’est bien avant les reshoots et les rumeurs évoquant un montage final du film confié à un autre réalisateur que Gareth Edwards avait pris sa décision quant à son avenir. En mai 2016, le cinéaste britannique a annoncé qu’il ne réaliserait finalement pas Godzilla 2, dont la sortie était alors déjà programmée pour 2019.
La raison n’est pas particulièrement étonnante : le réalisateur évoquait alors la volonté de retourner à des « projets plus petits », probablement loin de la grande machine hollywoodienne. La rupture entre lui et Legendary Pictures est décrite comme s’étant faite « à l’amiable » et le studio est, depuis, en quête d’un nouveau réalisateur, qui aura la lourde de tâche de prolonger la vision de Gareth.
En 6 ans, Gareth Edwards n’aura jamais arrêté
En 6 ans, Gareth Edwards n’aura jamais arrêté, enchaînant Monsters avec Godzilla, puis ce dernier avec Rogue One. Une ascension fulgurante à Hollywood, pour un réalisateur qui a décidé de faire ce métier lorsqu’il a découvert que les Jedi n’existaient pas. Mais qu’importe : « Quand je me suis retrouvé sur le tournage, entre les Stormtroopers et les X-Wing, j’avais l’impression d’avoir à nouveau 4 ans » confiait-il récemment en interview.
Gareth Edwards n’est peut-être pas devenu Jedi, mais il a probablement désormais un peu de Force en lui : « George Lucas m’a appelé pour me dire qu’il avait beaucoup aimé le film. Je ne veux offenser personne, mais pour moi c’était l’avis qui comptait le plus » a-t-il expliqué lors d’une récente conférence de presse. « Honnêtement, je peux mourir heureux ».
À nous de partager ou non l’avis de George Lucas sur Rogue One, et enfin savoir si Gareth Edwards est un bon menteur qui donne envie aux enfants de devenir un rebelle pour faire exploser l’Étoile Noire…
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