Le business de la rencontre en ligne est certes juteux, mais depuis le raz-de-marée Tinder, le swipe est devenu quasiment hégémonique. Il ne semble rester que quelques alternatives toutes très spécialisées, qui tentent d’imposer à une niche un réseau dédié. Plutôt geek ? Il y a une app pour en rencontrer d’autres. Plutôt communiste ? Il y a également une app pour ça.
Aujourd’hui, la dernière itération du monde de la love tech se concentre sur les sapiosexuels, une nouvelle espèce inventée de toutes pièces par des journalistes qui mérite qu’on s’y attarde. D’emblée, il faut définir ce qu’est la sapiosexualité et comprendre s’il s’agit d’une niche crédible ou d’une nouvelle invention farfelue aussi peu pertinente que le métrosexuel.
Ceux qui n’aiment pas les imbéciles
Absent du Larousse, il faut soit se pencher sur Wikipedia, soit du côté des magazines féminins pour avoir des réponses sur la réalité que recouvre le terme, d’abord anglophone, de sapiosexualité. On trouvera ainsi la très maladroite définition suivante sur un dictionnaire urbain : « un sapiosexuel est une personne chez qui l’intelligence de l’autre provoque une excitation sexuelle. » Dans le Temps, on apprend aussi que la sapiosexualité définit « une personne qui sera excitée sexuellement par l’intelligence de l’autre, par son érudition. En d’autres termes : une obsédée du QI. Pour elle, l’apparence physique sera clairement secondaire. »
De fait, si nous suivons les indications éclairées de ces différentes définitions, le sapiosexuel n’est pas attiré par les imbéciles. Toutefois, il y a-t-il des êtres humains sincèrement attirés par l’idiotie la plus crasse dès lors que nous parlons de sentiments ? Et comment peut-on la juger, sur quelle échelle de savoir et de maîtrise ? Nous avons peut-être des éléments de réponse, mais rien de très scientifiques — abstenons-nous et continuons donc de découvrir la magie de la sapiosexualité.
un sapiosexuel est une personne chez qui l’intelligence de l’autre provoque une excitation sexuelle
Transposé des médias américains aux médias français, la sapiosexualité semble ne plus tant être une orientation sexuelle à la manière de la bisexualité par exemple, qu’un label de qualité finalement assez similaire à ceux qui ornent nos légumes sur les étals.
Dans un monde d’abondance sexuelle permanente, les internautes n’apparaissent pas tellement comme des consommateurs de Q.I. mais bien plus comme des consommateurs affectifs abrutis par les vertigineuses possibilités de rencontres proposées par le monde moderne.
À la manière de nos hésitations sempiternelles devant le rayon lessive du supermarché, l’internaute célibataire semble plus que jamais en quête de repères. Cette quête éperdue de la bonne lessive, ou de la bonne personne, pousse de fait le marché à niveler par le haut ses propositions. Et ainsi apparaissent de nouveaux lexiques, tout entier voués à hiérarchiser la jungle de nos rencontres. Et à ce titre sapiosexuel ne semble être qu’un label de plus.
sapiosexuel ne semble être qu’un label de plus.
Est-il pertinent ? Autant que ne peut l’être la capacité de mesure de l’intelligence de l’être aimé par un amoureux. Donc très peu. Et pourtant, ils sont chaque jour plus nombreux à se revendiquer l’être. Si bien que de l’autre côté de l’Atlantique, on imagine pouvoir créer un business sur cette niche grandissante.
Déclaration de guerre à la culture du hookup
C’est la conviction de Sapio, une énième nouvelle application de rencontres en lignes qui imagine permettre aux célibataires de découvrir des personnes au moins aussi intelligentes qu’eux. Kristin Tynski, co-fondatrice, détaillait ainsi au Huffington les grandes lignes de son application et surtout sa propre définition du sapiosexuel : « Les sapiosexuels ne peuvent pas être simplement définis comme des personnes qui sont seulement attirés par les plus intelligents. Ils sont attirés par quelqu’un en fonction de leur connexions intellectuelles, leurs intérêts, leur langage et enfin leur humour. Pour beaucoup, se définir comme sapiosexuel est devenu une déclaration de guerre contre le statu quo qui entoure la nouvelle culture du coup d’un soir et sa superficialité où l’apparence compte plus que tout. »
Ce qui étonne à la lecture des propos de Tynski, c’est les lieux communs déversés comme des innovations dans un discours aussi creux que fleur bleue. Selon l’équipe de Sapio, la sapiosexualité n’est rien d’autre que la rencontre dans son topos le plus conservateur : l’homme doit être drôle, la femme doit aimer le cinéma et ils emmèneront leurs enfants au musée. C’est en somme ce que l’on comprend. Or toujours selon Tynski, cette vision de la romance est une déclaration de guerre à la culture du hookup.
Comprenez que pour Sapio, la sapiosexualité est d’abord un retour à la norme. Triste sexualité.
Pour Sapio, la sapiosexualité est d’abord un retour à la norme. Triste sexualité.
Les goûts et les couleurs, ça se discute
Mais soit, c’est la loi de l’offre et de la demande. Voyons donc ce qui rend Sapio si unique. La première règle de l’application, plutôt contraignante, est le passage obligé par un questionnaire de 300 interrogations aussi étranges que parfois dérangeantes.
Ainsi, dans le véritable quizz de Sapio, on vous demande ce que vous feriez si vous aviez le pouvoir de contrôler la planète entière, votre meilleure stratégie pour oublier vos problèmes et le monde etc. Ces centaines de questions sont rangées dans différentes catégories qui couvrent de nombreux champs de vos opinions politiques à votre relation à votre famille, vos rêves ou encore vos convictions métaphysiques.
À la fin du très long questionnaire, vous accédez enfin à une interface qui n’a rien à envier à Tinder. Le même paradigme du swipe est utilisé, à une différence près : cette fois-ci, vous ne pouvez rencontrer que des gens dont les réponses s’approchent des vôtres d’une manière ou d’une autre.
En fin de compte, la boucle est bouclée. Après avoir trié d’une manière plutôt obscure les différents profils, l’application qui « lutte contre le statu quo de la culture du hookup » vous replonge dans le fameux statu quo des swipes, des matchs et du folklore propre au dating. La sapiosexualité devient alors un motif un peu vicieux, qui assume une forme de snobisme peu éclairé, dans lequel, nous sommes finalement tous le sapiosexuel d’un autre.
Sapio est disponible sur iOS et Android.
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